Vous êtes-vous déjà demandé qui se cache derrière les plus grands acteurs français, ceux qu’on applaudit au cinéma ou sur les planches depuis des décennies ? Moi, chaque fois que je vois Patrick Chesnais, je me dis qu’il y a forcément eu quelqu’un, quelque part, qui a allumé la petite étincelle chez ce gamin un peu paumé de Rouen. Eh bien ce quelqu’un existe, il s’appelait Jean Chevrin, et vendredi soir, le conservatoire de Rouen va enfin lui dire merci comme il le mérite.
Un professeur qui a changé des vies entières
Imaginez un peu la scène. On est dans les années 60, à Rouen, pas franchement la capitale du spectacle. Un adolescent de 16 ans, pas brillant à l’école, issu d’un milieu modeste, se prend les pieds dans le rideau lors de son audition d’entrée au conservatoire. Il s’étale de tout son long devant le jury. Tout le monde éclate de rire… sauf un homme qui sourit avec une infinie douceur. Cet homme, c’est Jean Chevrin. Et ce gamin, vous l’avez deviné, c’est Patrick Chesnais.
Ce moment, Chesnais ne l’a jamais oublié. Il le raconte encore aujourd’hui avec cette émotion brute qui vous prend aux tripes. Parce que Chevrin n’a pas ri de lui, il a ri avec lui. Et surtout, il a vu quelque chose que personne d’autre n’avait vu.
Une méthode fondée sur la bienveillance absolue
Ce qui frappe quand on écoute les anciens élèves de Jean Chevrin – et ils sont nombreux à témoigner –, c’est cette récurrence : il était d’une bienveillance extrême. Pas de hurlements, pas d’humiliation, pas de « tu ne seras jamais acteur ». Juste une attention totale portée à chaque élève, comme s’il était le seul au monde.
« Il s’adressait à vous comme si vous étiez unique. »
Patrick Chesnais
Dans un milieu où certains professeurs cassent pour mieux reconstruire, Chevrin construisait sans jamais détruire. Il faisait aimer les grands textes – Molière, Shakespeare, Marivaux – avec une douceur presque paternelle. Et pourtant, le résultat était là : des élèves qui décrochaient le Conservatoire national à Paris, qui tournaient avec les plus grands, qui remplissaient les salles pendant des décennies.
Une liste d’élèves qui donne le vertige
Quand on dresse la liste, on a du mal à y croire. Tenez-vous bien :
- Patrick Chesnais (plus de 110 films, César du meilleur acteur)
- Valérie Lemercier
- Franck Dubosc
- Anny Duperey
- Virginie Lemoine
- Emmanuel Gayet
- Jacques Le Carpentier
- Alexis Desseaux
Et je dois en oublier. Tous sont passés entre les mains de ce professeur discret qui enseignait à Rouen et parfois à Paris, mettait en scène, jouait lui-même, mais surtout transmettait une passion dévorante pour le jeu.
Franchement, quelle autre école de province peut se vanter d’une telle pépinière de talents ?
Le livre qui rend enfin justice
Treize-huit ans après sa disparition en 1987, Gérard Contremoulin publie enfin la biographie que Jean Chevrin méritait : Jean Chevrin, jouer, enseigner, faire jouer… Un pavé tendre et documenté qui retrace la vie de cet homme qui préférait l’ombre à la lumière.
À l’occasion de la sortie, le conservatoire à rayonnement régional de Rouen organise une grande soirée hommage ce vendredi 28 novembre. Patrick Chesnais sera là, évidemment. D’autres anciens élèves aussi. Ce sera sans doute très émouvant, de ces soirées où l’on rit et où l’on pleure en même temps.
Quand un professeur voit avant tout le monde
L’anecdote la plus folle ? Lors du concours d’entrée, après la fable de La Fontaine récitée par le jeune Chesnais, Jean Chevrin lâche devant tout le groupe :
« Par hasard, on a la chance de rencontrer quelqu’un qui fera une carrière. Patrick Chesnais sera de ceux-là. »
Il convoque ensuite les parents – qui traversaient une période très difficile – pour leur dire que leur fils doit absolument continuer. Deux ans plus tard, Chesnais entrait au Conservatoire national (30 reçus sur 1 000 candidats). Sans Chevrin, rien de tout ça n’aurait existé.
Cette capacité à détecter le talent brut, à le polir sans le briser, c’est rare. Très rare.
Pourquoi cet hommage arrive maintenant
On pourrait se dire : pourquoi avoir attendu si longtemps ? Peut-être parce que les grands pédagogues sont souvent oubliés au profit de leurs élèves devenus stars. Peut-être aussi parce que Chevrin lui-même n’aimait pas les honneurs. Il préférait voir ses « produits » – comme il disait avec tendresse – briller sous les projecteurs.
Mais aujourd’hui, avec ce livre et cette soirée, on répare une injustice. On redonne à César… non, à Chevrin, ce qui appartient à Chevrin.
Et nous, qu’est-ce qu’on peut en retenir ?
Personnellement, cette histoire me touche particulièrement. Parce qu’elle parle de transmission. De ces professeurs qui changent une vie sans jamais demander de médaille. De ces rencontres qui font basculer un destin.
Dans un monde où on valorise souvent le talent brut, le buzz, le réseau, l’histoire de Jean Chevrin rappelle une vérité simple : parfois, il suffit d’un regard bienveillant, d’une main tendue au bon moment, pour que tout devienne possible.
Alors si vous êtes de passage à Rouen vendredi soir, ou si vous connaissez quelqu’un qui aime le théâtre, foncez au conservatoire. Ce sera sans doute l’une de ces soirées dont on se souvient toute sa vie.
Parce qu’au fond, rendre hommage à Jean Chevrin, c’est rendre hommage à tous ces professeurs de l’ombre qui font la grandeur du théâtre français.
Et vous, avez-vous eu dans votre vie un « Jean Chevrin » ? Un professeur, un mentor, quelqu’un qui a cru en vous avant tout le monde ?
Partagez-le en commentaire. Ces histoires-là méritent d’être racontées.
