Vous vous êtes déjà demandé jusqu’où pouvait aller la cruauté quand elle s’attaque aux plus fragiles ? Moi, chaque fois que je tombe sur ce genre d’histoire, j’ai le cœur qui se serre. Une dame de 82 ans qui perd la chaîne en or de son mari décédé deux semaines plus tôt. Une autre de 95 ans, atteinte de troubles cognitifs, qui ouvre sa porte sans se douter une seconde du piège. Et derrière tout ça, deux hommes qui ont fait de la vulnérabilité des autres leur fonds de commerce.
Cette fois, c’est en Seine-et-Marne, entre juin et septembre 2025, que le scénario s’est répété une quinzaine de fois. Quinze communes touchées, quinze vies bouleversées. Et lundi dernier, au tribunal correctionnel de Meaux, la justice a mis un point final – provisoire – à cette série sordide.
Une arnaque rodée qui glace le sang
Le mode opératoire était diaboliquement simple, mais terriblement efficace. Premier coup de sonnette : un homme se présente comme employé des eaux. Il faut vérifier une fuite, contrôler la qualité, n’importe quel prétexte crédible. La personne âgée, souvent seule, ouvre. Elle laisse entrer.
Pendant que le faux agent distrait sa victime dans la cuisine ou la salle de bains, il repère les cachettes. Parfois il ouvre un tiroir, parfois il note mentalement l’emplacement du coffret à bijoux. Et puis il repart, avec un sourire poli et un « merci madame ».
Dix minutes plus tard, deuxième coup de sonnette. Cette fois, c’est la « police ». Deux hommes, cartes tricolores à l’appui, ton pressant : « On poursuit des faux agents des eaux qui sévissent dans le quartier ! Vous venez de laisser entrer quelqu’un ? Montrez-nous vite où sont vos valeurs, on doit vérifier qu’ils n’ont rien pris ! » Panique, confiance aveugle dans l’uniforme… et la porte des économies s’ouvre en grand.
« L’argent, elle s’en fiche. Mais c’était la chaîne de son mari. On lui a pris des bijoux de famille qu’elle ne retrouvera jamais. Aujourd’hui, elle a peur. Ils lui ont pris sa dignité. »
Une avocate, au sujet de sa cliente de 82 ans
Quinze communes, une traque méthodique
Les enquêteurs de Lagny-sur-Marne n’ont pas lâché l’affaire. Géolocalisation des téléphones, vidéosurveillance, surveillances physiques : tout y est passé. Petit à petit, deux noms sont ressortis. Deux pères de famille du coin, déjà bien connus des services de police. L’un d’eux, récidiviste, avait déjà été condamné pour des faits similaires.
Leur terrain de chasse ? Un large secteur à l’est de Paris :
- Lagny-sur-Marne
- Torcy
- Bussy-Saint-Georges
- Trilport
- Chalifert
- Montry
- Esbly
- Pomponne
- Dampmart
- Thorigny-sur-Marne
- Villeparisis…
Une quinzaine de communes en tout. Un vrai parcours du combattant pour les gendarmes et policiers qui ont dû coordonner tout ça.
Au tribunal : entre excuses bidon et fuite rocambolesque
Lundi, à Meaux, l’ambiance était lourde. Les deux hommes étaient libres en attendant le jugement. Erreur. Le premier, celui qui cumulait les condamnations, a tenté la carte du repentir : « Ce sont les mauvaises fréquentations… Je vais me ranger. » La présidente n’a pas mâché ses mots : « C’est vous, la mauvaise fréquentation. » J’ai trouvé ça tellement juste.
Le procureur a requis quatre et cinq ans ferme. Quand le délibéré est tombé – 30 mois ferme pour l’un (plus révocation de huit mois anciens), deux ans ferme pour l’autre –, le plus jeune a compris que ça sentait le roussi. Il a filé discrètement par une porte latérale. Mandat d’arrêt immédiat. Aujourd’hui, il court toujours.
