Franchement, on l’avait vu venir à des kilomètres. Mercredi soir, les quatorze parlementaires de la commission mixte paritaire se sont retrouvés, ont échangé quelques politesses, et puis… rien. Pas l’ombre d’un compromis sur le budget de la Sécurité sociale pour 2026. Le texte repart donc à l’Assemblée nationale en deuxième lecture dès la semaine prochaine. Et là, ça va devenir très chaud.
Je ne vais pas vous refaire l’historique complet, vous le sentez déjà : entre une majorité relative au Palais Bourbon et un Sénat fermement ancré à droite, le cocktail était explosif. Résultat ? Un échec aussi rapide que prévisible.
Un divorce consommé dès le départ
Reprenons depuis le début, calmement. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) arrive traditionnellement en octobre. Cette année, le gouvernement espérait faire passer des mesures d’économies assez rudes : ralentissement des dépenses de santé, déremboursements ciblés, et surtout, la poursuite tranquille de la réforme des retraites votée il y a deux ans.
Problème : à l’Assemblée, la majorité relative a dû composer. Certains alliés de gauche du bloc central ont exigé – et obtenu – une clause de suspension temporaire de la réforme des retraites en cas de retour au plein-emploi. Une sorte de gage politique. Le texte est passé, mais avec cette épine plantée dedans.
Arrive le Sénat. Majorité de droite, ambiance radicalement différente. Là, on efface purement et simplement la suspension de la réforme. On rajoute des économies supplémentaires sur les arrêts maladie, on durcit les conditions pour certaines aides, et on renvoie la copie à l’Assemblée avec un sourire poli.
« La copie du Sénat est orthogonalement opposée à celle de l’Assemblée », lâchait déjà, avant même le vote, un poids lourd de la chambre haute.
Autant dire que la commission mixte paritaire n’avait pratiquement aucune chance. Sept députés, sept sénateurs, une heure de réunion à peine, et hop, communiqué laconique : « le travail parlementaire se poursuit ». Traduction : on n’a rien trouvé, circulez.
Les points qui ont tout bloqué
Pour comprendre l’ampleur du fossé, il faut regarder les mesures qui ont fait hurler d’un côté ou de l’autre.
- La suspension de la réforme des retraites : présente à l’Assemblée, rayée par le Sénat. Pour la droite sénatoriale, c’est non négociable.
- Les économies sur les arrêts maladie : le Sénat a voté des jours de carence supplémentaires pour les fonctionnaires et un contrôle renforcé. À gauche, on crie à la punition des malades.
- Le plafonnement des niches sociales pour les entreprises : le Sénat veut aller beaucoup plus loin que le gouvernement.
- La revalorisation des pensions minimales : l’Assemblée avait glissé quelques gestes, vite rattrapés à droite.
Bref, on est loin d’un simple ajustement technique. On parle de visions totalement opposées sur la protection sociale.
Deuxième lecture : le moment de vérité
Maintenant, tout se joue à l’Assemblée. Et là, ça devient du funambulisme politique pur.
Le gouvernement va présenter un texte proche de la version initiale votée en première lecture, c’est-à-dire avec la suspension de la réforme des retraites. Pour faire passer ça, il a besoin de chaque voix du bloc central. Une seule défection, et c’est le rejet.
Et si rejet il y a ? Alors on entre dans la zone rouge : ordonnances, 49.3 à répétition, ou pire, un budget reconduit à l’identique de 2025 (ce qui serait catastrophique vu le dérapage prévu des dépenses).
« Ça peut dérailler », reconnaissait déjà il y a quelques jours un ministre devant ses troupes.
Traduction : personne n’a envie d’en arriver là, mais tout le monde s’y prépare.
Pourquoi cet échec n’est pas une surprise (et pourtant inquiétant)
En réalité, l’échec de la CMP était écrit. Depuis les législatives de 2024, on sait que le Parlement est éclaté. Le Sénat, verrouillé par la droite, joue son rôle de contre-pouvoir avec une certaine jubilation. L’Assemblée, elle, reste le terrain de jeu incertain du gouvernement.
Mais cette fois, le sujet est explosif : la Sécu, c’est 600 milliards d’euros par an. C’est la santé, les retraites, la famille, le travail. Quand ça bloque là-dessus, c’est tout le modèle social qui vacille.
Et le déficit, lui, continue de creuser tranquillement : on table sur près de 15 milliards d’euros de trou pour la branche maladie en 2026 si rien ne bouge. Autant dire que le temps presse.
Les scénarios possibles d’ici la fin de l’année
- Le scénario rose : le gouvernement parvient à rallier tout son camp, le texte passe en deuxième lecture, le Sénat râle mais ne peut plus rien faire. Peu probable, mais pas totalement impossible.
- Le scénario central (le plus réaliste) : quelques frondeurs menacent de voter contre. Le gouvernement brandit le 49.3. Le texte passe, mais l’image de l’exécutif en prend un coup. Classique.
- Le scénario noir : trop de défections. Rejet du texte. Là, c’est la panique : ordonnances massives, possible dissolution (même si personne n’y croit vraiment), et une crise politique majeure à quelques mois des municipales.
Personnellement, je penche pour le scénario numéro 2. On a déjà vu ce film plusieurs fois depuis deux ans.
Ce que ça dit de notre démocratie
Derrière les chiffres et les articles de loi, il y a une question plus profonde : est-ce que notre système institutionnel est encore adapté quand aucune majorité claire n’existe ? Le Sénat corrige, l’Assemblée tranche, le gouvernement force… On tourne en rond.
Certains diront que c’est le jeu normal de la navette parlementaire. D’autres y verront la preuve qu’il faut changer les règles, renforcer le pouvoir exécutif ou, au contraire, redonner plus de poids au Parlement.
En attendant, ce sont les Français qui trinquent : incertitude sur leurs remboursements, sur leurs retraites, sur la pérennité du système.
Et maintenant, on fait quoi ?
La semaine prochaine, les débats reprennent à l’Assemblée. Les amendements vont pleuvoir. Les négociations de couloir vont battre leur plein. Et quelque part, dans un bureau du ministère des Comptes publics, on doit déjà rédiger les ordonnances au cas où.
Ce qui est sûr, c’est que le budget de la Sécu 2026 ne ressemblera probablement ni à la version initiale du gouvernement, ni à celle du Sénat. Il sera un compromis bancal, arraché dans la douleur.
Comme souvent en politique, finalement.
Mais cette fois, le prix d’un échec serait particulièrement lourd. Alors croisons les doigts pour que, malgré tout, un minimum de raison l’emporte.
(Article mis à jour le 26 novembre 2025 – Suivez l’évolution des débats en direct la semaine prochaine)
