Vous vous êtes déjà demandé ce qui se passerait si, un soir, en rentrant chez vous après une garde de seize heures, quelqu’un vous attendait pour vous « faire payer » un arrêt de travail refusé ? C’est exactement ce qu’a vécu un médecin récemment dans le Nord de la France. Et franchement, ça glace le sang.
Ce n’est plus un fait divers isolé. C’est une tendance lourde, presque quotidienne. Les soignants, ceux-là mêmes qu’on applaudissait aux balcons il y a quelques années, se retrouvent aujourd’hui insultés, menacés, frappés. Parfois jusque dans leur voiture ou à leur domicile. Et la goutte d’eau a débordé.
Quand la blouse blanche devient une cible
Prenez l’exemple de cette agression à Tourcoing. Un couple de patients, mécontents d’une décision médicale, aurait organisé une véritable expédition punitive contre le praticien. Résultat ? Trois antennes de SOS Médecins dans la région ont fermé leurs portes pendant quarante-huit heures. Un arrêt de travail symbolique, mais surtout un cri d’alarme.
Et ce n’est pas qu’une question de principe. Quand une antenne ferme, ce sont des centaines de visites à domicile qui sautent. Des personnes âgées, des enfants, des malades chroniques qui se retrouvent sans solution en pleine nuit. On parle d’urgence vitale, pas de caprice.
« On ne peut plus accepter d’être des victimes permanentes. Dorénavant, nous serons partie civile à chaque dossier et nous exigerons un vrai procès. »
Un responsable national de SOS Médecins
Des chiffres qui font mal
Derrière les faits divers, il y a des statistiques implacables. Chaque année, des milliers d’agressions sont déclarées par les professionnels de santé. Et attention, on parle uniquement de celles qui font l’objet d’une plainte. Beaucoup de collègues laissent couler, par fatigue, par peur des représailles ou simplement parce qu’ils n’ont plus le temps.
- Plus de 1 200 agressions physiques déclarées contre des médecins libéraux en 2024 (source Observatoire national des violences en santé)
- Près de 20 000 incidents (insultes, menaces, dégradations) recensés dans les hôpitaux publics
- Une augmentation de 23 % en seulement deux ans
Et ces chiffres, croyez-moi, sont largement sous-estimés. Combien d’infirmières se font cracher dessus sans jamais porter plainte ? Combien de secrétaires médicales encaissent des insultes quotidiennes sans broncher ? On habitue les gens à la violence verbale, puis on s’étonne quand elle devient physique.
Pourquoi maintenant ce ras-le-bol collectif ?
Il y a eu un avant et un après Covid, c’est évident. Pendant la pandémie, les soignants étaient des héros. On leur offrait des pizzas, des dessins d’enfants, des applaudissements à 20 heures. Et puis, petit à petit, la mémoire collective s’est effacée. Les mêmes qui scandaient « sauvez-nous » ont commencé à reprocher les délais d’attente, les certificats refusés, les ordonnances jugées trop light.
Ajoutez à cela la pénurie médicale, les déserts médicaux, les urgences saturées, et vous obtenez un cocktail explosif. Le patient frustré n’attend plus six mois pour un rendez-vous chez le spécialiste : il attend six heures aux urgences, puis explose quand on lui dit de rentrer chez lui avec du paracétamol.
Moi, ce qui me frappe le plus, c’est le sentiment d’impunité. Trop souvent, les agresseurs s’en sortent avec un rappel à la loi, une amende symbolique ou une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (la fameuse CRPC). Des procédures rapides, oui, mais qui donnent l’impression que frapper un soignant, c’est un « petit délit » comme un vol à l’étalage.
La réponse judiciaire : un virage à 180 degrés
C’est précisément contre cette banalisation que les organisations médicales se battent aujourd’hui. Elles refusent systématiquement les CRPC. Elles exigent des procès correctionnels en bonne et due forme, avec débat contradictoire, avocats, et surtout des peines qui marquent les esprits.
