Vous vous souvenez quand on disait que les municipales, c’était l’affaire des notables locaux et des barons socialistes ? Fini. En cette fin 2025, un vent mauvais souffle sur la gauche traditionnelle. Et il vient directement du côté de La France Insoumise.
J’ai assisté à pas mal de réunions politiques dans ma vie, mais le meeting d’Aubervilliers du 23 novembre avait quelque chose de particulier. Une énergie presque guerrière. Deux mille personnes entonnant l’Internationale comme si on était revenus en 1936. Et au milieu, des cadres qui ne cachent plus leur ambition : mettre tout le monde d’accord, y compris (et surtout) leurs anciens alliés.
LFI ne veut plus être le petit frère turbulent de la gauche
Le message est clair, presque brutal. On ne vient plus pour faire de la figuration ou négocier sagement des places sur des listes d’union. Non. Cette fois, on vient pour prendre le pouvoir local, ville par ville, quartier par quartier. Et tant pis si ça froisse le Parti socialiste ou les écologistes.
Ce qui frappe d’abord, c’est le changement de ton. Pendant des années, LFI a été accusée de tout : sectarisme, radicalité, incapacité à gouverner localement. Aujourd’hui, le mouvement assume une stratégie d’implantation territoriale digne des anciens communistes des années 70. On appelle ça le « communalisme, un mot qui fait grincer des dents à gauche mais qui résume parfaitement l’idée : conquérir les mairies pour transformer la société de l’intérieur.
Des têtes d’affiche déployées comme jamais
Regardez les candidatures annoncées. À Paris, c’est Sophia Chikirou qui prend la tête de liste. À Marseille, Sébastien Delogu, le député qui avait fait le buzz à l’Assemblée. À Roubaix, David Guiraud, jeune loup déjà connu pour ses prises de position tranchées. On est loin des militants anonymes d’il y a dix ans.
Ces figures médiatiques ne sont pas là par hasard. Elles servent de locomotives. L’objectif ? Faire parler d’elles dès le premier tour pour peser lourd au second. Parce que c’est là que tout va se jouer.
« Ce seront des élections politiques (…) nous serons à un an de l’élection présidentielle, dont ceci pourrait bien être un galop d’essai »
– Jean-Luc Mélenchon, meeting d’Aubervilliers, 23 novembre 2025
Le vrai objectif : les sénatoriales de septembre 2026
On parle beaucoup des mairies, mais le vrai jackpot, c’est après. En septembre 2026, un tiers du Sénat sera renouvelé. Et qui vote ? Les grands électeurs, c’est-à-dire majoritairement les conseillers municipaux et départementaux.
Aujourd’hui, LFI n’a zéro sénateur. Zéro. Dans un parti qui rêve de prendre l’Élysée en 2027, c’est un handicap énorme. Pas de groupe au Sénat = pas de temps de parole, pas de moyens, pas de visibilité institutionnelle. Avec quelques centaines d’élus municipaux supplémentaires, tout change. Un groupe peut devenir cinq, dix, peut-être quinze sénateurs. Un groupe. Une tribune permanente.
D’où cette phrase terrible qui circule en interne et que certains cadres assument à demi-mot : « Leur faire la peau à tous, droite comme gauche ». Traduction : on ne fait plus de prisonniers, même à gauche.
Une stratégie de rapport de force assumée
Concrètement, ça veut dire quoi ? Dans beaucoup de villes moyennes, LFI va présenter des listes autonomes au premier tour. Même là où la gauche est majoritaire sortante. Même là où le PS ou EELV dirigent depuis vingt ans.
- Maintenir la liste au second tour si on fait plus de 10% (parfois même 5% dans les grandes villes)
- Négocier durement les places : pas question d’être les derniers de la liste fusionnée
- Refuser parfois la fusion si les conditions ne sont pas réunies
- Viser les mairies dans les villes où ils sont déjà forts (Grenoble, Montpellier, certaines banlieues)
C’est une rupture totale avec la stratégie NUPES de 2020. À l’époque, on avait privilégié l’union dès le premier tour presque partout. Résultat : des victoires symboliques (mais peu de mairies réellement dirigées par LFI) et un sentiment d’avoir été floués par les partenaires.
