Imaginez-vous arriver à Moscou en janvier 2020, juste avant que le monde ne bascule avec le Covid, et repartir quatre ans et demi plus tard, après avoir vécu de l’intérieur l’engrenage qui a mené à la plus grande guerre en Europe depuis 1945. C’est exactement ce qu’a vécu un diplomate français de haut rang. Et quand il parle aujourd’hui, on sent encore le poids de ces années passées à observer un pays se refermer sur lui-même avant de se jeter dans l’abîme.
Son verdict est sans appel : non, Vladimir Poutine ne renoncera pas à ce qu’il considère comme son « projet ukrainien ». Pas demain, pas dans six mois, peut-être jamais. Et pourtant, on entend partout parler de « moment de vérité », de discussions secrètes, de plans de paix made in Washington. Alors, info ou intox ?
Un ambassadeur aux premières loges d’une tragédie
Quand on occupe le poste d’ambassadeur dans la capitale russe, on n’est pas juste un spectateur. On vit au rythme des humeurs du Kremlin, on sent la température monter mois après mois. Lui l’a sentie passer de tiède à brûlante. D’abord le Covid qui isole complètement le président russe – on parle de réunions où les interlocuteurs doivent rester à quinze mètres, parfois en combinaison Hazmat. Puis les discours qui se durcissent, les références à l’histoire qui reviennent sans cesse, l’idée que l’Ukraine n’est pas vraiment un État mais une aberration historique à corriger.
Ce qui frappe dans son récit, c’est la lenteur du glissement. Rien de soudain. Plutôt une mécanique bien huilée, presque inéluctable une fois enclenchée. Un peu comme quand vous regardez une avalanche commencer : au début juste quelques pierres qui roulent, puis plus rien n’arrête la masse.
Pourquoi Poutine ne peut plus faire marche arrière
La première raison, et sans doute la plus évidente pour qui connaît un peu la psychologie du pouvoir russe, c’est que reculer serait perçu comme une faiblesse mortelle. En Russie, le dirigeant suprême ne peut pas se permettre de perdre la défaite. Pas après avoir mobilisé des centaines de milliers d’hommes, pas après avoir sacrifié une partie de la jeunesse du pays, pas après avoir répété pendant des années que cette « opération spéciale » était une question de survie nationale.
« Il a mis trop de lui-même dans cette guerre. C’est devenu personnel. Renoncer reviendrait à signer sa propre fin politique, voire pire. »
Un haut diplomate européen ayant servi à Moscou
Mais il y a plus profond que ça. L’ancien ambassadeur parle d’un véritable basculement idéologique. Ce n’est plus seulement une question de sécurité ou de zones d’influence. C’est devenu une guerre de civilisation dans l’esprit du Kremlin. L’Ukraine doit être « dénazifiée », « démilitarisée », mais surtout réintégrée dans ce que la Russie considère comme son espace naturel. L’idée qu’un peuple slave frère puisse choisir librement l’Europe est vécue comme une trahison existentielle.
Les objectifs russes n’ont pas bougé d’un millimètre
Officiellement, Moscou a toujours les mêmes exigences depuis février 2022 :
- Neutralité permanente de l’Ukraine (pas d’OTAN, jamais)
- Reconnaissance des « nouvelles réalités territoriales » (Crimée + quatre oblasts annexés)
- Démilitarisation massive de l’armée ukrainienne
- Statut spécial pour les régions russophones avec veto sur les grandes décisions nationales
- Abandon de toute revendication sur la flotte de la mer Noire
Beaucoup pensaient que le temps et les pertes finiraient par rendre ces demandes négociables. Eh bien non. D’après ceux qui connaissent encore les couloirs du pouvoir russe, ces points sont toujours considérés comme des minimums non négociables. Pire : certains au Kremlin estiment qu’il faut aller plus loin, jusqu’à Kharkiv, Odessa, voire Kiev pour « sécuriser définitivement » le pays.
Et pendant ce temps, l’armée russe se réorganise. On parle moins des défaites de 2022, on entend plus parler de l’économie qui « tient le choc » malgré les sanctions (même si la réalité est plus contrastée). L’effort de guerre est devenu la priorité absolue. Toute la société est mobilisée, doucement mais sûrement.
Et si Trump revenait ? Les illusions du « deal » rapide
On entend beaucoup ces temps-ci que le retour possible d’un certain milliardaire à la Maison-Blanche changerait tout. Qu’il suffirait d’un coup de fil entre « hommes forts » pour que tout s’arrange. L’ancien ambassadeur, lui, sourit jaune. Il a vu trop de négociations avortées, trop de « cessez-le-feu » en carton.
Ce qu’il dit en substance : même si un président américain voulait forcer Kiev à céder du terrain (et c’est loin d’être acquis), la Russie ne se contenterait pas de miettes. Elle veut une capitulation stratégique de l’Ukraine et une humiliation visible de l’Occident. Rien de moins. Tout le reste n’est que théâtre.
« On entre dans un moment de vérité, pas dans un moment de règlement. »
Traduction : les prochains mois vont être rudes. Très rudes. Car tant que l’Ukraine tiendra et que l’aide occidentale continuera (même au compte-gouttes), Moscou n’aura aucune raison de lâcher. Au contraire, elle jouera la montre, misant sur notre fatigue.
Ce que j’ai personnellement retenu de cette analyse
Après avoir lu des dizaines de témoignages de diplomates, d’analystes, de militaires, celui-ci m’a particulièrement marqué. Parce qu’il n’est ni dans l’incantation pacifiste ni dans le bellicisme. Il décrit simplement ce qu’il a vu, ressenti, compris durant ces années folles à Moscou.
Et ce qu’il décrit, c’est une Russie qui s’est mise en tête de réécrire l’histoire par la force. Pas par folie, pas par erreur de calcul, mais par conviction profonde que c’est maintenant ou jamais. Que l’Occident est faible, divisé, fatigué. Que le temps joue pour elle.
Alors oui, on peut toujours espérer un miracle diplomatique. On peut toujours croire que l’hiver, les pertes, la pression économique finiront par fissurer le monolithe. Mais ceux qui ont vécu de l’intérieur ces dernières années nous préviennent : ne comptez pas trop là-dessus.
La guerre dure déjà depuis bientôt quatre ans. Elle pourrait en durer quatre de plus. Voire plus. Car pour le maître du Kremlin, l’Ukraine n’est pas une simple case sur une carte. C’est le cœur battant de sa vision du monde.
Et tant que ce cœur battra librement à l’autre côté du Dniepr, il ne pourra pas dormir tranquille.
Triste constat ? Sans doute. Réaliste ? Assurément.
Alors la prochaine fois qu’on vous dira que « la paix est pour bientôt », souvenez-vous de ces mots d’un homme qui a vu la machine de l’intérieur : ce n’est pas un règlement qu’on approche. C’est un moment de vérité. Et la vérité, en l’occurrence, a un goût bien amer.
