Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe dans la tête d’un skieur quand une montagne entière semble s’effondrer sur lui ? Quand la neige, si douce d’habitude, se transforme en un monstre blanc capable de tout balayer sur son passage ? Jeudi dernier, dans les Pyrénées, un homme d’une cinquantaine d’années a vécu exactement ça… et il est toujours là pour en parler.
Quatre cents mètres. C’est la distance sur laquelle il a été emporté. Quatre cents mètres de chaos absolu, de neige qui vous broie, vous retourne, vous enterre vivant. Et pourtant, quand les secours sont arrivés, il était conscient, parlait, et ne souffrait « que » d’une luxation de l’épaule et d’une légère hypothermie. Franchement, on a du mal à y croire.
Un miracle nommé chance (et un peu de préparation)
Le secteur ? Le pic dels Pedrons, tout près de la frontière andorrane. Un coin magnifique pour le ski hors-piste quand les conditions sont bonnes… et un piège mortel quand elles ne le sont plus. Ce jour-là, quatre skieurs expérimentés progressaient en file indienne. Le premier passe, rien. Le deuxième, rien non plus. Le troisième… et là, crac. Une plaque à vent de près de 80 cm d’épaisseur se décroche brutalement.
En une fraction de seconde, le quatrième homme du groupe se retrouve au cœur de l’avalanche. Plus de haut, plus de bas. Juste la violence de la neige qui le malmène comme une poupée de chiffon. Quatre cents mètres plus bas, la coulée s’arrête enfin. Ses copains, indemnes mais sous le choc, déclenchent immédiatement l’alerte.
« À l’arrivée des secours, l’homme était conscient, orienté, et ne présentait qu’une luxation de l’épaule et une légère hypothermie. »
D’après les équipes de secours en montagne
Quand on connaît les statistiques – 25 % de chances de survie après 15 minutes d’ensevelissement complet –, on mesure la chance phénoménale de ce skieur. Il a été traîné en surface une grande partie du trajet. Un « miracle » selon beaucoup, mais aussi le résultat de plusieurs facteurs que l’on va décortiquer ensemble.
Pourquoi cette avalanche s’est déclenchée précisément là ?
Les Pyrénées ont reçu énormément de neige ces derniers jours, suivie de fortes rafales de vent. Résultat : des plaques dures se forment sur une sous-couche plus fragile. C’est la recette classique des avalanches de plaque. Le bulletin indiquait un risque marqué, niveau 3/5 – ce qui signifie déjà « nombreuses départs spontanés possibles ».
Mais niveau 3, beaucoup de skieurs hors-piste le prennent encore. Et c’est là que ça devient délicat. Entre l’envie de tracer la première courbe dans une neige vierge et la prudence absolue, la frontière est parfois mince.
- Accumulations importantes sous les crêtes
- Vent fort de secteur nord-ouest
- Sous-couche fragile non consolidée
- Pente à 35-40° orientée est
Tous les ingrédients étaient réunis. Il a suffi du poids d’un seul skieur pour que tout lâche.
Le matériel de sécurité a-t-il joué son rôle ?
On ne le saura jamais avec certitude, mais on peut faire des hypothèses solides. Le fait que la victime ait été localisée rapidement laisse penser que le groupe était équipé en DVA (détecteur de victimes d’avalanche), pelle et sonde – le trio absolument obligatoire en hors-piste.
Le DVA émet un signal même quand on est emporté. Si ses camarades ont pu guider précisément les secours, c’est probablement grâce à cela. Et surtout, le fait qu’il n’ait pas été complètement enseveli a tout changé. Dans 90 % des cas mortels, la victime est totalement recouverte.
Petite parenthèse : porter un DVA, c’est bien. Savoir s’en servir sous stress, c’est autre chose. Combien de groupes s’entraînent vraiment chaque début de saison ? Posez-vous la question.
Les gestes qui sauvent quand l’avalanche démarre
Il y a quelques réflexes qui, même au milieu du chaos, peuvent faire la différence. Les moniteurs de haute montagne les répètent sans cesse :
- Fermer la bouche et protéger son visage avec les bras
- Essayer de « nager » pour rester en surface
- Quand la neige ralentit, créer une poche d’air devant la bouche
- Garder une main vers le haut pour signaler sa position
Est-ce que notre skieur a eu le temps de faire tout ça ? Probablement pas consciemment. Mais parfois, l’instinct prend le relais.
Et l’airbag ? Le grand absent qui intrigue
De plus en plus de skieurs hors-piste s’équipent d’un airbag avalanche. Ce sac à dos qui se gonfle en 3 secondes et vous fait flotter comme un bouchon. Les statistiques sont éloquentes : réduction de la mortalité de 50 à 70 % selon les études suisses et autrichiennes.
On ne sait pas si le groupe en avait. Mais quand on voit le résultat – une simple luxation après 400 mètres de tumble –, on se dit que soit il en avait un… soit il a eu une chance absolument dingue.
Que nous apprend cette histoire (au-delà du miracle) ?
D’abord, que même des skieurs expérimentés peuvent se faire surprendre. Ensuite, que le niveau 3, ce n’est pas « ça va, on y va ». C’est déjà sérieux. Enfin, que le matériel et la formation sauvent des vies.
J’ai discuté avec un guide de haute montagne il y a quelques jours. Il me disait : « Le hors-piste, c’est 10 % de matériel, 30 % de technique, et 60 % d’humilité. » Cette phrase m’a marqué. Parce que la montagne ne négocie jamais.
« Il y a des jours où la plus belle trace, c’est celle qu’on ne fait pas. »
Un vieux briscard des Pyrénées
Cette histoire finit bien. Mais combien finissent mal ? Chaque hiver, les Pyrénées pleurent des skieurs. Souvenez-vous de ça avant de vous lancer.
Comment skier plus sûr cet hiver dans les Pyrénées ?
Voici ma petite checklist perso, celle que je donne à tous mes potes avant chaque sortie :
- Lire le bulletin avalanche tous les matins (et le comprendre)
- Checker la météo des 72 h précédentes
- Ne jamais partir seul
- S’entraîner au moins une fois par saison avec DVA/pelle/sonde
- Avoir un plan B… et C
- Accepter de faire demi-tour (c’est le geste le plus intelligent)
Et si vraiment vous voulez rider les faces raides, prenez un guide. Oui c’est cher. Non, ce n’est pas « tricher ». C’est juste être vivant le soir pour raconter la journée à ses enfants.
Ce skieur miraculé des Pyrénées rentrera chez lui avec une épaule en vrac et des souvenirs gravés à jamais. Il a gagné le droit de raconter qu’il a dansé avec la montagne… et qu’elle l’a laissé repartir.
Prenez soin de vous là-haut. La neige sera encore là demain.
