Imaginez-vous en train de faire défiler votre téléphone à 2 heures du matin, attiré par une robe à 8 euros ou un gadget improbable. Et soudain, vous tombez sur une poupée sexuelle à l’apparence clairement enfantine. Choquant ? C’est exactement ce qui est arrivé à des milliers d’internautes français ces dernières semaines sur une plateforme ultra-populaire. Et là, l’État a dit stop.
Ce n’est plus seulement une histoire de prix cassés ou de livraisons express. On parle désormais de produits potentiellement pédopornographiques et d’armes de catégorie A vendus en quelques clics. Le genre de dérive qui fait bondir n’importe quel parent – et n’importe quel citoyen normalement constitué.
Un report qui en dit long sur la fragilité du dossier
Mercredi 26 novembre, tout était prêt. Avocats en robe, journalistes dans la salle, l’audience devait avoir lieu au tribunal judiciaire de Paris. Objectif affiché : obtenir la suspension totale pendant au moins trois mois du site en France, avec réouverture uniquement sous conditions drastiques.
Mais patatras. À la dernière minute, l’avocat de l’État demande un renvoi. Motif officiel : il a reçu les conclusions de la défense trop tard, la veille au soir. Motif officieux, selon les avocats de la plateforme ? Le gouvernement sentirait que le terrain est glissant.
« Le parquet a déjà indiqué qu’il ne soutiendrait pas la demande de blocage. C’est un point capital. »
– Un des conseils de la plateforme, juste après l’audience avortée
Et là, on touche du doigt quelque chose d’intéressant. Parce que si même la procureure estime que le blocage total n’est pas justifié, ça commence à faire beaucoup pour un dossier présenté comme « indiscutable » il y a encore quelques jours.
Que s’est-il réellement passé sur le site ?
Fin octobre, des signalements massifs. Des utilisateurs tombent sur des poupées sexuelles dont l’apparence est manifestement celle d’enfants. Des fiches produits avec photos explicites, descriptions sans équivoque. Et dans la foulée, on découvre aussi des armes blanches de catégorie A – celles dont la détention est strictement interdite au civil.
La plateforme retire immédiatement les produits incriminés, présente ses excuses, parle d’« erreurs de modération ». Mais pour les autorités françaises, c’est la goutte d’eau. Trop de précédents, trop de récidive.
- Absence de filtrage d’âge efficace
- Vente de produits interdits malgré les alertes répétées
- Manque de transparence sur les vendeurs tiers
- Algorithmes qui poussent parfois les contenus les plus choquants
Ces éléments, pris ensemble, ont justifié l’assignation en référé – la procédure d’urgence qui permet de demander une mesure conservatoire rapide.
Pourquoi le gouvernement veut frapper si fort
Il y a d’abord l’aspect protection de l’enfance. Vendre – même par erreur – des objets à caractère pédopornographique, c’est jusqu’à 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende en France. Et quand c’est une plateforme qui pèse des milliards et touche des millions de mineurs, l’État ne peut pas faire semblant de ne pas voir.
Ensuite, il y a la question de la responsabilité des plateformes. Depuis des années, on nous dit que ces géants chinois ne sont que des « places de marché », pas responsables des produits vendus par des tiers. Mais quand les dérives deviennent systémiques, cette excuse ne passe plus.
Et puis, soyons honnêtes, il y a aussi un volet politique. La fast-fashion ultra-low-cost est dans le collimateur depuis longtemps : pollution, conditions de travail, concurrence déloyale avec les entreprises françaises. Ce dossier tombe à pic pour justifier une action forte.
AliExpress et Joom bientôt dans le même bateau
Et Shein n’est que la première cible. Le ministre délégué au Commerce l’a annoncé clairement : les mêmes procédures vont être lancées dans les prochains jours contre AliExpress et Joom, pour des faits similaires.
On parle là de trois des plus gros acteurs du e-commerce chinois en France. Si le gouvernement obtient gain de cause, c’est une partie non négligeable des achats en ligne des Français qui pourrait être bouleversée.
| Plateforme | Produits incriminés | Procédure en cours |
| Shein | Poupées sexuelles enfantines + armes cat. A | Audience reportée au 5 décembre |
| AliExpress | Poupées similaires | Assignation imminente |
| Joom | Poupées similaires | Assignation imminente |
Et derrière ces trois noms, il y en a d’autres qui observent avec inquiétude : Temu, Wish… Toute la galaxie du e-commerce ultra-low-cost est sous tension.
Les arguments de la défense (et pourquoi ils tiennent la route)
De l’autre côté, les avocats de la plateforme ne viennent pas les mains vides. Ils rappellent que :
- Les produits ont été retirés en quelques heures
- Des millions de références sont mises en ligne chaque jour – impossible de tout vérifier manuellement
- Des outils d’intelligence artificielle sont déployés pour détecter les contenus illicites
- La responsabilité pénale des hébergeurs est strictement encadrée par la loi
Surtout, ils posent une question qui dérange : si on bloque un site entier pour quelques centaines de produits problématiques sur des dizaines de millions, où pose-t-on la limite ? Demain, pourra-t-on bloquer Amazon parce qu’un vendeur tiers propose un couteau interdit ?
Cette question de la proportionnalité sera au cœur du débat le 5 décembre.
Ce que ça dit de notre rapport au e-commerce chinois
Franchement, cette affaire met en lumière quelque chose qu’on savait déjà mais qu’on préférait ignorer : on a laissé s’installer une forme d’achat compulsif, presque addictif, où le prix prime sur tout le reste. Y compris sur la sécurité, l’éthique, la légalité.
Quand une ado de 14 ans peut commander à 3h du matin une poupée sexuelle sans aucun contrôle, c’est qu’il y a un problème systémique. Pas juste une « erreur de modération ».
Et le plus fou ? C’est qu’on continue. Les commandes affluent toujours. Preuve que le prix reste, pour beaucoup, plus fort que le scandale.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles au 5 décembre
- Le blocage total : le juge suit l’État, le site devient inaccessible en France pendant trois mois minimum. Coup dur commercial, précédent majeur.
- Le blocage partiel : suspension uniquement pour les mineurs ou certaines catégories de produits. Solution médiane qui ferait grincer des dents des deux côtés.
- Le rejet pur et simple : le juge estime la mesure disproportionnée. Victoire symbolique énorme pour les plateformes chinoises.
Personnellement, je penche pour la deuxième option. Le blocage total serait un précédent trop lourd à assumer pour la justice française, surtout si le parquet ne suit pas.
Mais une chose est sûre : le 5 décembre 2025, on va assister à un moment important dans la régulation du e-commerce en Europe. Parce que ce qui se joue à Paris concerne potentiellement toute l’Union.
En attendant, la question reste posée : jusqu’où est-on prêt à aller pour continuer à acheter à 5 euros ce qui coûte 50 euros ailleurs ?
À méditer avant le prochain scroll nocturne.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
