Vous vous souvenez tous de ce sentiment quand un joueur qu’on croyait presque rangé des terrains refait surface, là où personne ne l’attendait, et commence à empiler les buts comme à la grande époque ? Moi, quand j’ai vu les images de Claudio Beauvue qui saute plus haut que tout le monde sur corner en Regional 1 Guadeloupe, j’ai souri. À 37 ans, l’homme n’est clairement pas venu là pour faire de la figuration.
Le retour au bercail, plus qu’un choix sportif
Parti de Saint-Claude à 13 ans pour courir après son rêve en métropole, Claudio Beauvue a connu la Ligue 1, la Liga, la Ligue Europa, les stades pleins et les projecteurs. Et puis, l’été dernier, il a tout simplement décidé de rentrer. Pas pour raccrocher les crampons, non. Pour être auprès des siens, élever ses jumeaux de trois ans et, accessoirement, continuer à mettre des têtes là où les gardiens n’ont aucune chance.
Le président de l’AS Gosier, encore ébahi, raconte qu’un jour un supporter lui a lancé : « Je ne comprends pas, il saute plus haut que le gardien sur corner ! » Et le pire ? C’est vrai. Le mec a 37 ans, une rupture du tendon d’Achille mal soignée qui lui a pourri cinq saisons, et pourtant il domine les défenses de R1 comme si le temps s’était arrêté en 2014, année où il soulève la Coupe de France avec Guingamp.
Une carrière marquée par la persévérance
Revenons un peu en arrière. Beauvue, c’est ce genre d’attaquant complet qui a toujours dû se battre deux fois plus. Formé à Nantes, explosé à Troyes, révélé à Guingamp où il forme avec Mandanne et Langil un trio ultramarin qui fait rêver toute la Bretagne. Finale 2014 contre Rennes : 2-0, il est là, il gagne, il pleure avec les deux autres gars des îles sur le banc du Stade de France. Un symbole fort.
Puis Lyon, le Celta Vigo, la demi-finale de Ligue Europa contre Manchester United (on y reviendra), Leganés, Dépor… et cette fameuse opération du tendon d’Achille en 2016. À l’époque, il pense être tranquille. Sauf que l’infection arrive. Un staphylocoque. Cinq ans à jouer avec une épée de Damoclès dans le mollet. Cinq ans où il serre les dents, où les médecins espagnols lui disent « c’est dans la tête », où il court encore ? » Cinq ans de souffrance silencieuse.
« On me dit : “Il y a des germes d’un staphylocoque. Comment avez-vous fait pour jouer pendant cinq ans comme ça ?” »
Claudio Beauvue
Quand enfin on le réopère correctement, il respire. Le corps retrouve de la puissance. Et l’envie, elle, n’était jamais partie nulle part.
L’AS Gosier, un club historique qui découvre les joies du grand voyage
Aujourd’hui, l’AS Gosier domine le championnat guadeloupéen et s’apprête à vivre le premier 8e tour de Coupe de France de son histoire face à Oissel (National 3). Beauvue ? Dix buts en neuf journées de championnat et déjà trois pions en quatre matchs de Coupe. Le dernier tour, il arrache la qualification dans un derby brûlant contre Le Moule à la 90e+ quelque chose. La presse locale titre en créole et en français, les gamins veulent tous le maillot numéro 9.
Le président Arthur Nègre ne cache pas son bonheur :
« Ici, c’est une mentalité totalement différente. Mais il s’est réadapté très facilement. Le poisson du pays, le fruit à pain, l’igname… il n’y est pas insensible. »
Traduction : le cabri massalé et le court-bouillon de poisson font des merveilles sur la détente verticale.
Le souvenir qui brille plus que tous les autres
Quand on lui demande son plus beau souvenir, il n’hésite pas une seconde :
« Gagner la Coupe de France 2014 au Stade de France, avec les supporters guingampais qu’on n’entendait qu’eux, et ma famille dans les tribunes… inoubliable. Et à la fin, avec Steeven (Langil) et Toto (Mandanne), les trois Ultramarins sur le banc, on s’est regardés. D’où on venait. Ce que ça représentait. »
Ce jour-là, trois gars partis des îles à l’adolescence ont ramené le saladier en Bretagne. Onze ans plus tard, Beauvue veut offrir la même émotion, mais cette fois avec le maillot de son île sur les épaules.
Le regret qui reste en travers de la gorge
Il y a aussi cette demi-finale retour de Ligue Europa 2017 avec le Celta. 1-1 à Old Trafford, tout le peuple galicien a fait le déplacement. Il reste quelques minutes, Beauvue se présente seul face à Romero, voit Guidetti démarqué et… lui glisse le ballon. Le Suédois loupe le cadre. Élimination.
« Tout le monde m’a demandé après pourquoi je n’avais pas frappé. Mais dans l’action, j’étais persuadé que c’était le bon choix. »
Huit ans après, il en parle encore. Ça veut tout dire.
Et maintenant ? Objectif 32es de finale
Le 20 décembre, si tout se passe bien, l’AS Gosier pourrait fouler un stade de métropole pour les 32es. Un club de R1 Guadeloupe face à une Ligue 2 ou une Ligue 1. Le genre d’histoire que la Coupe de France adore. Beauvue, lui, y croit dur comme fer.
Parce que oui, à 37 ans, il court encore plus vite que la plupart des défenseurs qu’il rencontre. Oui, il saute encore plus haut que les gardiens sur corner. Et oui, il a toujours cette rage de gagner chevillée au corps.
Le football ultramarin a rarement eu autant les projecteurs. Entre les exploits de l’équipe de Martinique ces dernières années et maintenant ce possible exploit guadeloupéen, on sent que quelque chose bouge. Et Claudio Beauvue, avec son expérience, son palmarès et son amour intact du jeu, est en train d’écrire un nouveau chapitre.
Alors, est-ce qu’on reverra « Air Beauvue » sauter au-dessus d’une défense professionnelle en décembre ? Franchement, je ne serais pas contre. Parce que des histoires comme celle-là, le football français en a besoin. Des histoires de passion, de racines, de résilience. Des histoires qui rappellent pourquoi, finalement, on aime tous ce sport.
Et quelque part, sous les cocotiers, un gamin regarde les vidéos du numéro 9 de l’AS Gosier et se dit que, lui aussi, un jour, il soulèvera peut-être un trophée au Stade de France. C’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter à Claudio Beauvue : que son retour aux sources inspire la prochaine génération. Et, en bonus, qu’il nous offre encore quelques têtes piquées dont il a le secret.
En attendant, si vous passez en Guadeloupe, allez donc faire un tour au stade de Gosier un dimanche. Vous verrez un attaquant de 37 ans qui joue comme à 27. Et vous comprendrez pourquoi, parfois, rentrer chez soi, c’est aussi la plus belle des victoires.