Aujourd’hui, l’état d’esprit a changé. On préfère perdre une mairie en faisant 18% au premier tour que gagner en étant minoritaire dans une coalition. Parce que 18%, ça fait des dizaines d’élus d’opposition. Et des élus d’opposition, ça pèse pour les sénatoriales.
Le PS dans le viseur, mais pas seulement
Le grand perdant désigné, c’est évidemment le Parti socialiste. Dans beaucoup de villes, les maires PS sortants vont se retrouver avec une liste LFI en face. Parfois même plusieurs (si les trotskystes ou le NPA s’y mettent aussi). Le risque de division est maximal.
Mais attention : les écologistes ne sont pas épargnés. Dans plusieurs grandes villes, LFI vise carrément les mairies vertes conquises en 2020. L’exemple de Bordeaux est dans toutes les têtes : une liste autonome forte peut faire basculer une ville à droite en dispersant les voix de gauche.
Et la droite, me direz-vous ? Elle regarde tout ça avec un sourire en coin. Dans bien des cas, elle n’aura même pas besoin de faire campagne : la gauche s’autodétruit toute seule.
2026, répétition générale de 2027 ?
Ce qui rend cette séquence fascinante, c’est qu’on est à peine à un an de la présidentielle. Tout ce qui se passe en mars 2026 sera scruté, analysé, décortiqué. Un bon score municipal peut propulser un candidat en 2027. Un mauvais peut l’enterrer définitivement.
LFI joue clairement ce coup-là. En structurant son implantation locale, le mouvement se donne les moyens de durer. Plus seulement un parti de protestation, mais une machine électorale capable de gouverner des villes, de gérer des budgets, de montrer qu’on peut appliquer le programme « L’Avenir en commun » à l’échelle locale.
Et si demain Jean-Luc Mélenchon (ou son successeur) arrive au second tour de la présidentielle, il pourra dire : « Regardez, ça marche déjà dans des dizaines de villes ».
Les risques d’une stratégie kamikaze
Mais tout n’est pas rose. Cette stratégie comporte des dangers évidents.
- Perdre des mairies de gauche au profit de la droite (scénario Bordeaux 2020 en pire)
- Se retrouver isolés dans beaucoup de conseils municipaux
- Donner l’image d’un parti sectaire, incapable de compromis
- Écorner définitivement l’idée d’union de la gauche pour 2027
Car soyons honnêtes : si LFI applique cette ligne partout, la gauche risque de perdre des bastions historiques. Et dans ce cas, qui sera responsable aux yeux des électeurs ?
La réponse est déjà dans la bouche de certains cadres insoumis : « Tant pis. On préfère être cohérents et minoritaires que compromis et majoritaires ».
Ce qui nous attend en mars 2026
En résumé, les municipales 2026 s’annoncent comme un gigantesque règlement de comptes à gauche. LFI a décidé de jouer son va-tout pour exister localement et préparer l’avenir. Quitte à fracturer durablement la gauche.
Le paradoxe est savoureux : le parti qui a le plus appelé à l’union en 2022 est aujourd’hui celui qui menace le plus de la faire exploser en 2026.
Une chose est sûre : les mois qui viennent vont être passionnants à observer. Et peut-être douloureux pour beaucoup d’élus sortants qui pensaient avoir la paix jusqu’en 2032.
La vieille gauche gestionnaire a du souci à se faire. Une nouvelle génération arrive, et elle n’a plus envie de demander la permission.
Et vous, pensez-vous que LFI a raison de jouer ce coup de force ? Ou est-ce le meilleur moyen de offrir de nouvelles mairies à la droite ? Les commentaires sont ouverts.
