Vous êtes tranquillement en train de scroller sur votre téléphone, un soir de novembre, et là… bam. Un iPad tout récent affiché à 15 euros. Pas 150, pas 50, quinze euros. Votre cerveau fait un court-circuit : arnaque ? Promo secrète ? Ou le genre de bug qui n’arrive qu’aux autres ? En Italie, début novembre, des dizaines de clients ont vécu exactement ça. Et aujourd’hui, certains dorment encore avec leur tablette sous l’oreiller en se demandant si on va venir la leur reprendre de force.
Franchement, qui n’aurait pas cliqué sur « commander » ? Moi le premier, je plaide coupable.
Quand une simple virgule fait exploser le prix… à la baisse
Tout part d’une opération commerciale qui devait être sympa, mais pas au point de ruiner la trésorerie. Une grande chaîne d’électronique voulait récompenser ses clients fidèles avec des « ventes privées » en amont du Black Friday. Sauf que quelqu’un, quelque part dans le back-office, a dû taper un peu trop vite. Résultat : au lieu d’une réduction classique, le prix de certains modèles d’iPad est passé de 784 euros à 15 euros. Oui, vous avez bien lu.
L’offre est restée en ligne assez longtemps pour que des dizaines (peut-être centaines) de commandes soient validées et même expédiées. C’est là que ça devient savoureux : les tablettes sont arrivées chez les gens. Pas un mail d’annulation immédiat, pas de « oups désolé c’est une erreur ». Non, des colis livrés, des clients qui déballe leur Graal à 15 balles en se pinçant pour y croire.
Le mail qui a fait grincer des dents
Onze jours plus tard, la douche froide. Un courriel collectif tombe : « Chers clients, une erreur technique flagrante et reconnaissable a été commise… » Traduction : on s’est plantés, rendez-nous les iPad.
« L’erreur était techniquement flagrante et reconnaissable »
– Extrait du mail envoyé aux clients concernés
Pour adoucir la pilule, l’enseigne propose deux options :
- Restituer la tablette → remboursement des 15 € + 20 € de bon d’achat en dédommagement.
- Garder l’iPad → payer la différence, soit 619 € (quand même une réduction de 150 € sur le prix initial).
Ils vont même jusqu’à envoyer un coursier gratuit à domicile pour récupérer l’appareil. Geste commercial ou aveu que ça sent le roussi ? Les avis divergent.
Les clients qui disent « niet » (et ils sont nombreux)
Sur les réseaux italiens, c’est la guerre. Des groupes se montent, des avocats bénévoles commencent à conseiller, des captures d’écran de commande circulent comme des trophées. Beaucoup refusent tout net de rendre leur tablette ou de payer la différence.
Leur argument principal ? « J’ai commandé en toute bonne foi, j’ai reçu un produit, j’ai un contrat de vente valide. Point. » Et dans le contexte Black Friday où l’on voit des promos à -70 %, difficile de leur donner totalement tort sur le plan psychologique.
Que dit vraiment la loi italienne (et européenne) ?
C’est là que ça devient intéressant. L’article 1428 du Code civil italien est clair : un contrat peut être annulé si l’erreur est essentielle et reconnaissable par l’autre partie. Traduction : si n’importe quelle personne normalement attentive aurait vu que 15 € pour un iPad récent, c’est louche, alors le commerçant peut théoriquement annuler.
Mais voilà le hic : qu’est-ce qui est « reconnaissable » quand on est en plein mois de novembre, que les pubs Black Friday hurlent à la gorge et que des marques cassent vraiment les prix ? Certains clients jurent qu’ils ont cru à une opération marketing ultra-agressive, genre « premier arrivé, premier servi ».
- Un étudiant a témoigné avoir commandé à 3 h du matin : « J’étais fatigué, j’ai vu la promo, j’ai cliqué. J’ai pas réfléchi plus. »
- Un père de famille : « J’ai pensé que c’était un lot de déstockage ou un modèle reconditionné mal étiqueté. »
- Une mamie (si, si) : « Mon petit-fils m’a dit “clique mamie, c’est une affaire”… je ne connais pas les prix ! »
Autant de situations où l’erreur n’était peut-être pas si « flagrante » pour tout le monde.
Les précédents judiciaires : ça sent pas bon pour le magasin
En Europe, il existe déjà pas mal de cas similaires. Souvenez-vous de la fameuse affaire des billets d’avion Paris-New York à 30 €, ou des TV 4K à 99 € au lieu de 1 999 €. La plupart du temps, quand le produit a été livré et que le client a agi de bonne foi, les tribunaux ont tranché en faveur… des clients.
En Italie même, un précédent datant de 2018 concernait des smartphones vendus à 9,99 € au lieu de 699 €. Le tribunal avait estimé que le contexte promotionnel rendait l’erreur moins évidente. Résultat : les acheteurs ont gardé leurs téléphones.
On sent que l’histoire pourrait bien se répéter.
Le coût réel pour l’enseigne : bien plus que les iPad
Au-delà des tablettes perdues, c’est l’image de marque qui prend cher. Entre les clients furieux, les réseaux sociaux qui s’enflamment et les articles de presse qui tournent en boucle, la facture risque d’être salée.
Certains experts estiment que laisser les clients garder leurs iPad pour 15 € aurait été, paradoxalement, le meilleur coup marketing de l’année. Imaginez les retombées : « La chaîne qui a offert des iPad à 15 € par erreur et qui a tenu parole ». On en parlerait encore en 2030.
Au lieu de ça, on a droit à une bataille juridique qui pourrait durer des mois, voire des années.
Et nous, en France, on aurait eu droit à quoi ?
Question légitime. En droit français, l’article 1184 du Code civil (dans son ancienne version, aujourd’hui remplacé mais même principe) permet aussi l’annulation pour erreur. Mais la jurisprudence est plutôt protectrice du consommateur, surtout quand le professionnel a commis la faute.
Et surtout, depuis 2016, le Code de la consommation interdit formellement les pratiques commerciales déloyales… dont faire croire à une promo exceptionnelle pour ensuite réclamer le prix fort. Ça pourrait jouer en faveur des clients.
Morale de l’histoire ?
Il y a plusieurs leçons à tirer de ce fiasco :
- Pour les e-commerçants : triple-checkez vos prix avant de cliquer sur « publier ». Un zéro en trop ou en moins, et c’est la catastrophe.
- Pour les clients : oui, parfois, les miracles existent. Mais gardez les captures d’écran, les mails de confirmation, tout. Ça peut servir devant un juge.
- Pour tout le monde : le Black Friday rend fou. Vraiment fou.
Au moment où j’écris ces lignes, l’affaire est toujours en cours. Certains clients ont déjà reçu la visite du coursier (et ont refusé d’ouvrir), d’autres ont porté plainte pour « tentative d’extorsion » (si, si), et des associations de consommateurs se mobilisent.
Une chose est sûre : pendant que les juristes s’arrachent les cheveux, des Italiens regardent Netflix sur un iPad qui, techniquement, vaut plus cher que leur abonnement annuel.
Et quelque part, c’est un peu ça aussi, la magie de Noël… version Black Friday.
(L’histoire est encore en évolution. Je mettrai à jour cet article dès qu’un tribunal aura tranché – ou si l’enseigne décide finalement de faire le plus beau cadeau de Noël de l’histoire du commerce en ligne.)
