Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez entendu l’hymne russe résonner dans une compétition internationale de judo ? Moi, franchement, ça commence à dater. Et pourtant, dès ce week-end, à Abou Dhabi, ça va revenir. Comme si on appuyait sur « play » après une très longue pause.
La nouvelle est tombée hier matin et, je dois dire, elle m’a fait l’effet d’un ippon parfaitement exécuté : rapide, net, et un peu sonnant pour ceux qui ne s’y attendaient pas.
Le grand retour sous pavillon national
Après des années de bannière neutre, les judokas russes vont pouvoir monter sur les tatamis avec leurs couleurs, leur hymne, leur identité complète. Dès le Grand Slam d’Abou Dhabi qui démarre vendredi. Point final à une parenthèse qui aura duré plus de deux ans.
Dans le communiqué officiel, la Fédération internationale explique vouloir rétablir « l’égalité » avec les athlètes biélorusses, déjà autorisés à porter leurs symboles nationaux depuis quelques mois. Mais surtout, elle brandit une idée qui revient souvent dans ce genre de débat : les athlètes ne sont pas responsables des décisions politiques.
« Le sport est le dernier lien qui unit les peuples et les nations dans des contextes de conflit extrêmement difficiles. »
Cette phrase, elle pèse. Parce qu’elle dit à la fois tout et rien. Tout, parce qu’elle rappelle la vocation profonde du sport. Rien, parce qu’elle passe sous silence la réalité brutale d’un conflit qui continue de faire des milliers de victimes.
Qui sont les grands bénéficiaires de ce retour ?
Concrètement, ça change quoi ? Eh bien, ça change beaucoup pour trois monstres du judo mondial, tous classés numéro 1 dans leur catégorie :
- Timur Arbuzov en -81 kg
- Matvey Kanikovskiy en -100 kg
- Et surtout Inal Tasoev en +100 kg, ce colosse qui fait trembler les tatamis depuis des années
Ces gars-là n’ont jamais cessé d’être au top, même sous bannière neutre. Mais imaginez l’effet psychologique : entendre son hymne quand on monte sur la plus haute marche, ça n’a rien à voir avec un silence poli ou une musique neutre.
Inal Tasoev, par exemple, c’est le genre de phénomène capable de faire waza-ari sur un simple regard. Le voir à nouveau sous les couleurs russes, ça va marquer les esprits. Et peut-être aussi peser lourd dans la course à la qualification olympique.
Le judo, cette exception qui confirme… quoi exactement ?
Ce qui frappe, c’est que le judo fait figure d’exception parmi les sports olympiques. Pendant que l’athlétisme, la natation ou le cyclisme maintiennent des restrictions strictes, la Fédération internationale de judo ouvre grand la porte.
Il faut dire que l’IJF a toujours eu une relation particulière avec la Russie. Le président actuel, Marius Vizer, entretient depuis longtemps des liens étroits avec le pouvoir russe – on se souvient tous des photos avec Vladimir Poutine, grand amateur de judo. Est-ce que ça joue ? Officiellement, non. Dans les couloirs, tout le monde le pense un peu.
Mais il y a aussi une vraie philosophie derrière. Le judo, plus que d’autres sports, met en avant des valeurs de respect, d’amitié, de dépassement. Refuser des athlètes parce que leur passeport pose problème, ça va à l’encontre de l’esprit du fondateur, Jigoro Kano.
« Le judo est un sport qui promeut toujours l’amitié, le respect, la solidarité et la paix. »
Extrait du communiqué officiel
Et les autres fédérations, elles en pensent quoi ?
Du côté ukrainien, évidemment, la pilule est très dure à avaler. On imagine sans mal la colère et l’incompréhension. Comment accepter de serrer la main, de partager le même tatami, quand son pays est en guerre ?
Certains pays, comme la France ou le Royaume-Uni, risquent de grincer des dents. D’autres, plus pragmatiques, hausseront les épaules : sur le tatami, on juge la technique, pas la géopolitique.
Personnellement, je me souviens des Mondiaux 2021 à Budapest. Les Russes étaient déjà là, sous bannière neutre. L’ambiance était étrange. Les victoires sonnaient un peu creux sans hymne. Cette fois, ça va être différent. Plus intense. Peut-être plus électrique aussi.
Ce que ça dit de notre époque
Ce retour pose une question énorme : jusqu’où le sport doit-il être sanctuarisé face à la politique ? On a vu des boycotts, des exclusions, des drapeaux bannis. Et maintenant, on assiste à un mouvement inverse dans certains sports de combat.
Le judo choisit de remettre l’athlète au centre. Pas le soldat, pas le symbole, l’athlète. C’est une position courageuse. Naïve pour certains. Cynique pour d’autres. Mais cohérente avec l’histoire de cette fédération.
Et puis il y a cette réalité brutale : les meilleurs restent les meilleurs, avec ou sans drapeau. Tasoev, Kanikovskiy, Arbuzov, ils gagnent depuis des années. Les priver de leur identité nationale n’a jamais empêché leur domination technique.
Vers Paris 2024… ou 2028 ?
Maintenant, la grande question : est-ce la porte ouverte à une participation russe sous pavillon national aux prochains grands rendez-vous ? On pense évidemment aux Jeux olympiques.
Pour l’instant, le CIO maintient une ligne dure. Mais chaque fédération reste souveraine sur ses compétitions qualificatives. Si le judo ouvre la voie, d’autres pourraient suivre. Ou pas.
Ce qui est sûr, c’est que le Grand Slam d’Abou Dhabi va être scruté comme jamais. Chaque combat impliquant un Russe sera analysé, commenté, parfois instrumentalisé.
On verra des poignées de main chaleureuses. Peut-être aussi des refus de saluer. Des larmes sous le drapeau russe. Et sans doute des performances exceptionnelles, parce que ces athlètes ont faim. Faim de médailles, faim de reconnaissance.
Mon avis, entre parenthèses
Je vais être honnête : je suis partagé. D’un côté, je trouve ça juste. Un athlète de 25 ans n’a pas déclenché de guerre. Il s’entraîne depuis l’âge de 6 ans pour vivre ces moments. Le priver de son hymne, c’est dur.
De l’autre, je comprends la douleur des Ukrainiens. Le sport n’existe pas dans une bulle. Quand on voit des villes bombardées, difficile d’accepter que tout redevienne « normal » sur un tatami.
Mais peut-être que c’est justement ça, le propre du sport : offrir un espace où l’on peut encore se parler, se respecter, même quand tout le reste s’effondre.
Ce week-end, à Abou Dhabi, on va avoir un bout de réponse. Pas la vérité absolue, non. Juste un morceau de réalité, brut, intense, humain.
Et quelque part, c’est aussi ça, le judo.
(Article écrit le regard rivé sur les tatamis, le cœur un peu serré, mais l’envie intacte de voir du beau judo. Peu importe le drapeau.)
