Imaginez-vous pousser votre chariot dans votre supermarché habituel et, du jour au lendemain, découvrir que l’enseigne a changé de nom, que les rayons ne sentent plus tout à fait pareil et que votre caissière préférée vous regarde avec une pointe d’angoisse. C’est exactement ce qui va arriver à des milliers de Français dans les prochains mois.
Le choc a été brutal. Près de 300 magasins qui portaient fièrement le rouge Auchan vont bientôt arborer les couleurs d’Intermarché ou de Netto. Et derrière cette mutation d’enseigne, c’est toute une page de la grande distribution française qui se tourne, avec son lot d’incertitudes pour 11 000 salariés.
Un virage stratégique présenté comme une « opportunité de croissance »
Le directeur général d’Auchan Retail l’a répété plusieurs fois sur les ondes : ce n’est pas une réduction de coûts, c’est un projet de développement. Le discours est rodé. L’idée ? Créer une nouvelle entité juridique qui exploitera ces 300 magasins en franchise avec le groupe Les Mousquetaires (Intermarché et Netto).
En clair, Auchan ne vend pas ses magasins, il les « confie » à un partenaire solide – le troisième distributeur alimentaire français – tout en conservant, en théorie, un lien avec eux. Sur le papier, ça peut même ressembler à une bonne nouvelle : un groupe en difficulté se rapproche d’un acteur en pleine forme.
Mais dans les faits, les salariés, eux, n’ont pas du tout le sentiment de vivre une success-story.
La promesse qui fait débat : zéro suppression de poste
Le message est clair et répété : « Il n’y aura pas d’emplois supprimés ». Ni dans les magasins, ni dans les entrepôts, ni dans les fonctions support. C’est la ligne officielle, martelée dès qu’un micro se tend.
« Ce n’est pas un projet de diminution des coûts. C’est un projet de développement et de croissance. »
Le directeur général d’Auchan Retail
Difficile de faire plus rassurant. Pourtant, dans les salles de réunion où le projet a été dévoilé aux représentants du personnel, l’ambiance était tout sauf apaisée. Plusieurs délégués syndicaux ont carrément quitté la salle. L’expression « onde de choc » revient dans toutes les bouches.
Pourquoi les syndicats parlent-ils déjà de « sacrifice » ?
Parce que derrière la promesse de maintenir l’emploi, il y a une réalité que beaucoup de salariés connaissent déjà : le passage en franchise change souvent tout.
- Les accords d’entreprise Auchan ne s’appliqueront plus automatiquement
- Les grilles salariales risquent de fondre comme neige au soleil
- Les primes, les avantages, les jours de congé supplémentaire… tout peut être renégocié
- Et surtout : l’ancienneté repart souvent de zéro
Un délégué syndical l’a chiffré : sur le long terme, un salarié pourrait perdre jusqu’à 2 500 euros net par an. Ce n’est pas une suppression d’emploi directe, non. C’est une dégradation lente, mais réelle, des conditions de travail et du pouvoir d’achat.
« Un an après un plan social qui avait déjà fait mal, on nous balance ça. On se sent pris pour des pions. »
Le sentiment de trahison est palpable. D’autant que certains se souviennent encore des belles promesses faites lors des précédentes restructurations.
Franchise : le modèle qui fait peur aux salariés… mais rêver les patrons
Il faut le reconnaître : en France, la franchise a le vent en poupe dans la grande distribution. Intermarché en est le champion toutes catégories. Plus de 80 % de ses points de vente fonctionnent déjà sur ce modèle. Et ça marche : le groupe est solide, rentable, et continue de grignoter des parts de marché.
Pour un patron de magasin franchisé, l’autonomie est réelle : il fixe ses prix, choisit ses références, adapte son offre au quartier. Pour un salarié, en revanche, c’est souvent le Far West social. Moins de protection collective, plus de pression individuelle.
Et quand on passe d’un grand groupe coté à une structure franchisée, le choc culturel peut être violent.
Ce que ça change concrètement pour vous, client
Vous vous demandez si votre magasin habituel est concerné ? La liste n’est pas encore officielle, mais on parle de nombreux hypermarchés et supermarchés de taille moyenne, souvent en zone rurale ou périurbaine.
À court terme, pas de révolution : les produits de marque Auchan resteront probablement, les cartes de fidélité seront sans doute transférées. Mais à moyen terme ? Attendez-vous à voir débarquer les marques propres Intermarché (Monique Ranou, Pâturages de France…) et les prix agressifs de Netto.
Certains y verront une bonne nouvelle : plus de promos, des prix plus bas. D’autres regretteront la disparition d’une enseigne historique et d’un certain « style » Auchan.
Un mouvement qui dépasse largement Auchan
Soyons honnêtes : ce qui arrive à Auchan n’est que la partie émergée de l’iceberg. La grande distribution française vit une mutation profonde depuis dix ans.
- Croissance fulgurante du drive et des petits formats
- Concurrence féroce de Lidl et Aldi
- Pression énorme sur les marges
- Explosion des coûts énergétiques et salariaux
Dans ce contexte, les grands groupes historiques (Carrefour, Casino, Auchan) cherchent tous la même chose : alléger leur bilan immobilier, réduire les coûts fixes, gagner en agilité. Et la franchise apparaît comme la solution miracle.
On a vu Casino vendre des dizaines de magasins à Intermarché et Leclerc ces dernières années. Carrefour a franchisé une partie de son parc. Auchan, en retard sur ce mouvement, rattrape aujourd’hui son retard d’un coup, et de façon spectaculaire.
Et maintenant ?
Les négociations sociales vont commencer. Les syndicats demandent des garanties écrites, un maintien intégral des acquis, une prime de départ volontaire généreuse pour ceux qui ne voudront pas suivre.
Côté direction, on brandit l’argument du partenaire solide : Intermarché a les reins solides, il embauche, il investit. Peut-être même que certains magasins, qui perdaient de l’argent sous pavillon Auchan, vont enfin redécoller.
La vérité, c’est que personne ne sait vraiment ce qui va se passer dans deux ou trois ans. Certains salariés resteront, s’adapteront, peut-être même y trouveront leur compte. D’autres partiront, avec ou sans indemnités.
Une chose est sûre : la grande distribution française continue sa grande lessive. Et comme toujours, ce sont les salariés de terrain qui trinquent en premier.
À suivre, donc. Très attentivement.
(Article mis à jour le 28 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
