Il y a des matins où la banalité d’une petite ville de banlieue vole en éclats en quelques secondes. Ce mardi, à Villetaneuse, dans ce coin tranquille de Seine-Saint-Denis, un coup de feu a brisé soixante-dix ans de vie commune. Une femme de 89 ans est morte, tuée par celui qui partageait son lit depuis des décennies : son mari, 82 ans. L’arme ? Un vieux fusil de chasse. L’issue ? Lui aussi grièvement blessé après avoir retourné le canon contre lui.
On reste sonné. Parce que derrière les chiffres froids des féminicides, il y a parfois ces histoires de vieux couples qu’on imagine à tort à l’abri de la violence. Et pourtant…
Un drame qui glace le sang dans une ville sans histoire
L’alerte est tombée tôt. Les voisins, habitués au calme de leur rue pavillonnaire, ont d’abord cru à un accident de chasse – ironique, quand on sait que l’arme dormait probablement depuis des années dans une armoire. Puis les sirènes. Puis le périmètre de sécurité. Et enfin cette vérité brutale : ce n’était pas un accident.
Dans la chambre, les enquêteurs ont retrouvé la vieille dame dans le lit conjugal, touchée mortellement. Son mari, lui, gisait à côté, encore vivant mais dans un état désespéré. Les premiers éléments laissent penser qu’il a agi seul, sans intervention extérieure. Un geste irréversible, suivi d’une tentative de suicide qui a échoué – pour l’instant.
« On les croisait parfois, ils marchaient lentement, main dans la main. Jamais je n’aurais imaginé… »
Un riverain, encore sous le choc
Quand l’amour tourne au cauchemar à 80 ans passés
Ce qui frappe, c’est l’âge du couple. On associe souvent les féminicides à des hommes jeunes, jaloux, possessifs. Là, on parle d’octogénaires. Des gens qui ont traversé la guerre, les Trente Glorieuses, Mai 68, l’arrivée d’internet… et qui finissent comme ça.
Alors évidemment, la question qui brûle toutes les lèvres : qu’est-ce qui a bien pu se passer dans cette maison pour en arriver là ?
Personne n’a encore la réponse définitive. Mais quand on creuse un peu les drames similaires impliquant des personnes très âgées, on retrouve souvent les mêmes ingrédients toxiques :
- Une dépendance croissante de l’un envers l’autre (souvent elle malade, lui aidant)
- Un sentiment d’enfermement et d’étouffement
- La peur de la maison de retraite ou de la séparation médicale
- Parfois une dépression jamais diagnostiquée
- Et surtout, cette idée terrible du « si je pars, je l’autre ne s’en sortira pas »
Certains appellent ça le « pacte de mort », d’autres le « féminicide altruiste ». Moi, j’appelle ça une immense tragédie évitable.
153 féminicides en 2025 : le chiffre qui ne baisse pas
Ce drame de Villetaneuse n’est pas un cas isolé. Il porte à 153 le nombre de féminicides recensés cette année selon les associations qui tiennent le compte – car oui, l’État a toujours du mal à publier des chiffres officiels clairs et réguliers.
153 femmes tuées parce qu’elles étaient des femmes, ou parce qu’elles voulaient partir, ou simplement parce qu’elles étaient là. 153 vies brisées, 153 familles détruites, et des centaines d’enfants, petits-enfants, voisins, collègues qui porteront cette douleur toute leur vie.
Et le pire ? On était à 151 l’an dernier à la même date. Autrement dit, rien n’a changé. Ou si peu.
Les armes à feu : un facteur aggravant trop souvent oublié
Un détail qui revient souvent dans ce genre d’affaires : la présence d’une arme à domicile. Ici, un fusil de chasse – légal, déclaré ou non, on ne sait pas encore. Mais disponible.
En France, on estime qu’il y a plus de 5 millions d’armes à feu détenues légalement par des particuliers. Beaucoup dorment dans des placards depuis des décennies. Et quand une crise éclate – dépression, dispute, désespoir – elles deviennent l’outil le plus rapide pour passer à l’acte.
J’ai déjà vu des affaires où l’arme était un simple couteau de cuisine. Mais avec une arme à feu, il n’y a pas de retour en arrière possible. Une seconde d’impulsion, et c’est fini.
Le silence des voisins, le poids de l’isolement
On entend souvent « il n’y avait aucun signe ». Et pourtant…
Dans les quartiers pavillonnaires comme celui de Villetaneuse, les gens se saluent, mais on ne rentre pas vraiment chez les autres. Les vieux couples vivent parfois dans une bulle. Quand la santé décline, les visites se raréfient. Les enfants habitent loin. Le médecin passe vite.
Résultat : des situations explosives couvent pendant des mois, voire des années, sans que personne ne s’en rende compte.
- Un conjoint qui devient aidant 24h/24
- L’autre qui perd son autonomie et se sent comme un poids
- La honte de demander de l’aide extérieure
- Et parfois, la conviction que « mourir ensemble » est une sortie digne
C’est terrifiant de réalisme.
Que faire quand on sent que ça va mal chez les voisins âgés ?
On se sent souvent démuni. Appeler les flics pour un vieux monsieur qui a l’air triste ? Proposer de l’aide à une dame qui refuse qu’on entre chez elle ?
Pourtant, il y a des signaux :
- Ils ne sortent plus du tout
- L’un des deux semble apeuré ou abattu
- Des cris, même rares
- Une dégradation physique rapide
- Des phrases comme « de toute façon, on va bientôt partir »
Un appel anonyme au 3977 (maltraitance des personnes âgées) ou au 3919 (violences conjugales) peut tout changer. Vraiment.
Et maintenant ?
L’enquête est en cours. Les techniciens en identification criminelle ont passé la journée dans la maison. Le parquet a ouvert une procédure pour homicide volontaire sur conjoint. Si le mari survit, il sera jugé. Sinon… l’affaire sera classée.
Mais au-delà du fait divers, ce drame nous renvoie à nos propres silences. À notre difficulté à parler de la vieillesse, de la dépendance, de la fin de vie. À notre peur de regarder en face ce qui se passe derrière les rideaux tirés des pavillons de banlieue.
153. Ce n’est pas juste un chiffre.
C’est une femme de 89 ans qui ne verra pas Noël. Un homme de 82 ans qui a détruit soixante-dix ans d’histoire commune en une fraction de seconde. Et toute une société qui continue de fermer les yeux.
Il serait temps que ça change.
(Article rédigé à partir des éléments connus au 27 novembre 2025. Les pensées vont à la famille et aux proches touchés par ce drame.)
