Imaginez-vous arriver un matin d’hiver sur votre campus habituel. Il est 8 h 30, vous avez votre café à la main, et là… personne. Les couloirs sont vides, les amphis fermés, et le président lui-même verrouille les portes avec un air désolé. Vous vous frottez les yeux. On est en week-end ? Non. Votre université vient symboliquement de baisser le rideau. C’est exactement ce qu’a osé faire une fac française pour crier son désespoir budgétaire. Et franchement, ça fait mouche.
Quand l’humour devient l’arme la plus sérieuse des universités
Cette mise en scène, c’est l’idée maligne d’une équipe de communication qui en a marre de supplier en silence. Plutôt que d’envoyer un énième courrier poussiéreux au ministère, ils ont choisi la viralité. Une vidéo façon TikTok, tournée avec les moyens du bord, et hop : plus de 740 000 vues en quelques jours. Parce que parfois, pour se faire entendre, il faut arrêter de parler comme un rapport administratif et commencer à parler comme tout le monde.
Le résultat ? Des milliers de partages, des étudiants qui relaient, des parents qui découvrent enfin ce que beaucoup savent depuis longtemps : nos universités tournent à l’os. Et celle-ci, en particulier, a de quoi être en colère.
Des résultats qui font pâlir les plus grands… et un budget de misère
Prenez un peu de recul. Cette université, implantée entre lacs et montagnes, truste les classements internationaux. Présente dans le prestigieux palmarès de Shanghai, bien placée dans les rankings THE ou Leiden, elle brille. En France, elle caracole même à la sixième place pour la réussite en licence et à la neuvième en master. Des chiffres qui feraient rêver n’importe quel président d’établissement.
Mais quand on regarde le portefeuille, c’est la douche froide. 7 698 euros par étudiant et par an. C’est 9 % de moins que la moyenne des universités comparables – celles qui font à peu près la même chose, sans les formations santé. En clair : plus de 9 millions d’euros qui manquent chaque année à l’appel. Neuf millions. C’est le prix d’un petit campus neuf, ou de plusieurs dizaines de postes d’enseignants-chercheurs.
« On est performant, mais on n’a pas les moyens de nos ambitions. »
Le président de l’université, droit dans les yeux de la caméra
Une demande étudiante qui explose, des places qui stagnent
Et pendant ce temps-là, les jeunes continuent de voter avec leurs pieds. +25 % de vœux confirmés sur Parcoursup en un an. +19 % sur Mon Master. Les lycéens savent que cette fac forme bien, qu’on y décroche son diplôme, qu’on y trouve un job après. Logique, non ? Sauf que l’établissement, lui, n’a pas le droit d’ouvrir plus de places. Parce que plus d’étudiants = plus de profs, plus de salles, plus de bibliothèques… et toujours le même enveloppe.
J’ai discuté avec des étudiants de cette université il y a quelques mois. Ils adoraient l’ambiance, la qualité des cours, la proximité avec les enseignants. Mais déjà, ils sentaient le vent tourner : amphis bondés, tutoriels en ligne qui remplacent les TD, bibliothèques ouvertes jusqu’à minuit parce qu’il n’y a plus assez de places en journée. Et ça, c’était avant la dernière vague d’inscriptions.
- Des promos qui gonflent sans que les moyens suivent
- Des enseignants qui font des miracles avec trois bouts de ficelle
- Des laboratoires de recherche qui tournent grâce à l’énergie du désespoir
- Et toujours cette question : jusqu’à quand ?
Les collectivités mettent la main à la poche, l’État regarde ailleurs
Heureusement, tout n’est pas noir. Les départements et agglomérations locales jouent le jeu. 750 000 euros par an chacun, en plus de leur participation aux contrats de plan État-région. C’est énorme pour des collectivités. C’est aussi la preuve que le territoire croit à son université. Mais soyons honnêtes : ce n’est pas à eux de compenser les manques structurels d’un financement national.
L’établissement a déjà taillé dans le vif : –10 % sur les dépenses de fonctionnement. Lumière éteinte plus tôt, moins de papier, moins de café dans les salles des profs. On arrive au bout du bout. Après, on touche à l’os : suppression de postes, fermetures de filières, baisse de la qualité. Personne n’a envie de ça.
Une mobilisation qui dépasse les murs du campus
Ce qui est intéressant, c’est que cette action n’est pas isolée. D’autres présidents d’université tirent la sonnette d’alarme depuis des mois. Lettres aux parlementaires, tribunes, communiqués… Tout y passe. Mais là, avec cette vidéo, quelque chose a changé. Le message est sorti des cercles feutrés pour atterrir directement sur les téléphones des 18-25 ans – et de leurs parents.
Et ça marche. Parce qu’on rit d’abord, et ensuite on se dit : « Attends, c’est pas normal. » L’humour a ce pouvoir-là : désamorcer la lourdeur administrative pour faire passer la pilule amère. Et la pilule est très amère.
« On ne peut pas continuer à construire l’excellence sur du vent. »
Et demain ?
La question que tout le monde se pose maintenant, c’est : est-ce que ça va bouger ? Est-ce que cette vidéo, ces centaines de milliers de vues, ces partages d’étudiants en colère vont enfin faire réagir là-haut ? On peut toujours rêver. Mais une chose est sûre : le sujet du financement des universités n’a jamais été aussi visible.
Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’une histoire de chiffres. C’est une histoire de jeunes qui veulent étudier dans de bonnes conditions. De chercheurs qui veulent faire avancer la science française. De territoires qui veulent garder leurs talents. Et d’un pays qui se dit champion de l’éducation mais qui, dans les faits, laisse certaines de ses meilleures facs se débrouiller avec les miettes.
Alors oui, la vidéo est drôle. Mais derrière le sourire, il y a une colère légitime. Et peut-être, qui sait, le début d’un vrai débat national. Parce que fermer symboliquement une université une matinée, c’est une chose. La voir fermer pour de bon, lentement mais sûrement, en serait une autre. Et ça, personne n’en a envie.
À bon entendeur.
