Vous êtes-vous déjà retrouvé à marcher dans une ville complètement plongée dans le noir à partir de minuit ? Pas juste quelques rues mal éclairées, non : vraiment tout éteint, comme si on avait appuyé sur l’interrupteur géant de la commune. À Dieppe, pendant trois longues années, c’est exactement ce qui se passait. Et puis, presque du jour au lendemain, la lumière est revenue. Pas une demi-mesure, pas un test timide : tous les réverbères, partout, toute la nuit. Franchement, ça fait bizarre quand on y repense.
Un retour à la lumière qui ne doit rien au hasard
Revenons un peu en arrière. En 2022, quand le prix du mégawattheure a explosé à cause de la guerre en Ukraine et de la fin des tarifs réglementés, les petites et moyennes villes se sont retrouvées devant un dilemme brutal : payer des factures astronomiques ou couper dans le vif. Dieppe a choisi la deuxième option. Entre minuit et 5 h 30, plus une ampoule allumée, sauf sur quelques axes prioritaires. Objectif affiché : économiser 40 % sur la note d’électricité dédiée à l’éclairage public.
À l’époque, beaucoup de communes ont fait pareil. Certaines ont tenu bon, d’autres ont craqué plus vite. Dieppe, elle, a tenu trois ans. Trois ans où les habitants ont appris à vivre avec le noir complet, à sortir leur téléphone-torche pour rentrer du restaurant ou prendre le premier bus du matin. Et puis, mi-novembre 2025, patatras : la mairie annonce que tout rallume. Pourquoi maintenant ?
Les LED ont tout changé (ou presque)
La réponse tient en trois lettres : LED. Quand la décision d’extinction avait été prise, la ville fonctionnait encore majoritairement avec d’anciennes lampes bien gourmandes. Trois ans plus tard, plus d’un tiers du parc est passé en diodes électroluminescentes. Et là, les chiffres parlent d’eux-mêmes : une lampe LED consomme jusqu’à 80 % d’énergie en moins qu’une lampe sodium ou mercure traditionnelle.
Concrètement ? L’éclairage public, qui représentait autrefois près de la moitié de la consommation électrique municipale, est tombé à 29 %. La facture annuelle est passée sous la barre des 370 000 euros, un niveau redevenu supportable. Cerise sur le gâteau : un nouveau contrat d’approvisionnement plus avantageux démarre au 1er janvier prochain. Autant dire que l’argument économique qui justifiait l’extinction massive n’a plus vraiment lieu d’être.
« On a fait le choix de la raison. Quand les conditions changent, il faut savoir pivoter. »
Un élu local qui résume assez bien la philosophie du moment
La sécurité, le vrai argument qui pèse lourd
Mais soyons honnêtes : les économies, c’est bien joli, le ressenti des habitants, c’est autre chose. Officiellement, les statistiques n’ont pas montré d’explosion des cambriolages ou des agressions pendant les années noires. Les dégradations non plus n’ont pas flambé. Pourtant, dans les conversations de comptoir ou les conseils de quartier, on entendait souvent la même phrase : « On n’ose plus sortir après 22 heures. »
Les premiers et derniers concernés ? Les travailleurs de nuit ou en horaires décalés. Les employés du port, les aides-soignantes qui prennent leur service à 6 heures, les serveurs qui finissent à minuit passé. Pour eux, traverser la ville dans le noir total, c’était tout sauf agréable. Ajoutez à ça l’explosion de l’usage du vélo et de la trottinette électrique, même tard le soir, et vous comprenez vite pourquoi la pression montait.
- Les femmes seules qui rentraient à pied et préféraient appeler un proche pour rester en ligne
- Les ados qui évitaient certains quartiers par principe
- Les personnes âgées qui réduisaient leurs sorties nocturnes au strict minimum
Le maire l’admet sans détour : même si les chiffres restent stables, le sentiment d’insécurité, lui, avait bel et bien grimpé. Et en politique locale, le ressenti, ça compte parfois autant que la réalité brute.
Et l’écologie dans tout ça ?
Évidemment, la question qui brûle toutes les lèvres : rallumer tout, ce n’est pas un énorme bond en arrière pour la planète ? Les défenseurs de la nuit noire – et ils sont nombreux, y compris dans la majorité municipale – rappellent que l’éclairage artificiel perturbe gravement la faune nocturne : oiseaux désorientés, insectes attirés et décimés, chauves-souris qui changent leurs trajets de chasse… La liste est longue.
La réponse de la mairie ? « On ne fait pas n’importe quoi. » Déjà, le passage aux LED réduit fortement la pollution lumineuse : ces lampes dirigent la lumière vers le bas et émettent beaucoup moins dans les longueurs d’onde bleues qui perturbent le plus les animaux. Ensuite, des mesures concrètes sont prévues :
- Diminution automatique de l’intensité sur le front de mer après 22 heures
- Mise en place progressive de trames noires (couloirs sans éclairage) là où la biodiversité le justifie
- Poursuite du remplacement des 5 000 points lumineux restants d’ici deux à trois ans
On marche sur deux jambes, disent-ils : sécurité des habitants et respect de l’environnement. Un équilibre délicat, mais qui semble tenir la route… pour l’instant.
Ce que ça dit de notre époque
Au-delà de Dieppe, cette histoire en dit long sur les arbitrages que doivent faire les collectivités depuis 2022. Entre la crise énergétique, les contraintes écologiques et les attentes des citoyens, le métier de maire ressemble parfois à une partie d’échecs où toutes les pièces sont en feu.
Ce qui est fascinant, c’est la rapidité avec laquelle on peut passer d’une mesure présentée comme « définitive et vertueuse » à son exact opposé, sans que personne ne crie vraiment au scandale. Preuve que, quand les conditions évoluent – technologiques, économiques, sociales –, les décisions doivent suivre. Et tant pis si ça fait grincer quelques puristes de l’obscurité totale.
Personnellement, j’ai toujours trouvé que les villes la nuit ont quelque chose de magique quand elles sont correctement éclairées. Pas trop, pas aveuglant, juste assez pour se sentir en sécurité sans transformer le ciel en soupe lumineuse. Dieppe semble avoir trouvé ce dosage. Pour combien de temps ? Ça, c’est une autre histoire.
Et vous, dans votre ville, l’éclairage public est-il éteint la nuit ? Ça vous manque ou vous trouvez ça plutôt reposant ? Dites-le moi en commentaire, j’ai vraiment envie de savoir comment c’est vécu ailleurs.
