Vous souvenez-vous de l’ambiance électrique des municipales 2020 à Toulouse ? Cette ville rose qui avait failli basculer à gauche, avant que Jean-Luc Moudenc ne sauve son siège au forceps. Six ans plus tard, on y est presque. Et là, en cette fin novembre 2025, un coup de théâtre vient de tomber : Archipel Citoyen, ce mouvement citoyen qui avait fait trembler tout le monde en 2020, choisit finalement le Parti socialiste. Pas La France insoumise. Le PS. Oui, vous avez bien lu.
Franchement, quand j’ai vu l’info passer, j’ai dû relire deux fois. Archipel, ce collectif plutôt jeune, participatif, écolo et résolument ancré à gauche, qui préfère l’appareil socialiste à l’énergie combative de LFI ? Ça surprend. Et pourtant, c’est bien ce qui s’est passé jeudi soir, après un vote interne. Explications.
Archipel Citoyen tranche : l’union sans LFI
Il y a encore quinze jours, rien n’était joué. Archipel hésitait entre trois options assez radicalement différentes :
- Une liste 100 % autonome, comme en 2020.
- Une alliance avec La France insoumise derrière François Piquemal.
- Ou rejoindre le bloc PS-Écologistes emmené (pour l’instant) par François Briançon.
Le choix final ? Le troisième. Et pas à une voix près : les adhérents ont clairement privilégié l’union la plus large possible… mais sans les Insoumis. Le communiqué est sans ambiguïté :
« Nous refusons la division qui condamnerait Toulouse à six années supplémentaires de politique conservatrice. »
Communiqué Archipel Citoyen, 27 novembre 2025
En clair : plutôt perdre une partie de son identité que risquer de faire réélire Moudenc. C’est une logique pragmatique. Cruelle pour certains, mais pragmatique.
Pourquoi ce choix-là, précisément ?
Plusieurs raisons se croisent. D’abord, les Écologistes – partenaires historiques d’Archipel – ont très vite annoncé qu’ils rejoindraient le PS. Perdre ce pilier aurait été douloureux. Ensuite, les sondages circulent (et tout le monde les a lus) : une gauche éclatée en trois listes donne Moudenc gagnant facile. Une gauche en deux listes ? Le maire sortant reste en tête, mais de justesse. Une gauche réunie derrière une seule candidature au second tour ? Là, ça passe.
Le calcul est limpide. Et il fait mal à une partie de la base Archipel, celle qui rêvait encore d’une campagne « hors système », sans les vieux partis. J’ai discuté avec quelques militants ces derniers jours : certains parlent de « trahison », d’autres de « maturité ». Comme toujours en politique, la vérité se situe quelque part entre les deux.
François Briançon, l’homme qui monte
Du côté socialiste, on ne boude pas son plaisir. François Briançon, conseiller municipal discret mais tenace, se retrouve soudain en position de chef de file d’une grande partie de la gauche toulousaine. Il le dit lui-même :
« Je suis très satisfait de ce rassemblement. C’est le fruit d’un travail collectif. »
Attention cependant : rien n’est totalement figé. Maxime Le Texier, figure d’Archipel, rappelle que « le processus de désignation de la tête de liste n’est pas clos ». Traduction : Briançon n’a pas encore gagné la place. Il va falloir négocier durement le programme et les places éligibles. Les discussions risquent d’être animées, surtout sur la question écologique et la démocratie participative, domaines où Archipel ne lâchera rien.
LFI mis sur la touche : « une alliance de la carpe et du lapin »
Évidemment, chez les Insoumis, on digère mal. François Piquemal, député et candidat naturel, parle d’une décision « regrettable ». Plus cash, la conseillère municipale Agathe Roby ironise sur « l’alliance de la carpe et du lapin ». L’image est dure, mais elle résume bien le sentiment : pour eux, PS et Archipel n’ont plus grand-chose à voir ensemble idéologiquement.
Et pourtant, c’est bien ce mariage improbable qui se profile. Un mariage de raison, pas d’amour.
