Il y a des matins où Paris se réveille dans la douceur, et d’autres où elle se réveille dans la violence la plus brutale. Ce mercredi 26 novembre, vers 10 h 40, une retraitée de 73 ans marchait tranquillement rue de l’Ave-Maria, à deux pas des jardins Saint-Paul et des quais de Seine. Rien ne laissait présager la tragédie qui allait se jouer en quelques secondes.
Une camionnette de location, banal utilitaire blanc que l’on croise partout dans la capitale, effectue une marche arrière. Peut-être pour se garer, peut-être pour manœuvrer dans cette rue étroite typique du Marais. Et puis le choc. Violent. Inattendu. Irréversible.
Un accident qui glace le sang
Lorsque les pompiers arrivent, il est déjà trop tard. La victime gît sur les pavés, grièvement blessée. Malgré les efforts du SMUR, elle décède peu après l’impact. À 73 ans, cette Parisienne anonyme devient, en un instant, le symbole tragique d’une réalité que l’on préfère souvent ignorer : nos rues ne sont pas toujours aussi sûres qu’on veut bien le croire.
Le conducteur, un homme de 51 ans, est en état de choc. Les premiers dépistages sont formels : il n’a ni bu ni consommé de stupéfiants. L’enquête pour homicide involontaire est ouverte et confiée au service spécialisé dans les accidents de la circulation. Mais au-delà des procédures, c’est tout un quartier qui reste sonné.
Ces petites rues du Marais, pièges mortels déguisés
Je connais bien ce coin. La rue de l’Ave-Maria, la rue des Jardins-Saint-Paul, c’est le cœur historique du 4e, là où les immeubles se serrent, où les trottoirs font parfois à peine un mètre de large. On y croise des touristes ébahis devant les façades du XVIIe siècle, des vieux Parisiens qui promènent leur chien, et surtout… des camionnettes.
Des camionnettes partout. Livraisons Amazon, artisans, déménageurs, traiteurs… Le Marais est devenu en quelques années un incroyable nœud logistique. Et qui dit camionnette dit souvent manœuvres compliquées, angles morts béants, conducteurs pressés par le timing infernal des plateformes.
« On voit passer des utilitaires toutes les deux minutes. Ils doublent en warning, ils montent sur les trottoirs, ils reculent sans regarder… On a beau râler, rien ne change. »
Un riverain du quartier, croisé quelques mois plus tôt
Et ce jour-là, le drame a eu lieu.
Les angles morts, ce fléau silencieux
Une camionnette de location, c’est souvent un véhicule sans caméra de recul performante, sans détecteur d’obstacles sonores, parfois même sans rétro intérieur. Le conducteur regarde dans ses rétroviseurs, mais une personne âgée, de petite taille, qui marche près du mur… elle disparaît littéralement du champ de vision.
J’ai moi-même conduit ce type d’utilitaire. Et je vous assure que quand vous reculez dans une rue étroite, le stress monte vite. Un piéton peut surgir de nulle part. Un enfant, un senior, quelqu’un qui regarde son téléphone… Et en une fraction de seconde, tout bascule.
- Pas de visibilité directe à l’arrière
- Rétroviseurs souvent mal réglés sur les véhicules de location
- Absence fréquente d’assistance électronique sur les modèles anciens
- Conducteurs parfois peu formés à ce type de gabarit
- Rues historiques non conçues pour le trafic actuel
Tous ces facteurs se sont-ils additionnés ce matin-là ? L’enquête le dira.
Les seniors, population particulièrement vulnérable
À 73 ans, on marche parfois un peu moins vite, on entend moins bien les klaxons, on ne se retourne pas toujours au bruit d’un moteur. Et dans une ville où le rythme s’est accéléré comme jamais, cette différence de tempo peut devenir fatale.
Ce n’est pas la première fois, hélas. On se souvient de cet autre accident mortel dans le bois de Boulogne, ou de ce piéton fauché dans le 16e par un utilitaire en fuite. À chaque fois, le même schéma : un véhicule professionnel, une manœuvre, un piéton âgé ou fragile.
Et pourtant, on continue de livrer Paris comme si la ville était un immense entrepôt à ciel ouvert.
La livraison, ce rouleau compresseur urbain
Commandez un livre à 10 h 37, il arrive à 14 h. Pratique, magique, addictif. Mais derrière cette fluidité apparente, il y a des milliers de camionnettes qui sillonnent les rues, souvent conduites par des intérimaires payés à la course, pressés par des algorithmes impitoyables.
Est-ce que l’on a assez mesuré le coût humain de cette hyper-livraison ? Clairement non.
Dans certains quartiers, les riverains comptent jusqu’à 200 passages de véhicules utilitaires par jour. C’est énorme. Et chaque passage augmente mécaniquement le risque.
Et maintenant, quelles solutions concrètes ?
On pourrait parler longtemps des caméras 360°, des avertisseurs sonores obligatoires, des formations renforcées pour les conducteurs professionnels. Tout cela existe déjà, mais n’est pas généralisé, surtout sur les véhicules de location.
On pourrait aussi parler de réserver certaines rues aux piétons, de limiter les horaires de livraison, d’imposer des véhicules plus petits ou électriques avec meilleure visibilité. Des expériences sont en cours dans plusieurs villes européennes.
Mais surtout, il faudrait peut-être qu’on accepte collectivement de ralentir un peu. De payer quelques euros de plus pour une livraison le lendemain plutôt que le jour même. De repenser notre rapport à l’immédiateté.
La vitesse tue. Et dans Paris intra-muros, la vitesse, c’est parfois simplement le fait de vouloir tout, tout de suite.
Ce drame du 26 novembre n’est pas qu’un fait divers de plus. C’est un signal d’alarme. Un de plus, certes, mais peut-être celui qui fera enfin bouger les lignes.
En attendant, quelque part dans le 4e arrondissement, une famille pleure une mère, une grand-mère, une voisine. Et Paris, cette ville qu’on dit si belle, porte une nouvelle cicatrice invisible sur ses pavés anciens.
Reposez en paix, madame.
(Article rédigé à partir des éléments connus à ce jour – l’enquête est en cours et de nouveaux détails pourraient apparaître dans les prochaines heures ou jours.)
