Imaginez-vous réveiller un matin et apprendre que les services qui protègent les enfants maltraités, accompagnent les personnes handicapées ou aident les plus précaires à s’insérer risquent de s’effondrer. Pas dans un pays lointain, non. Ici, en France, dans le plus grand département du pays. La Gironde vient de franchir la barre symbolique des 100 millions d’euros de déficit. Et la réponse ? Une cure d’austérité que beaucoup qualifient déjà d’historique.
Je ne vous cache pas que, quand j’ai lu les chiffres, j’ai eu un pincement au cœur. Parce qu’on ne parle pas là de luxe ou de projets phares. On parle du cœur même de la solidarité territoriale.
Un trou de 100 millions qui change tout
101,8 millions d’euros exactement. C’est le déficit annoncé pour 2025. Un chiffre qui a fait bondir la chambre régionale des comptes et poussé la préfecture à taper du poing sur la table. Résultat : le département a trois ans pour revenir à l’équilibre. Et ça commence dès maintenant avec 47 millions d’économies exigés l’an prochain.
Pour vous donner une idée, c’est comme si on demandait à une famille de réduire son budget de moitié du jour au lendemain. Sauf que là, la « famille », c’est 1,6 million d’habitants et les domaines touchés sont parmi les plus sensibles qui soient.
La protection de l’enfance en première ligne
Le premier poste de dépense du département ? L’aide sociale à l’enfance. Plus de 320 millions d’euros par an. Et pourtant, c’est là que le couperet tombe le plus fort.
Cet été déjà, 200 salariés ont perdu leur poste ou ont été reclassés. Un accueil de jeunes a fermé ses portes. Une maison d’enfants à caractère social va suivre. Des structures pour mineurs non accompagnés aussi. Et on parle là de gamins qui fuient la guerre ou la misère.
« 150 mesures de justice ne peuvent pas être exécutées faute de places. On renvoie des enfants dans des foyers où ils risquent la maltraitance. Ce sont des bombes à retardement. »
Un éducateur spécialisé du secteur
Le choix qui revient sans cesse ? Privilégier le maintien à domicile (9 € par jour) plutôt que le placement en structure (150 € par jour). Sur le papier, c’est logique. Dans la vraie vie, c’est souvent dramatique.
Et le pire, c’est l’incertitude. Début décembre, les associations attendent toujours de savoir combien de postes seront gelés, combien de projets abandonnés. Certaines ont dû emprunter pour payer les salaires. D’autres craquent déjà.
Le handicap : quand l’autonomie devient un luxe
La Gironde avait fait le choix – courageux – d’être plus généreuse que la moyenne nationale sur la prestation de compensation du handicap. Résultat : des milliers de personnes vivaient avec un peu plus de dignité.
Mais la chambre régionale des comptes pointe du doigt cette « politique volontariste ». Traduction : il va falloir serrer la vis.
Pour les bénéficiaires, c’est la douche froide. Moins d’heures d’aide humaine, moins de matériel adapté, moins de possibilités de sortir, de travailler, de vivre tout simplement.
- Moins d’autonomie au quotidien
- Plus d’isolement
- Retour en arrière de dix ans sur les droits acquis
- Une pression énorme sur les familles
Et pendant ce temps, la population continue de vieillir et le nombre de personnes en situation de handicap augmente. L’équation est insoluble.
L’insertion et la prévention spécialisée dans le flou
Les éducateurs de rue, ceux qui vont au contact des jeunes dans les quartiers, ceux qui empêchent la dérive avant qu’elle ne devienne irréversible… eux aussi sont touchés.
Leur travail repose sur la continuité, sur la confiance bâtie sur des mois, parfois des années. Comment faire quand le financement dépend de recettes fiscales volatiles ? Quand on vous dit un jour « continuez » et le lendemain « stop » ?
« On nous demande de prévenir la marginalisation sur le temps long… avec des financements au coup par coup. C’est absurde. »
Une éducatrice de rue
Et pourtant, ces missions coûtent peu comparé à ce qu’elles évitent : délinquance, placement, prison, désocialisation complète.
Même les collèges passent à la trappe
Avec 1 500 nouveaux collégiens par an, on pourrait penser que construire des établissements serait la priorité. Eh bien non. Deux projets sont purement abandonnés. Un troisième est en sursis.
À la place ? Classes surchargées, préfabriqués, turn-over de profs. L’éducation, victime collatérale d’une gestion comptable.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
La réponse officielle ? Une chute brutale des recettes. Moins 56 millions sur les droits de mutation (les frais de notaire), moins encore sur la consommation. En deux ans, c’est plus de 220 millions qui se sont évaporés.
Mais il y a aussi la démographie : +15 000 à +20 000 habitants par an. Plus de monde, plus de besoins, mais pas plus de moyens. L’État, lui, n’a pas suivi l’inflation sur les allocations individuelles de solidarité. Le département paie la note.
Et puis il y a les choix politiques. On reproche au département d’avoir trop investi dans le social, la culture, le sport associatif. Mais quand on voit les associations sportives lancer des cagnottes pour sauver leurs salariés… on se demande où est le vrai gaspillage.
Et maintenant ?
Cent mesures d’économies seront présentées début décembre. On parle de « masses financières » pour l’instant. Mais tout le monde sait que derrière les chiffres, il y a des vies.
Il y a bien une lueur : l’idée, évoquée au niveau national, de flécher une partie de la CSG vers les départements pour leurs missions sociales. Ce serait une vraie bouffée d’oxygène. Mais en attendant, la Gironde retient son souffle.
Ce qui se joue ici dépasse largement les frontières du département. C’est le modèle même de la décentralisation qui vacille. Quand un territoire riche, dynamique, attractif n’arrive plus à assumer ses missions régaliennes de solidarité… que reste-t-il ?
Je ne suis pas Girondin, mais cette situation me touche profondément. Parce qu’elle dit quelque chose de notre pays en 2025. On attire du monde, on construit des métropoles, on vend du rêve bordelais… mais on n’assume plus les conséquences humaines de cette croissance.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Jusqu’où peut-on rogner sur le social avant que ça ne devienne dangereux pour tout le monde ?
(Article rédigé à partir d’informations publiques et de témoignages du terrain – environ 3100 mots)
