Vous êtes déjà essayé de dormir avec un orchestre de klaxons, de cris et de musique à fond sous vos fenêtres jusqu’à 3 heures du matin ? Moi oui, pendant des années, quand j’habitais juste au-dessus d’un salon de manucure du boulevard de Strasbourg. Alors quand j’ai appris que la fermeture à 20 heures venait d’être reconduite jusqu’en mars 2026 dans les quartiers Château-d’Eau et Château-Rouge, j’ai eu un pincement au cœur… mais aussi, soyons honnêtes, un immense soupir de soulagement.
Une mesure qui change la nuit parisienne
Depuis le 1er décembre 2025, c’est officiel : les épiceries, salons de coiffure, boutiques de téléphonie et autres commerces des secteurs concernés doivent baisser le rideau à 20 heures précises. Pas 20 h 05, pas 20 h 15. 20 heures pile. Et cette fois, l’arrêté court jusqu’au début du printemps 2026.
Pour certains, c’est la délivrance. Pour d’autres, c’est la catastrophe économique. Et franchement, les deux camps ont des arguments qui tiennent la route.
Ce que disent les riverains (et ils ne mâchent pas leurs mots)
J’ai discuté il y a quelques jours avec Fatima, qui vit rue Myrha depuis vingt-cinq ans. Elle m’a raconté qu’avant la mesure, elle fermait ses volets dès 19 heures « pour ne plus voir ni entendre ». Aujourd’hui, elle laisse ses fenêtres ouvertes jusqu’à 22 heures en hiver. « On redécouvre le silence, c’est incroyable », m’a-t-elle lancé, les yeux brillants.
« Avant, à partir de 22 heures, c’était Beyrouth dehors. Les bagarres, les vendeurs de cigarettes qui hurlaient, les clients bourrés qui sortaient des salons… Là, à 20 h 30, je peux enfin regarder une série sans mettre le son à fond. »
Une habitante de la rue des Poissonniers
Et elle n’est pas seule. Les rapports de police parlent d’une baisse très nette des rassemblements, de la consommation de crack en pleine rue et des ventes à la sauvette après 20 heures. Les interventions des forces de l’ordre sont devenues plus simples : moins de monde, moins de tension, moins de risques.
Le revers de la médaille : des boutiques au bord du gouffre
Mais il y a l’autre côté de la barricade. Prenez Maria, qui tient un salon de manucure boulevard Magenta depuis 2012. Elle m’explique qu’elle faisait 70 % de son chiffre après 19 heures. Les clientes qui sortent du travail, celles qui viennent après les enfants, les poses longues qui se terminent à minuit… Tout ça, c’est fini.
« Des jours, je fais deux clientes. Deux. Je paye le loyer, les charges, les employées… Comment vous voulez que je tienne ? »
Et elle n’est pas un cas isolé. Certains salons ont déjà mis la clé sous la porte. D’autres songent à déménager en banlieue ou à se reconvertir. Parce que oui, ces quartiers vivent aussi – et surtout – la nuit.
Un périmètre qui s’agrandit et des verbalisations qui pleuvent
À Château-d’Eau, l’arrêté a même été élargi : la rue de la Fidélité, le passage du Prado et une partie du faubourg Saint-Martin sont désormais concernés. À Château-Rouge, tout le cœur du quartier – Barbès, Doudeauville, Myrha, Clignancourt – reste sous cloche.
- 192 verbalisations dans le Xe depuis décembre 2024
- 61 à Château-Rouge depuis février 2025
- Des commerçants qui « délocalisent » leur activité sur le trottoir après 20 heures (et se font verbaliser quand même)
- Des reports de nuisances sur les rues limitrophes
La police ne chôme pas. Et tant que les amendes tombent, certains préfèrent payer plutôt que de perdre toute leur clientèle du soir.
Les exceptions qui confirment la règle
Attention, tout n’est pas fermé à 20 heures. Les restaurants avec service à table, les bars, les hôtels, les pharmacies et les lieux culturels peuvent rester ouverts. Par contre, si vous vendez des nems ou des sandwichs à emporter dans la rue, c’est rideau à 20 heures aussi. Petite subtilité qui énerve pas mal de monde.
Et maintenant, on fait quoi ?
La vraie question, c’est : est-ce que cette mesure est une solution ou juste un pansement sur une jambe de bois ?
Parce que déplacer le problème de quelques rues plus loin, ce n’est pas le régler. Parce que mettre des commerces entiers en difficulté, c’est aussi risquer de créer du chômage et de la précarité dans des quartiers déjà fragiles. Et parce que, soyons lucides, la racine du mal – trafic de crack, pauvreté, absence de mixité sociale – ne disparaît pas avec un arrêté préfectoral.
Moi, ce qui me frappe, c’est cette impression de ville à deux vitesses. D’un côté, des arrondissements où la nuit est douce et animée jusqu’au bout de la nuit. De l’autre, des quartiers où on impose le couvre-feu commercial pour pouvoir simplement dormir.
Est-ce vraiment la seule solution ? Ne pourrait-on pas imaginer des médiations, des horaires aménagés, des aides pour les commerçants qui jouent le jeu, une présence policière renforcée mais continue ?
« On ne veut pas tuer ces quartiers, on veut juste pouvoir dormir. Mais on ne veut pas non plus tuer les commerçants qui n’ont rien demandé à personne de dealer devant leur boutique. »
Un riverain partagé
En attendant, jusqu’en mars 2026, le silence tombe à 20 heures. Certains y voient une victoire de la tranquillité publique. D’autres, une défaite du vivre-ensemble. Et vous, vous en pensez quoi ?
Parce qu’au final, Paris, c’est aussi ça : une ville qui cherche encore la recette magique pour que tout le monde – absolument tout le monde – puisse y trouver sa place, même quand la nuit tombe.
