Quand j’étais étudiante, on nous répétait sans cesse que l’avenir appartenait aux filles. Meilleures notes, plus de bacs +5, plus de diplômes d’ingénieur… Logiquement, vingt ans plus tard, les conseils d’administration devraient ressembler à des réunions de fac de lettres. Et pourtant. Zéro femme à la tête des entreprises du CAC 40. 17 % d’écart de salaire en moyenne. Et cette impression tenace qu’il faut toujours en faire deux fois plus pour être considérée à moitié aussi sérieuse. Coïncidence ? Je ne crois pas.
J’ai récemment plongé dans un livre qui m’a littéralement scotchée au canapé un dimanche entier – chose rare. Il s’appelle Les Méritantes et, derrière ce titre un peu ironique, se cache une analyse au scalpel de tout ce qui, dans le monde du travail tel qu’on l’a construit, continue de freiner les femmes. Et surtout, pourquoi on a beau être ultra-compétentes, on reste souvent coincées au milieu de l’échelle.
Le grand mystère de la disparition des excellentes élèves
Commençons par un constat qui donne le vertige. À l’école, les filles cartonnent. Elles sont majoritaires dans les filières scientifiques prestigieuses, raflent les mentions très bien, décrochent plus souvent les grandes écoles. Et puis, paf. Dès qu’on entre dans le monde pro, tout s’inverse. Comme si un tri sélectif invisible s’opérait dès les premiers stages.
Je me souviens d’une amie qui bossait dans une grande banque. Major de sa promo d’HEC, elle a commencé au même poste qu’un garçon moyen-moyen de sa classe. Cinq ans plus tard, lui était déjà directeur adjoint. Elle ? Toujours analyste senior. Quand elle a demandé pourquoi, on lui a répondu : « Tu es excellente, mais lui… il a plus de charisme. » Traduisez : il parle plus fort en réunion.
Le plafond de verre ? Non, un véritable système de privilèges
L’autrice démonte une idée reçue qui m’agace profondément : celle qu’il suffirait d’être « méritante » pour grimper. En réalité, le système est conçu pour récompenser autre chose. La disponibilité totale, les horaires à rallonge, le réseau informel après 19 h (les fameux « verres entre mecs »), la prise de risque visible… Tout ça avantage structurellement les hommes, surtout ceux qui n’ont pas la charge mentale du dîner des enfants ou du rendez-vous pédiatre.
« L’entreprise n’est pas neutre. Elle a été pensée par et pour des hommes qui avaient une femme à la maison. »
Et là, ça fait tilt. Parce qu’on a beau avoir fait tomber pas mal de barrières légales, les fondations, elles, sont toujours les mêmes. Réunions à 18 h 30, déplacements imprévus le vendredi soir, culture du présentéisme… Tout ça, c’est du privilège déguisé en « exigence du poste ».
L’écart salarial : 17 %, et ce n’est pas que l’effet maman
On entend souvent : « Oui mais les femmes gagnent moins parce qu’elles font des enfants. » Faux. Dès le premier emploi, à compétences et diplômes égaux, l’écart existe déjà (environ 9 %). Et il se creuse ensuite, bien sûr avec la maternité, mais pas seulement. Les femmes négocient moins leur salaire (par peur d’être jugées agressives), orientent moins leur carrière vers les postes les plus rémunérateurs (finance, tech pure), et se retrouvent plus souvent à temps partiel – souvent imposé subtilement après un congé maternité.
- À 25 ans : –9 % à poste et diplôme égaux
- À 35 ans : –17 % en moyenne
- À 50 ans : jusqu’à –40 % sur le salaire annuel une fois les temps partiels pris en compte
Ces chiffres font mal. Surtout quand on sait que les femmes représentent 60 % des diplômés du supérieur. On forme des élites féminines… pour les cantonner ensuite à des postes d’exécution brillante mais mal payés.
La maternité, ce délit de carrière qui ne dit pas son nom
Accoucher reste, en 2025, le plus grand risque professionnel pour une femme. Pas parce qu’on devient soudain moins intelligente (étonnant, non ?), mais parce que l’entreprise interprète la grossesse comme un abandon de l’ambition. J’ai vu des collègues se faire écarter des gros projets dès l’annonce. « Pour ne pas les surcharger », qu’on leur disait. Traduction : tu n’es plus dans le wagon des futurs cadres sup.
Et puis il y a la charge mentale post-retour. L’école qui ferme à 16 h 30, les enfants malades, les activités extrascolaires. Tout repose encore majoritairement sur les mères. Résultat ? Beaucoup réduisent leur temps de travail ou refusent des promotions qui impliqueraient des déplacements. Et on les accuse ensuite de « manquer d’ambition ». C’est violent.
Le syndrome de la bonne élève qui tue la carrière
Autre révélation qui m’a fait grincer des dents : on nous a tellement appris à être parfaites à l’école que ça nous dessert au bureau. Les filles sont conditionnées à rendre un travail impeccable, à lever la main pour répondre juste, à ne jamais déranger. Les garçons ? À prendre la parole même quand ils n’ont que 70 % de la réponse, à se vendre, à networker.
En entreprise, la perfection est l’ennemie de la visibilité. Celui qui parle le plus fort, qui revendique le projet même s’il n’a fait que 20 % du boulot, qui se met en avant, gagne. Et devinez quoi ? Ce sont rarement les femmes qu’on a élevées dans le culte du 20/20.
Et si on arrêtait de réparer les femmes pour réparer le système ?
Le livre a un mérite énorme : il refuse la énième injonction à « oser », « se vendre », « networker plus ». Bien sûr qu’il faut le faire. Mais mettre la pression sur les femmes pour qu’elles s’adaptent à un système dysfonctionnel, c’est injuste. L’autrice propose plutôt de s’attaquer aux racines :
- Interdire les réunions après 17 h quand des enfants sont en jeu
- Rendre le temps partiel réellement choisi (et non imposé après congé mat)
- Mettre en place des quotas de promotion (pas seulement d’embauche)
- Former les managers à détecter les biais (et sanctionner quand ils persistent)
- Valoriser le télétravail et la flexibilité pour tout le monde, pas seulement les parents
Parce que, et c’est peut-être le plus intéressant, quand on rend le travail compatible avec une vie de famille, ce ne sont pas seulement les femmes qui en profitent. Les pères aussi. Et soudain, tout le monde respire mieux.
Mon avis après lecture : ça remue, ça énerve, mais ça libère
Franchement, ce livre m’a fait passer par toutes les émotions. D’abord la colère (comment est-ce encore possible en 2025 ?), ensuite une immense fatigue (combien de générations encore ?), et enfin… une forme de soulagement. Parce que comprendre que ce n’est pas nous le problème, c’est déjà énorme.
On n’est pas moins ambitieuses. On n’est pas moins compétentes. On est juste coincées dans une machine pensée il y a cinquante ans pour des hommes avec une femme au foyer. Point.
Si vous êtes une femme en activité, si vous managez des équipes, si vous êtes simplement curieux de comprendre pourquoi la parité patine autant malgré les discours, lisez ce livre. Il ne vous donnera pas de recette magique (désolée, ça n’existe pas), mais il vous armera pour identifier les mécanismes et, peut-être, commencer à les faire sauter un par un.
Parce qu’un jour, j’espère vraiment qu’on n’aura plus besoin d’écrire ce genre d’ouvrage. Mais en attendant, merci à celles qui osent encore mettre des mots sur l’invisible. C’est déjà une petite révolution.
