Vous est-il déjà arrivé, coincé dans les bouchons du périph un soir d’hiver, de vous demander pourquoi on accepte encore ce mur de béton qui nous pourrit la vie depuis cinquante ans ? Moi oui, souvent. Et visiblement, je ne suis pas le seul.
Ces derniers mois, le débat sur l’avenir du périphérique parisien a pris une tournure inattendue. Ce n’est plus seulement une question technique d’urbanistes ou d’élus : ça concerne tout le monde. Celui qui habite porte de Gentilly et qui n’ose plus ouvrir ses fenêtres à cause du bruit. Celle qui fait Gentilly-Paris à vélo et frôle la mort tous les matins. Le livreur qui tourne trois heures pour trouver une place. Ils ont tous un avis. Et cet avis, croyez-moi, ils ne se gênent pas pour le dire.
Un projet qui ne laisse personne indifférent
Le principe est simple sur le papier : transformer progressivement l’anneau autoroutier en boulevard urbain limité à 50 km/h, avec des voies réservées au covoiturage et aux transports en commun, des pistes cyclables sécurisées, des trottoirs élargis et surtout, beaucoup, beaucoup de verdure. L’idée fait rêver certains et hurler les autres.
Sur le terrain, à deux pas de la porte de Gentilly, l’ambiance est électrique. J’ai passé plusieurs après-midi à discuter avec les gens du quartier, ceux qui vivent littéralement au-dessus ou à côté du monstre de béton. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les avis sont tranchés.
« Enfin, on va pouvoir respirer ! »
Thomas, la trentaine, habite avenue Paul-Vaillant-Couturier depuis cinq ans. Il a acheté là « parce que c’était moins cher qu’à Paris intra-muros », mais il le regrette certains jours.
« L’été, avec la chaleur, on étouffe. Le bruit est permanent, même fenêtres fermées. Quand j’ai appris qu’ils voulaient planter des arbres et baisser la vitesse, j’ai failli embrasser le facteur qui m’a apporté le courrier de la concertation ! »
Il n’est pas seul. Beaucoup de jeunes parents que j’ai croisés partagent ce sentiment. Ils rêvent d’un quartier où leurs enfants pourront jouer dehors sans avaler des particules fines à chaque respiration. L’argument santé revient sans cesse. Et franchement, quand on connaît les chiffres de pollution dans le secteur, on comprend pourquoi.
Une maman, poussette double à la main, m’a même lancé avec un sourire jusqu’aux oreilles : « Si ça se fait, je fais un gâteau pour toute la copro ! » L’espoir fait vivre.
« Et mes 40 minutes de trajet qui deviennent 1h30 ? »
À l’opposé, il y a ceux qui voient le projet comme une déclaration de guerre personnelle. Farid livre des colis pour une grande plateforme. Il fait Saint-Denis – Orly tous les jours.
« Déjà qu’avec la limitation à 50 km/h c’est l’enfer certains matins, si en plus ils enlèvent des voies pour mettre des vélos que personne n’utilise l’hiver… Non mais sérieusement, ils vivent sur quelle planète les gens qui décident ça ? »
Il n’est pas le seul à penser ça. Les artisans, les commerciaux, les infirmières libérales qui traversent Paris plusieurs fois par jour : tous redoutent l’embouteillage permanent. L’un d’eux m’a même dit, à moitié sérieux : « Autant me demander de revenir aux années 70 avec une 2CV et calèche ! »
Le sentiment d’abandon est palpable. Beaucoup ont l’impression qu’on sacrifie leur quotidien pour une vision « bobo-écolo » qui ne correspond pas à leur réalité.
Les cyclistes, entre enthousiasme et prudence
Puis il y a les usagers « doux ». Camille, 28 ans, fait Paris-Gentilly tous les jours à vélo électrique.
Elle est partagée : « Franchement, si les pistes sont bien faites et continues, je signe tout de suite. Mais j’ai vu trop de projets où on annonce monts et merveilles et au final on se retrouve avec une bande peinte en vert où les voitures se garent dessus. »
Sage prudence. Parce que oui, tout le monde se souvient des aménagements cyclables « à la va-vite » post-Covid qui ont parfois fait plus de mal que de bien à l’image du vélo.
La question qui fâche : qui paie ?
Derrière les avis passionnés, il y a une réalité brutale : le coût. Des milliards d’euros pour végétaliser, élargir, sécuriser, couvrir certaines portions… Quand j’ai demandé aux gens qui devait payer, les réponses fusent.
- « Les automobilistes, avec une taxe supplémentaire ? Hors de question ! »
- « L’État, c’est un projet d’intérêt national. »
- « Les promoteurs immobiliers qui vont se gaver sur les terrains libérés. »
- « Les entreprises polluantes, voilà qui devrait payer ! »
Personne n’est d’accord, évidemment. Mais tout le monde sent que la facture sera salée. Et que quelqu’un finira par la recevoir.
Un précédent qui fait réfléchir : la limitation à 50 km/h
Depuis quelques mois, le périph est déjà limité à 50 km/h sur certaines portions. J’ai demandé aux riverains s’ils avaient constaté une différence.
Réponse quasi unanime : oui, un peu moins de bruit, un peu moins de pollution ressentie. Mais aussi… des bouchons plus longs aux heures de pointe. L’équation est cruelle : on gagne en qualité de vie pour ceux qui habitent là, on perd en fluidité pour ceux qui traversent.
Certaines personnes m’ont dit, presque gênées : « On respire mieux… mais on a un peu honte quand on voit les files de voitures à l’arrêt sous nos fenêtres. » Complexe, la vie.
Et si la solution était ailleurs ?
Ce qui m’a le plus marqué dans ces discussions, c’est que presque tout le monde – même les plus opposés au projet actuel – reconnaît qu’il faut faire quelque chose. Personne ne défend le périph tel qu’il est aujourd’hui.
Mais beaucoup proposent d’autres pistes :
- Couvrir certaines portions pour créer des parcs suspendus (l’idée revient souvent)
- Développer massivement les parkings relais en banlieue avec des navettes rapides
- Mettre en place un vrai péage urbain comme à Londres ou Stockholm
- Créer des voies réservées au covoiturage dès 2 personnes (pas 3 comme envisagé)
- Investir dans le métro et le RER plutôt que de « maquiller » le périph
Autant de pistes qui mériteraient, peut-être, d’être étudiées avec autant d’énergie que le boulevard urbain.
Parce qu’au fond, ce qui ressort de toutes ces rencontres, c’est une immense lassitude. Les gens en ont marre des grands effets d’annonce. Ils veulent des solutions concrètes, rapides et surtout qui prennent en compte leur vie de tous les jours.
Le périphérique parisien, c’est un peu le miroir de nos contradictions : on veut tous moins de voitures, mais on a tous besoin de la nôtre. On veut du calme et du silence, mais on ne veut pas payer plus cher l’essence ou le stationnement. On rêve de ville verte, mais on râle quand on supprime une voie pour planter des arbres.
Alors, boulevard urbain ou pas, une chose est sûre : le débat ne fait que commencer. Et tant qu’on n’aura pas trouvé un moyen de réconcilier ceux qui habitent là avec ceux qui passent là, on tournera en rond.
Comme sur le périph, justement.
