Imaginez la scène : vous êtes au bord du tatami, l’odeur de la résine encore dans l’air, le silence juste avant le hajime. Et là, pour la première fois depuis presque quatre ans, retentit l’hymne russe. Le drapeau monte. Les applaudissements fusent… ou les sifflets, selon le coin du monde où l’on se trouve. C’est exactement ce qui va se produire dès ce week-end à Abu Dhabi. La Fédération internationale de judo (IJF) a décidé, presque en catimini, de réintégrer totalement les athlètes russes. Pas en « neutres », pas en « individus autorisés ». Non : avec tout le package national. Et franchement, ça fait du bruit.
Un virage à 180° qui surprend tout le monde
Retour en arrière rapide. Février 2022 : la guerre éclate en Ukraine. Le sport mondial, sous l’impulsion du CIO, exclut Russie et Biélorussie de presque toutes les compétitions. Le judo suit le mouvement, comme presque tout le monde. Les judokas russes disparaissent des tatamis internationaux. Certains tentent de revenir sous bannière neutre en 2023-2024, mais les critères sont tellement stricts que très peu y arrivent. Résultat : aux JO de Paris, on compte sur les doigts d’une main les Russes présents, et encore, sans symbole national.
Et puis, patatras. Le 27 novembre 2025, à la veille du Grand Chelem d’Abu Dhabi, l’IJF lâche sa bombe : retour complet, hymne, drapeau, tout. La justification officielle ? « Les athlètes ne sont pas responsables des décisions de leurs gouvernements. » Une phrase qu’on a déjà entendue mille fois, mais rarement appliquée avec autant de radicalité.
« La Russie a toujours été une nation de premier plan dans le monde du judo, et son retour complet devrait enrichir la compétition à tous les niveaux tout en respectant les principes d’équité, d’inclusion et de respect. »
Communiqué officiel de la Fédération internationale
Pourquoi maintenant ? Les vraies raisons derrière le choix
Alors, d’où vient ce revirement ? Plusieurs éléments se croisent, et ils ne sont pas tous aussi nobles que le discours officiel.
- Le poids historique de la Russie dans le judo mondial est colossal : médailles olympiques à la pelle, écoles légendaires, densité de champions. Sans eux, certains tournois perdaient clairement en niveau et en prestige.
- La Biélorussie avait déjà été réintégrée totalement en juin 2025. Refuser le même traitement à la Russie aurait été difficile à justifier.
- Le judo a toujours entretenu des relations… disons particulières avec le Kremlin. On se souvient que le président russe est lui-même 8e dan honorifique et que certains dirigeants de l’IJF n’ont jamais caché leur proximité avec Moscou.
- Enfin, il y a l’argent. Les tournois en Russie (quand ils existaient) rapportaient gros. Et certains sponsors ou diffuseurs pestaient depuis longtemps contre l’absence des stars russes.
Mais il y a plus profond. Le judo se vit comme une grande famille. Et dans cette famille-là, on a toujours eu tendance à penser que le tatami devait rester un sanctuaire, loin des conflits politiques. C’est beau sur le papier. En pratique, c’est beaucoup plus compliqué.
Une décision qui met les fédérations nationales dans l’embarras
En France, le président de la fédération, qui siège au comité exécutif de l’IJF, s’est retrouvé dans une position délicate. Il a voté la réintégration, tout en précisant qu’il se sentait « dans une posture inconfortable » vu la position officielle de la France, clairement alignée sur le soutien à l’Ukraine.
D’autres pays risquent de suivre le même chemin : applaudir poliment en public, grincer des dents en privé. L’Ukraine, elle, n’a pas encore réagi officiellement au moment où j’écris ces lignes, mais on imagine sans mal la colère. Souvenez-vous : en 2023, elle avait boycotté les Mondiaux de Doha pour protester contre la présence (sous bannière neutre !) de certains judokas russes.
Et le CIO dans tout ça ?
Le Comité international olympique, lui, n’a pas bougé d’un iota. La ligne reste la même pour les JO 2026 et au-delà : les athlètes russes et biélorusses pourront participer, mais uniquement en neutre, sans hymne ni drapeau. La présidente du CIO l’a encore répété il y a quelques jours à propos du patinage artistique.
Du coup, le judo se retrouve un peu seul sur ce coup. L’escrime a bien assoupli ses règles récemment (retour des équipes nationales russes), mais toujours sans hymne ni drapeau. Le judo va plus loin. Beaucoup plus loin.
Ce que ça change concrètement sur les tatamis
- Dès Abu Dhabi ce week-end, on pourra voir des Russes combattre sous leurs couleurs nationales.
- Les médailles remportées le seront pour la Russie, pas pour « athlètes individuels neutres ».
- L’hymne retentira en cas de victoire. Et ça, symboliquement, c’est énorme.
- Les confrontations directes Russie-Ukraine ou Russie-pays baltes vont reprendre. Avec tout ce que ça implique en termes de tension.
On risque d’assister à des moments très forts. Ou très gênants. Peut-être les deux.
Une fracture dans le sport mondial ?
Ce qui est fascinant, c’est de voir à quel point le sport international est fracturé sur cette question. D’un côté, des fédérations (judo, escrime partiellement, lutte dans une moindre mesure) qui reprennent les Russes à bras ouverts. De l’autre, des sports comme l’athlétisme ou la natation qui maintiennent l’exclusion totale.
Entre les deux, le CIO essaie de tenir une ligne médiane qui satisfait… personne. Et pendant ce temps, les athlètes, eux, continuent de s’entraîner. Certains en exil, d’autres dans leur pays, tous avec la même envie : combattre. Juste combattre.
Le judo a choisi son camp : celui de l’inclusion totale. Est-ce une belle leçon d’ouverture ou une naïveté dangereuse ? Franchement, je ne sais pas encore. Ce qui est sûr, c’est que les prochains mois vont être passionnants à suivre. Sur le tatami, et en dehors.
Parce qu’au fond, le judo nous renvoie à une question vieille comme le sport : jusqu’où peut-on vraiment séparer le sportif de la politique ? On pensait avoir une réponse claire il y a trois ans. Aujourd’hui, on voit bien que non.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le retour de l’hymne russe sur les tatamis, c’est une bonne nouvelle pour le judo ou un signal inquiétant pour le sport mondial ? Dites-le moi en commentaire, je suis curieux de lire vos avis.
