Vous est-il déjà arrivé de vous sentir observé en pleine nuit, ce frisson qui vous fait accélérer le pas ? Imaginez la même sensation, mais au volant d’un trente-huit tonnes chargé de plusieurs centaines de milliers d’euros de cartouches de cigarettes. C’est exactement ce qu’a vécu un chauffeur routier mardi soir, vers 22 h 15, dans une zone industrielle tranquille de Carrières-sur-Seine, dans les Yvelines.
Et le pire, c’est que son instinct ne l’a pas trompé.
Une tentative de ces histoires qui font froid dans le dos
Le scénario ressemble à un mauvais film, sauf qu’il est bien réel. Le conducteur, un Polonais employé par une société de transport internationale, s’apprête à livrer ou à déposer sa cargaison dans l’entrepôt d’une entreprise de stockage. Rien d’anormal jusque-là. Sauf que, à peine engagé dans la petite rue qui mène à la grille, il remarque dans son rétroviseur quatre véhicules qui le collent de très près.
Dix individus en sortent presque instantanément. Certains sont cagoulés, au moins un est armé. Le temps que le chauffeur comprenne ce qui lui arrive, il n’a plus qu’une idée en tête : sauver sa peau.
Il abandonne donc le camion en plein milieu de la chaussée, portière grande ouverte, et détale à travers les terrains vagues voisins. Les malfaiteurs, surpris par cette réaction ultra-rapide, hésitent quelques secondes… puis préfèrent eux aussi prendre la poudre d’escampette avant l’arrivée des forces de l’ordre. Résultat : personne n’est interpellé, mais la cargaison est intacte.
Pourquoi les cigarettes valent de l’or
Il faut bien comprendre un truc : en France, une cartouche de Marlboro coûte environ 120 € en bureau de tabac. Sur le marché parallèle, elle se revend entre 50 et 70 €. La différence représente une marge colossale pour les réseaux qui importent depuis la Pologne, la Belgique ou l’Espagne où les prix sont bien plus bas.
Un seul semi-remorque peut transporter jusqu’à 600 ou 700 cartouches maître (soit 600 000 paquets). Faites le calcul : même à 60 € la cartouche au détail, on dépasse facilement le million d’euros de valeur marchande. Autant dire que ce genre de cargaison attire les convoitises.
« C’est devenu aussi rentable que la drogue, mais avec des peines bien moins lourdes »
– Un enquêteur spécialisé dans la grande criminalité, interrogé récemment
Et le phénomène explose depuis cinq ou six ans. Les « go-fast » du tabac se multiplient, les entrepôts sont braqués, les camions sont suivis dès leur sortie d’usine. On parle désormais de véritables commandos organisés, souvent issus de la grande délinquance d’Europe de l’Est ou de banlieues sensibles.
Comment les braqueurs ont-ils su ?
C’est LA grande question que tout le monde se pose. Comment une équipe de dix personnes peut-elle savoir exactement quel camion viser, à quelle heure et à quel endroit précis ?
- Une taupe chez le transporteur ? Très probable.
- Un traceur GPS posé sur le camion en Pologne ou en Belgique ? Fréquent.
- Une complicité au sein même de l’entreprise de stockage ? Ça s’est déjà vu.
- Ou tout simplement un repérage minutieux pendant plusieurs jours ? Les équipes les plus sérieuses fonctionnent comme ça.
Dans tous les cas, l’opération était préparée. Quatre véhicules, une dizaine de gars prêts à intervenir en quelques secondes, une arme longue visible… Ce n’était clairement pas une bande d’amateurs qui tentait le coup sur un coup de tête.
La réaction du chauffeur : héroïque ou simplement humaine ?
Franchement, je ne sais pas si j’aurais eu le même sang-froid. Laisser derrière soi plusieurs centaines de milliers d’euros de marchandise, c’est un choix qui peut coûter cher à son employeur et, indirectement, à soi-même. Mais face à une arme, la vie vaut bien plus que n’importe quelle cargaison.
Et puis, il faut le dire : ce chauffeur a probablement sauvé la mise à tout le monde. Sans son réflexe de fuite immédiate, l’affaire aurait pu très mal tourner. On a déjà vu des convoyeurs se faire tirer dessus pour beaucoup moins que ça.
Un couple qui passait par là en voiture a d’ailleurs assisté à toute la scène et a appelé police-secours dans la foulée. Grâce à eux, les équipages de la BAC sont arrivés en moins de dix minutes. Trop tard pour coincer qui que ce soit, mais assez tôt pour sécuriser le camion et éviter qu’un second commando ne revienne finir le boulot.
Et maintenant ? L’enquête ne fait que commencer
Le camion a été saisi et emmené dans un commissariat des environs pour expertise complète. Les techniciens de la police scientifique passent actuellement l’habitacle et la remorque au peigne fin : empreintes, ADN, traces de chaussures, tout y passe.
Les bandes de vidéosurveillance de la zone industrielle vont être épluchées image par image. Et surtout, les enquêteurs vont remonter la chaîne logistique pour comprendre où la fuite d’information a eu lieu. Parce qu’il y a forcément eu une fuite.
Ce genre d’enquête peut durer des mois, voire des années. Mais chaque braquage raté laisse des indices. Et à force, les réseaux finissent par tomber.
Un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter
Ce qui me frappe, c’est à quel point ces affaires deviennent banales. On en entend parler tous les deux ou trois mois : un camion pris d’assaut sur une aire d’autoroute, un entrepôt vidé en pleine nuit, une livraison détournée avant même d’avoir atteint sa destination.
Et pendant ce temps, l’État perd des centaines de millions d’euros de taxes chaque année, les buralistes honnêtes mettent la clé sous la porte, et les consommateurs se fournissent auprès de réseaux mafieux… Tout le monde y perd, sauf les bandits.
Alors oui, cette fois-ci, l’histoire se termine « bien » : personne de blessé, la marchandise récupérée, les malfaiteurs bredouilles. Mais combien de temps avant le prochain coup ? Et surtout, combien de temps avant que ça tourne vraiment mal ?
Parce qu’un jour, un chauffeur dira non. Ou un vigile sera armé. Ou les braqueurs seront à bout de nerfs. Et là, on ne parlera plus d’un simple abandon de camion au milieu de la route…
En attendant, cette affaire de Carrières-sur-Seine nous rappelle une chose essentielle : derrière la routine apparente d’un transport de marchandises, il y a parfois des enjeux dignes d’un polar. Et des hommes qui, en une fraction de seconde, doivent choisir entre leur vie et leur mission.
Respect à ce chauffeur anonyme qui a préféré courir plutôt que risquer le pire. Il a peut-être évité un drame. Et ça, ça n’a pas de prix.
