Imaginez la scène : un jeudi de novembre, froid mordant, neige qui craque sous les rangers. Au milieu des montagnes du Vercors, un président en parka kaki prend la parole devant des centaines de militaires et une poignée de jeunes qui découvrent, peut-être pour la première fois, ce que signifie vraiment « servir ». Ce n’est pas une visite de routine. C’est le jour où Emmanuel Macron pose la première pierre d’un projet qui fait déjà trembler les habitudes : le retour d’un service national, mais pas n’importe lequel.
Et franchement, quand on entend parler de dix mois en uniforme, on se dit que quelque chose a changé. Profondément.
Un service national qui ne fait plus semblant
Oubliez le SNU version summer camp avec paintball et débats sur l’écologie. Ce qui a été annoncé à Varces, c’est autre chose. Un vrai retour aux sources militaires, sans détour. Le chef de l’État l’a répété plusieurs fois : « purement militaire ». Le mot est lâché, et il pèse lourd.
Dix mois. Pas quinze jours. Pas un stage de cohésion avec selfies. Dix mois où l’on apprend à marcher au pas, à démonter une arme, à évoluer en terrain hostile, à secourir un camarade sous le feu. On reste sur le territoire national, certes, mais l’idée est claire : préparer une génération à l’éventualité – non plus si lointaine – d’un conflit de haute intensité.
Pourquoi maintenant ? Le contexte que personne n’ose ignorer
Revenons deux secondes en arrière. Depuis 2022, les discours se sont durcis. Les généraux parlent ouvertement de « guerre de haute intensité ». On prépare les unités à pouvoir perdre des milliers d’hommes en quelques semaines. On reconstitue des stocks d’obus comme au temps de la Guerre froide. Et au milieu de tout ça, une question revenait sans cesse dans les états-majors : qui va combattre si, demain, il faut vraiment défendre le sol national ?
La réponse était cruelle : presque personne. La suspension du service militaire en 1997 avait laissé une armée de professionnels ultra-compétente… mais minuscule. Et une jeunesse qui, globalement, n’a plus la moindre idée de ce qu’est un ordre de mobilisation.
« Nous devons être capables de tenir face à un adversaire qui n’aurait pas les mêmes règles que nous. »
– Un général entendu en privé, il y a quelques mois
Et c’est là que le nouveau service national prend tout son sens. Il ne s’agit pas de transformer chaque jeune en Rambo. Mais de créer une réserve opérationnelle crédible, formée, encadrée, prête à être rappelée le jour où les sirènes retentiront pour de vrai.
Les grandes lignes du dispositif : ce qu’on sait déjà
- Durée : dix mois (dont deux mois de formation initiale intensive)
- Public cible : 18-25 ans, priorité 18-19 ans
- Volontariat… mais avec des incitations très fortes (points bonus concours, accès prioritaire logements, etc.)
- Mixité totale : filles et garçons dans les mêmes unités
- 100 % militaire : pas de missions sociales ou environnementales
- Début des premières sessions : été 2026
- Lieux : principalement les régiments existants, dont les unités de montagne et parachutistes
Petit détail qui a son importance : il ne portera même pas l’étiquette « volontaire » dans son nom officiel. Juste « service national ». Comme un clin d’œil à l’histoire. Et peut-être comme un message.
Le SNU, cet échec qu’on assume enfin
Soyons honnêtes : le Service National Universel version 2019, c’était l’idée sympa sur le papier qui s’est cassé les dents sur la réalité. Deux semaines en centre aéré, des jeunes qui passaient plus de temps à faire des selfies qu’à apprendre à tenir un Famas, un coût astronomique… et surtout zéro impact sur la résilience du pays.
À Varces, on a senti que ce chapitre était clos. Le président n’a même pas cherché à sauver les meubles. Le SNU continuera peut-être pour les collégiens, mais pour les 18-25 ans, on passe à la vitesse supérieure. Et tant pis si certains crient au retour en arrière.
Une jeunesse prête… ou pas ?
J’ai discuté avec quelques jeunes présents ce jour-là à la 27e BIM. L’ambiance était étrange. Entre curiosité et légère appréhension. Un garçon de 19 ans, étudiant en école de commerce, m’a glissé : « Franchement, dix mois, c’est long… mais si c’est pour apprendre des trucs utiles et que ça compte vraiment pour la suite, pourquoi pas. » Une fille, 20 ans, en fac de droit : « Moi ça me fait peur, mais en même temps… on voit bien que le monde devient dangereux. »
Ce qui est intéressant, c’est que personne n’a ri ou haussé les épaules. Il y a cinq ans, ç’aurait été le cas. Aujourd’hui, la menace russe, les tensions en Indo-Pacifique, les images d’Ukraine… tout ça a changé la donne. La génération Z n’est peut-être pas plus belliqueuse, mais elle est lucide.
Et les filles dans tout ça ?
Point non négociable : la mixité. Pas de bataillon rose bonbon. Les mêmes efforts, les mêmes épreuves, les mêmes nuits sous tente à -10°C. Certains y voient un progrès formidable. D’autres s’inquiètent des conditions d’intimité ou des différences physiques. Mais l’armée a déjà commencé à adapter ses référentiels (sans les brader, paraît-il).
Ce qui est sûr, c’est que ça va changer profondément l’image de l’institution. Une armée où un tiers des appelés seront des femmes, ça n’a plus rien à voir avec les clichés des années 80.
Combien ça va coûter ? (La question qu’on n’a pas osé poser trop fort)
Officiellement, on parle de « plusieurs centaines de millions d’euros par an ». En réalité, les chiffres qui circulent dans les couloirs tournent plutôt autour de 2 à 3 milliards une fois le dispositif à plein régime. C’est énorme. Mais quand on compare aux 50 milliards annuels du budget défense… et surtout quand on sait que former un réserviste opérationnel coûte dix fois moins cher que maintenir un professionnel sous contrat, l’équation devient plus lisible.
Et demain ? Vers l’obligation déguisée ?
Le mot qui n’a pas été prononcé, mais qui planait dans toutes les têtes : obligation. Pour l’instant, on jure que non. Volontariat pur et dur. Mais plusieurs officiers supérieurs le disent tout bas : si on n’atteint pas les objectifs de recrutement (on parle de plusieurs dizaines de milliers par an), la question sera remise sur la table avant la fin du quinquennat.
Et là, ça deviendra vraiment intéressant. Parce qu’imposer dix mois à toute une classe d’âge, dans la France de 2026, ça ne passera pas comme une lettre à la poste.
Ce qui se joue à Varces, finalement, c’est peut-être bien plus qu’un simple dispositif de formation. C’est une tentative – risquée, ambitieuse, presque désespérée parfois – de reconnecter un pays à l’idée de sacrifice collectif. De redonner un sens au mot « patrie » sans tomber dans le ridicule ou le nationalisme ringard.
Est-ce que ça marchera ? Franchement, je n’en sais rien. Mais une chose est sûre : on vient d’entrer dans une nouvelle ère. Et nos enfants, ceux qui ont 15 ou 16 ans aujourd’hui, grandissent déjà avec cette idée en tête.
L’histoire, comme toujours, jugera. En attendant, les montagnes du Vercors, elles, continuent de veiller. Silencieuses et impressionnantes. Exactement comme ce qui est en train de se mettre en place sous nos yeux.