Le paysage de mars 2026 se clarifie
Concrètement, on devrait donc avoir :
- Jean-Luc Moudenc et sa majorité sortante (LR, centre, divers droite).
- Une grande liste « union de la gauche modérée » : PS + Écologistes + Archipel Citoyen + probablement Place publique et quelques radicaux de gauche.
- Une liste LFI, seule ou presque.
- Et, en embuscade, le Rassemblement national qui rêve de jouer les arbitres au second tour.
Quatre listes principales, donc. Peut-être cinq si d’autres petits candidats se lancent. Mais surtout deux à gauche, comme en 2020. Sauf que cette fois, la plus grosse des deux n’inclut pas LFI. C’est un renversement complet.
Les quatre priorités du futur accord programmatique
Archipel a déjà posé ses lignes rouges – ou plutôt ses lignes vertes et rouges. Le futur accord devra tourner autour de quatre axes majeurs :
- La bifurcation écologique : transports gratuits, végétalisation massive, sortie du tout-voiture.
- La justice sociale dans tous les quartiers : priorité aux quartiers populaires, lutte contre la gentrification.
- La défense des services publics : crèches, écoles, santé de proximité.
- La démocratie locale renforcée : budgets participatifs, référendums d’initiative citoyenne, transparence.
Des points qui, soyons honnêtes, figurent aussi dans le programme de LFI. Mais pour Archipel, la méthode et le positionnement stratégique priment. Et puis il y a cette phrase, lourde de sens : « Nous refusons la division ». Traduisez : on a trop perdu à cause de ça.
Les sondages qui ont tout fait basculer
Impossible de parler de ce choix sans évoquer le sondage qui traîne sur tous les bureaux depuis début novembre. Les chiffres sont cruels :
| Candidat·e ou liste | Intentions de vote (1er tour) |
| Jean-Luc Moudenc (majorité sortante) | 33 % |
| Union PS-Écologistes-Archipel | 30,3 % |
| LFI seule | 23,1 % |
Mais le plus intéressant arrive au second tour. Si la gauche parvient à fusionner derrière la liste arrivée en deuxième position (donc celle de Briançon), Moudenc perd. Nettement. C’est ce scénario qui hante les nuits des militants. Et qui a visiblement convaincu la majorité d’Archipel.
Et maintenant ? Les mois qui viennent seront décisifs
Entre décembre 2025 et mars 2026, il va falloir transformer l’essai. Négocier le programme point par point. Répartir les places. Choisir – ou pas – une tête de liste commune. Trouver un nom de liste qui fasse consensus. Et surtout, réussir à parler d’une seule voix face à un maire sortant qui, lui, a déjà sa machine bien rodée.
Car ne nous y trompons pas : Jean-Luc Moudenc part favori. Il a l’expérience, le bilan (discutable, mais un bilan quand même), et une ville qui, globalement, ne va pas si mal. Pour le battre, il faudra plus qu’une addition de sigles. Il faudra une vraie dynamique. Un projet qui parle à la fois aux quartiers populaires et à la classe moyenne écolo du centre-ville. Un défi immense.
Une gauche toulousaine en pleine mutation
Ce qui se joue à Toulouse dépasse largement la ville rose. C’est tout le paysage de la gauche française qui est en train de se reconfigurer, ville par ville. Après l’échec de la NUPES aux législatives, puis la déroute aux européennes, beaucoup tirent la conclusion qu’il faut reconstruire hors LFI. Toulouse pourrait faire figure de laboratoire.
D’un côté, une gauche « responsable », prête à discuter avec le centre pour gouverner. De l’autre, une gauche de rupture, qui refuse toute compromission. Le choix d’Archipel Citoyen, aussi douloureux soit-il pour certains, marque une étape supplémentaire dans cette grande clarification.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce la fin d’un cycle pour la gauche radicale dans les grandes villes ? Ou simplement une parenthèse toulousaine ? Une chose est sûre : en mars 2026, Toulouse ne sera pas seulement une élection municipale. Ce sera un reveal de ce que la gauche française est devenue… ou pas.
À suivre, très attentivement.
