Vous souvenez-vous de l’automne 2017 ? Ce moment précis où Hollywood semblait vaciller sur ses bases, comme un décor de carton-pâte pris dans un ouragan. Une accusation, puis dix, puis des dizaines. Et au milieu de ce chaos, un nom revenait sans cesse : Kevin Spacey. Huit ans plus tard, l’histoire n’est toujours pas terminée. Elle prend simplement une nouvelle forme, plus lente, plus intime, plus incertaine.
Ce mercredi de novembre 2025, la Haute Cour de Londres a fixé une date. Octobre 2026. Trois hommes, trois plaintes civiles pour agressions sexuelles. Des faits présumés qui se seraient déroulés entre 2004 et 2015, à l’époque où l’acteur américain dirigeait le prestigieux théâtre Old Vic. Et cette fois, il ne s’agit plus de prison ou d’acquittement spectaculaire. Il s’agit d’argent, de vérité officielle, et surtout de reconnaissance.
Un acquittement pénal ne clôt pas tout
Revenons deux ans en arrière. Été 2023. Après des semaines d’un procès ultra-médiatisé, Kevin Spacey sort libre du tribunal de Southwark. Les quatre plaignants n’ont pas réussi à convaincre le jury « au-delà du doute raisonnable », ce standard si exigeant du droit pénal britannique. Soulagement immense pour l’acteur, larmes, déclarations vibrantes. Beaucoup pensaient que c’était fini.
Eh bien non. Parce qu’en droit, acquittement pénal et responsabilité civile, ce sont deux mondes différents. L’un demande la certitude absolue, l’autre une simple « balance des probabilités ». Traduction : il est beaucoup plus facile de perdre au civil. Et deux des anciens plaignants du procès pénal ont décidé de retenter leur chance. Ils ont été rejoints par un troisième homme, qui a choisi, lui, de sortir de l’anonymat.
Ruari Cannon, le plaignant qui a brisé le silence
À 21 ans, Ruari Cannon rêvait de théâtre. Il croisait régulièrement celui qui était alors l’une des figures les plus puissantes du West End. En 2013, lors d’un événement public, il dit avoir subi des gestes déplacés, devant témoins. Des années plus tard, il a raconté son histoire dans un documentaire choc diffusé au printemps 2024. Et aujourd’hui, il attaque non seulement l’acteur, mais aussi le théâtre Old Vic lui-même. Son argument ? L’établissement aurait failli à son devoir de protection.
« J’ai décidé de mettre mon nom. Je ne veux plus être un numéro. »
Ruari Cannon, février 2025
C’est une stratégie risquée. En renonçant à l’anonymat, il s’expose à tout : la pression médiatique, les attaques en ligne, le regard des proches. Mais c’est aussi une forme de pouvoir retrouvé. Il impose son visage, son histoire, sa vérité.
2004-2015 : l’ère Old Vic, une période sous haute tension
Quand Kevin Spacey prend la direction artistique du Old Vic en 2004, c’est un coup de maître. Une star hollywoodienne doublement oscarisée qui choisit le théâtre londonien, qui promet de faire revenir le public. Pendant onze ans, il va diriger la maison, programmer des pièces audacieuses, attirer les talents. Mais derrière les projecteurs, certains disent qu’il régnait une forme d’omerta.
- Des jeunes acteurs invités à des « soirées privées » après les représentations
- Des messages tardifs, des invitations insistantes
- Un pouvoir immense sur la carrière de ceux qui débutaient
- Une culture du silence, parce que « c’est Kevin Spacey, quand même »
Au fil des années, les témoignages se sont accumulés. Pas assez pour une condamnation pénale, apparemment. Mais assez pour que trois hommes décident aujourd’hui de demander réparation devant un juge civil.
Civil vs pénal : comprendre les enjeux réels
Beaucoup de gens croient, à tort, qu’un acquittement pénal efface tout. En réalité, les procès civils sont une autre paire de manches. Voici les différences qui comptent vraiment :
| Critère | Procès pénal | Procès civil |
| Preuve requise | Au-delà du doute raisonnable | Balance des probabilités (51 %) |
| Conséquences | Prison ou liberté | Dommages et intérêts |
| Jury | 12 personnes | Souvent un juge seul |
| Visibilité | Énorme | Plus discrète, mais durable |
En clair : même si le doute a profité à l’acteur en 2023, il pourrait ne pas suffire en 2026. Et les sommes réclamées risquent d’être très élevées.
Et maintenant ? Les scénarios possibles
Franchement, tout reste ouvert. J’ai suivi suffisamment d’affaires de ce type pour savoir qu’on peut passer de « c’est plié » à « retournement total » en une seule journée d’audience. Voici les hypothèses les plus probables :
- Un règlement à l’amiable confidentiel (le scénario le plus fréquent dans ce genre de dossier)
- Une victoire complète des plaignants, avec des dommages punitifs qui feraient jurisprudence
- Un procès fleuve, retranscrit partout, qui remettrait toute la carrière de l’acteur sur la table
- Une décision mitigée : responsabilité partagée, indemnités modérées
Ce qui est sûr, c’est que l’attente va être longue. Onze mois minimum avant le début des débats. Onze mois pendant lesquels chaque camp va affûter ses arguments, chercher de nouveaux témoins, fouiller les archives du Old Vic.
Une carrière en suspens depuis huit ans
Quand on y repense, c’est presque vertigineux. En 2017, Kevin Spacey était encore Frank Underwood, une icône. Quelques semaines plus tard, plus rien. Remplacé dans All the Money in the World, effacé de la saison 6 de House of Cards, banni des cérémonies. Depuis, quelques apparitions confidentielles en Europe, des rôles dans des films indépendants sortis directement en VOD. Et c’est tout.
À 66 ans, il reste un talent brut, personne ne le nie. Mais le retour semble impossible tant que ces affaires traînent. Et même en cas de nouvelle victoire judiciaire, le public pardonnera-t-il ? J’ai un doute. Le mouvement #MeToo a changé les règles. Ce qui passait autrefois comme « excès de star » est aujourd’hui jugé avec une sévérité inédite.
Ce que cette affaire dit de notre époque
Au-delà du cas personnel, il y a quelque chose de fascinant. On est en train de vivre la fin d’un modèle : celui de la star intouchable. Ce procès civil, c’est aussi le symbole d’une justice qui se cherche, entre la lourdeur pénale et la souplesse civile. Entre le besoin de preuve irréfutable et le désir de reconnaissance des victimes.
Et puis il y a cette question qui me trotte dans la tête depuis le début : jusqu’où peut-on séparer l’homme de l’artiste ? Les rôles magnifiques de Kevin Spacey dans American Beauty, Se7en ou The Usual Suspects vont-ils un jour redevenir simplement des grands films, ou resteront-ils à jamais entachés ? Je n’ai pas la réponse. Peut-être qu’on ne l’aura jamais vraiment.
Ce qui est certain, c’est qu’en octobre 2026, Londres va de nouveau braquer ses projecteurs sur un homme qui a passé sa vie sous les lumières. Et cette fois, la scène risque d’être bien moins glorieuse que celles qu’il a connues.
En attendant, l’histoire continue. Et quelque part, c’est aussi la nôtre : celle d’une société qui apprend, lentement, douloureusement, à écouter celles et ceux qui osent enfin parler.