Et ça commence à payer. Des parquets acceptent désormais de renvoyer les dossiers devant le tribunal correctionnel plutôt que de passer par la case plaider-coupable. Des peines de prison ferme sont prononcées. Des interdictions de contacter la victime ou de se présenter au cabinet médical sont ordonnées.
« On veut que les agresseurs comprennent que la blouse blanche n’est pas une cible gratuite. »
Un syndicat de médecins libéraux
Des solutions concrètes sur la table
Au-delà des procès, les soignants proposent des mesures de bon sens que l’on attend depuis des années :
- Installation systématique de caméras de vidéosurveillance dans les salles d’attente et les zones d’accueil
- Présence de médiateurs ou d’agents de sécurité dans les services les plus exposés
- Formation renforcée à la gestion de l’agressivité pour tout le personnel
- Dépôt de plainte facilité (guichet unique, pré-plainte en ligne dédiée)
- Création d’un délit spécifique d’outrage ou violence contre un professionnel de santé en exercice
Certains établissements ont déjà franchi le pas. Dans plusieurs hôpitaux, des boutons d’alerte silencieuse ont été installés sous les bureaux. En une pression, la police est prévenue. Simple, efficace.
Et les patients dans tout ça ?
Attention, il ne s’agit pas de dresser les soignants contre les patients. La très grande majorité des gens restent respectueux, reconnaissants, parfois même touchants dans leur gratitude. Mais une minorité pourrit la vie de tous.
Le vrai défi, c’est de rétablir la confiance. Comment soigner quelqu’un qui vous insulte ? Comment garder son calme quand on vous menace de revenir « avec des potes » ? Beaucoup de confrères avouent avoir développé une forme de méfiance systématique. C’est humain, mais c’est terriblement triste.
Et puis il y a cette question qu’on n’ose pas poser trop fort : est-ce que certains jeunes médecins hésiteront demain à s’installer en libéral ou à faire des visites à domicile par peur ? On forme des médecins brillants pour qu’ils finissent derrière un écran à faire de la téléconsultation parce que c’est plus sûr ? Ce serait une défaite collective.
Un problème de société plus large
On ne peut pas parler des violences contre les soignants sans parler de l’évolution de notre société. Le respect de l’autorité – qu’elle soit policière, enseignante ou médicale – s’effrite. On conteste tout, tout le temps, souvent avec violence.
Les réseaux sociaux n’arrangent rien. Un certificat refusé ? Hop, on balance le nom du médecin sur Facebook avec appel à la vengeance. Une attente trop longue aux urgences ? On filme le personnel en train de « glander » (alors qu’il est en pause de dix minutes après douze heures de garde).
Il y a aussi cette culture de l’instantanéité. On veut tout, tout de suite. Un rendez-vous demain, un arrêt de travail longue durée pour un rhume, des examens en urgence parce qu’on a mal quelque part depuis trois jours. Quand on dit non – et parfois on doit dire non – c’est l’incompréhension, puis la colère.
Vers un avant et un après ?
Ce qui se passe en ce moment pourrait bien marquer un tournant. Les organisations médicales sont plus déterminées que jamais. Les fermetures d’antennes SOS Médecins, les refus catégoriques de CRPC, les constitutions de partie civile systématiques : tout cela envoie un message clair.
Et la société commence à entendre. Des élus s’emparent du sujet. Des propositions de loi circulent pour alourdir les peines. Des campagnes de sensibilisation sont lancées. Peut-être que, pour une fois, la colère aura servi à quelque chose.
En attendant, des milliers de soignants continuent d’enfiler leur blouse chaque matin, le ventre parfois noué. Ils soignent, ils écoutent, ils rassurent. Mais ils mériteraient, comme n’importe quel travailleur, de pouvoir rentrer chez eux sans crainte.
Parce qu’au fond, quand on s’en prend à un soignant, ce n’est pas seulement une personne qu’on agresse. C’est tout un système de soins qu’on fragilise. Et ça, personne ne peut l’accepter.
Alors oui, il est temps que la justice parle fort. Temps que les sanctions soient à la hauteur. Temps, surtout, de redonner aux soignants la tranquillité d’esprit qu’ils méritent. Parce que sans eux, demain, qui prendra soin de nous ?