L’autre a été écroué sur-le-champ. Fin de la liberté, retour direct à la case prison.
Pourquoi les personnes âgées sont-elles des cibles si faciles ?
Franchement, ça fait mal au ventre. On parle de femmes de 80, 90, 95 ans. Certaines avec des débuts d’Alzheimer. Elles ouvrent parce qu’on leur a appris toute leur vie à faire confiance à l’uniforme, à l’autorité. Et ces types le savaient très bien.
Il y a aussi la solitude. Beaucoup vivent seules depuis le décès de leur conjoint. Quand quelqu’un sonne et parle gentiment, c’est parfois le seul contact humain de la journée. Comment dire non ? Comment se méfier quand on n’a plus tout à fait les réflexes ?
Et puis il y a le facteur « repérage ». Une avocate l’a dit au tribunal : sa cliente, veuve depuis treize jours seulement, pense avoir été ciblée précisément pour ça. Parce qu’elle était seule, fragile, et qu’elle portait probablement encore ses bijoux de mariage. Ça donne la chair de poule.
Les conséquences : bien plus que de l’argent volé
On parle souvent du préjudice matériel. Quelques milliers d’euros, des bijoux. Mais le vrai drame, c’est ailleurs. Dans le stress post-traumatique. Dans la peur de répondre au téléphone ou d’ouvrir la porte. Dans le sentiment d’avoir été trahi par des institutions qu’on croyait protectrices.
J’ai lu des témoignages de familles qui disent que leur mère ou grand-mère ne dort plus, sursaute au moindre bruit, a fait installer des caméras partout. Certaines ont même déménagé chez leurs enfants. À 90 ans. Vous imaginez ?
« Ces faits sont très désagréables »
La présidente du tribunal, avec un sens certain de la litote
Comment se protéger (et protéger nos aînés) ?
On ne va pas se mentir : la prévention, c’est bien, mais quand on a 92 ans et qu’on vous brandit une carte police sous le nez, c’est compliqué. Pourtant, il y a des gestes simples qui sauvent :
- Ne jamais laisser entrer quelqu’un sans rendez-vous confirmé par téléphone (et appeler soi-même le service concerné avec un numéro trouvé sur le site officiel, jamais celui donné par la personne)
- Installer un interphone vidéo ou un judas grand angle
- Mettre les bijoux et liquidités dans un coffre à la banque plutôt qu’à la maison
- Signaler à un proche ou voisin toute visite « officielle » imprévue
- Participer aux opérations Tranquillité Seniors proposées par la gendarmerie
Et surtout, parler. Parler beaucoup. Expliquer à nos parents, grands-parents, que ces arnaques existent. Qu’un vrai policier ne viendra jamais leur demander de sortir leurs bijoux pour « vérification ». Ça semble bête dit comme ça, mais combien ignorent encore ces règles élémentaires ?
Et maintenant ?
L’un est derrière les barreaux, l’autre en cavale. Mais soyons réalistes : ce genre d’affaires ne s’arrête jamais complètement. Les méthodes évoluent, les cibles restent les mêmes. Ce qui est sûr, c’est que les enquêteurs de Seine-et-Marne ont montré qu’on pouvait les coincer. Avec du travail de fourmi et beaucoup de patience.
En attendant, quinze familles essaient de panser les plaies. Quinze femmes âgées regardent leur porte avec méfiance. Et quelque part, un type court encore, en se disant peut-être qu’il a été plus malin que tout le monde.
Moi je crois que non. Je crois que la justice, même lente, finit souvent par rattraper ceux qui s’en prennent aux plus faibles. Et j’espère que quand ils le chopperont – parce qu’ils le chopperont –, il comprendra enfin ce qu’il a vraiment volé à ces grands-mères : bien plus que de l’or et des billets.
Il leur a volé leur sérénité. Et ça, aucun bracelet en or ne pourra jamais le remplacer.
