Vous est-il déjà arrivé d’ouvrir le robinet et de vous demander si vous alliez vraiment pouvoir boire ce qui en sort ?
Pour la plupart d’entre nous, c’est une question qu’on ne se pose même pas. En France, pays de l’eau en bouteille la plus vendue au monde, on oublie parfois que l’eau du robinet reste un luxe fragile. Et puis il y a ces endroits, ces petits coins oubliés, où le simple geste de tourner un robinet devient une épreuve quotidienne.
C’est exactement ce qui se passe dans le hameau de Longbut, tout près de Verdun, dans la Meuse. Cinq maisons, cinq familles, vingt-cinq ans de galère avec une eau qui jaunit le linge, ronge la vaisselle et, pour certains, abîme la santé. Vingt-cinq ans. Autant dire une vie entière.
Quand l’eau du robinet devient un ennemi intime
Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu une photo d’un tee-shirt censé être blanc… mais qui tirait sur le jaune moutarde. On aurait dit qu’il avait trempé dans du thé trop infusé. Sauf que non : il sortait tout juste de la machine à laver. L’eau du robinet avait fait son œuvre.
Dans ces cinq maisons, c’est le même spectacle partout. Les verres sortent du lave-vaisselle avec une pellicule orangée impossible à enlever sans acide. Les toilettes sont striées de traces indélébiles. Les bouilloires meurent prématurément. Et les habitants ? Ils achètent des palettes entières d’eau en bouteille, même pour se brosser les dents.
« Se brosser les dents avec de l’eau en bouteille à perpétuité, ce n’est pas une vie… »
Un habitant du hameau
Cette phrase, elle résume tout. On parle d’un besoin vital devenu un luxe payant.
Comment on en est arrivé là ?
L’histoire commence il y a plus d’un quart de siècle. À l’époque, une commune voisine change de réseau d’alimentation en eau. Conséquence indirecte : le débit de la source qui alimente Longbut chute brutalement. L’eau qui arrive jusqu’aux cinq maisons stagne dans une vieille canalisation. Et quand l’eau stagne… elle pourrit.
Le phénomène est bien connu des spécialistes : on parle de biofilm, de libération de fer et de manganèse, d’odeurs sulfureuses. En clair, l’eau devient un bouillon de culture. Parfois noire, parfois juste jaunâtre, mais jamais vraiment potable.
L’un des habitants, agriculteur, a fini par craquer : il a investi 25 000 euros de sa poche pour faire creuser un forage privé. Juste pour pouvoir donner à boire à ses bêtes sans les empoisonner. Pour sa famille, il continue malgré tout à acheter de l’eau en bouteille.
Un parcours du combattant administratif
Pendant des années, ces familles ont écrit, appelé, manifesté doucement. Elles se sont heurtées à un mur : changements de compétence entre communes, transfert vers la communauté d’agglomération, priorisation des dossiers… Tout y est passé.
Ce qui rend dingue, c’est le sentiment d’abandon. On investit des centaines de milliers d’euros dans des projets environnementaux ou sociaux ailleurs, mais ici, cinq foyers restent avec une eau imbuvable. Comme si, parce qu’ils sont peu nombreux, leur problème ne comptait pas.
- Analyses de l’Agence régionale de santé : eau non conforme en permanence
- Rappels à l’ordre successifs classés sans suite
- Promesses de travaux repoussées d’année en année
- Solution enfin actée : 3 km de nouvelle canalisation
Le coût ? 365 000 euros. Les travaux doivent débuter début 2026. Autant dire que certains habitants n’y croient plus vraiment.
Les conséquences sur la santé : le tabou
Officiellement, personne ne peut prouver que les problèmes gastriques récurrents de certains habitants viennent de l’eau. Mais quand même… Quand vous buvez, cuisinez, vous lavez avec une eau chargée en fer, manganèse et parfois bactéries, vous vous posez des questions.
J’ai discuté avec des médecins de campagne : ils voient régulièrement ce genre de cas dans les zones rurales avec vieux réseaux. Irritations cutanées, troubles digestifs chroniques, fatigue… Rien de dramatique en soi, mais usant à long terme.
Et puis il y a les enfants qui ont grandi là. Toute leur enfance avec de l’eau en bouteille. Ça laisse des traces, même psychologiques.
Un problème plus répandu qu’on ne le croit
Ce qui est fou, c’est que Longbut n’est pas un cas isolé. Dans les Ardennes, dans l’Oise, dans bien d’autres départements ruraux, des hameaux entiers vivent la même galère. Des réseaux anciens, des sources taries, des collectivités débordées.
La France compte encore des milliers de petits réseaux privés ou semi-privés qui échappent parfois aux contrôles stricts. Et quand le problème touche seulement quelques maisons, il passe après les gros chantiers.
Pourtant, l’eau potable, c’est un droit fondamental. Pas une loterie géographique.
Et demain ?
Les travaux sont annoncés pour 2026. Sur le papier, c’est la fin du calvaire : raccordement à un réseau moderne, eau claire et sans odeur. Mais entre les annonces et la réalité, il y a souvent un fossé.
Les habitants, eux, restent prudents. Ils ont trop souvent entendu « c’est pour bientôt ». Certains ont déjà prévu d’installer des filtres supplémentaires, même après les travaux. Par précaution.
Ce qui est sûr, c’est que cette histoire pose une question plus large : jusqu’où est-on prêt à laisser des citoyens français vivre avec une eau indigne au XXIe siècle ? Parce que cinq familles, ce n’est pas grand-chose en termes électoraux. Mais en termes d’humanité, c’est énorme.
Personnellement, ce genre d’histoire me met en colère. Pas une colère bruyante, mais une colère sourde. Celle qu’on ressent quand on réalise que, quelque part en France, des gens ordinaires se battent encore pour avoir de l’eau potable. En 2025.
Alors oui, les travaux arrivent. Mais vingt-cinq ans, c’est long. Trop long.
Espérons simplement que cette fois, les promesses seront tenues. Et que dans un an, ces familles pourront enfin ouvrir leur robinet sans grimacer.
Parce que franchement, on mérite tous mieux que ça.
