Vous êtes tranquillement en train de flâner le long de la Saône, entre les immeubles tout neufs de Confluence, et là, au milieu des roseaux d’un petit plan d’eau artificiel, vous tombez nez à nez avec une grosse boule de poils qui nage sans se presser. Un ragondin. Puis deux. Puis toute une famille. Les enfants s’extasient, les joggeurs sourient, les touristes sortent leur téléphone. Scène presque bucolique… jusqu’à ce qu’on vous dise que l’État veut les faire abattre à coups de flèches. Bienvenue à Lyon en 2025.
Un quartier branché, un jardin aquatique et vingt ragondins qui dérangent
Le jardin aquatique Ouagadougou – oui, il porte vraiment ce nom – est un petit coin de verdure coincé entre le centre commercial et les berges. Depuis quelques années, une colonie d’une grosse vingtaine de ragondins y a élu domicile. Ces bestioles, qu’on appelle aussi myocastors pour faire savant, peuvent atteindre 60 cm de long et peser jusqu’à 10 kilos. Autant dire qu’ils ne passent pas inaperçus quand ils se baladent sur les pelouses.
Pour beaucoup d’habitants, c’est devenu une attraction. Les gamins leur donnent des petits noms, les influenceurs les filment en slow-motion, et même les vieux du quartier avouent que « ça change des pigeons ». Franchement, qui n’a jamais souri en voyant un ragondin faire sa toilette comme un gros chat mouillé ?
Mais derrière cette apparente idylle, ça chauffe sévère entre la préfecture du Rhône et la mairie écologiste.
La solution choc de l’État : la chasse à l’arc en pleine ville
Dans plusieurs courriers, l’État est clair : il faut détruire ces animaux. Et pas avec n’importe quelle méthode. La préfecture préconise carrément l’intervention de chasseurs à l’arc. Oui, vous avez bien lu : des arcs et des flèches en plein quartier Confluence, à deux pas des terrasses de cafés.
Leur argument ? C’est « efficace et discret ». Une flèche bien placée, pas de bruit, pas de panique. En théorie, c’est vrai. Dans la pratique, imaginez la tête des passants qui découvrent un archer en treillis au milieu des poussettes…
« La destruction des spécimens reste la seule solution envisageable »
– Position officielle de la préfecture du Rhône
Le ragondin est classé espèce exotique envahissante préoccupante au niveau européen. Traduction : interdiction formelle de le déplacer ou de le relâcher ailleurs. Pour l’État, c’est donc abattage ou rien.
Pourquoi tant de haine contre ces grosses peluches ?
Il y a deux gros problèmes, et ils ne sont pas négligeables.
- D’abord, les ragondins creusent des galeries qui fragilisent les berges et les digues. Dans une ville traversée par deux fleuves, ce n’est pas anodin.
- Ensuite, et c’est le plus sérieux : ils sont souvent porteurs de la leptospirose, une bactérie transmise par l’urine qui peut provoquer des formes graves chez l’homme (fièvre, jaunisse, voire insuffisance rénale).
Un enfant qui joue près de l’eau et se fait une petite coupure, un chien qui boit dans le plan d’eau… le risque existe. Et l’État préfère prévenir que guérir.
Moi, je comprends l’argument sanitaire. Quand on a vu des cas graves de leptospirose à l’hôpital, on relativise vite le côté « mignon » de l’animal.
La réponse de la mairie : on veut stériliser plutôt que tuer
De son côté, la municipalité écologiste refuse catégoriquement l’abattage. Leur idée ? Capturer les ragondins, les faire opérer pour les rendre stériles, puis les relâcher sur place. Une méthode non létale déjà testée avec succès sur d’autres espèces (chats harets, pigeons, etc.).
Ils se sont rapprochés de l’école vétérinaire VetAgro Sup pour monter un protocole scientifique sérieux : capture, stérilisation chirurgicale, suivi sanitaire, relâcher. Le tout avec un vrai suivi dans le temps.
« On milite pour des méthodes éthiques. Tuer n’est pas une fatalité. »
– Représentante d’une association de défense animale
Une pétition en ligne a déjà récolté plus de 26 000 signatures. Les Lyonnais semblent majoritairement choqués par l’idée d’une chasse à l’arc en ville.
Et ailleurs, ça se passe la stérilisation ?
En réalité, oui. Plusieurs villes européennes ont déjà expérimenté la stérilisation des ragondins avec des résultats encourageants. À Barcelone, par exemple, une colonie a été stabilisé puis diminué naturellement en quelques années. Même chose dans certaines communes suisses.
Le gros avantage ? On garde un contrôle sanitaire (les animaux stérilisés sont suivis), on évite les images choquantes, et on montre qu’on peut gérer la faune urbaine autrement qu’avec un fusil… ou un arc.
Le hic ? C’est plus long, plus cher au départ, et ça demande une coordination entre vétérinaires, associations et services municipaux. Mais à l’État, qui veut une solution rapide et radicale.
Entre émotion et raison : où est le juste milieu ?
Personnellement, je suis partagé. D’un côté, je trouve l’idée de tirer à l’arc en pleine ville complètement hallucinante. On n’est pas dans Robin des Bois, là. De l’autre, je sais que la leptospirose n’est pas une blague – j’ai vu des collègues médecins raconter des cas lourds.
La stérilisation me semble être une piste intéressante, à condition qu’elle soit vraiment efficace et suivie dans la durée. Parce que si dans deux ans on se retrouve avec 80 ragondins au lieu de 20, on aura l’air malins.
Ce qui est sûr, c’est que ce petit conflit lyonnais pose une question de société bien plus large : comment cohabiter avec la faune sauvage en ville ? Entre l’émotion légitime face à des animaux attachants et les impératifs de santé publique, le curseur est difficile à placer.
Et vous, vous en pensez quoi ?
Moi, je penche plutôt pour la stérilisation, mais je comprends ceux qui ont peur pour la santé des enfants. L’idéal serait sans doute un compromis : stérilisation + déplacement d’une partie de la colonie vers un site adapté + suivi sanitaire renforcé.
En attendant, les ragondins du jardin Ouagadougou continuent de se dorer la pilule au soleil, inconscients du débat qu’ils provoquent. Et quelque part, c’est peut-être ça le plus drôle : pendant qu’on s’étripe sur leur sort, eux, ils profitent tranquillement de la vie.
Affaire à suivre. Très étroitement.
