Vous avez ouvert votre placard ce matin pour tartiner votre pain et là, le choc : le pot de Nutella semble soudain plus précieux que jamais. Ce n’est pas une impression. Une vraie guerre silencieuse est en train de se jouer autour de la petite noisette, et elle risque de faire très mal à votre portefeuille dans les prochains mois.
La Turquie éternue, le monde du chocolat tousse
Quand on parle de Nutella, on pense Italie, pâte à tartiner onctueuse, pub avec des enfants heureux. Mais en réalité moins glamour : environ 70 % des noisettes utilisées par le géant italien viennent d’un seul pays, la Turquie. Et cette année, la Turquie a pris un énorme coup dans l’aile.
J’ai encore en tête l’image de ces collines verdoyantes près de la mer Noire, couvertes de noisetiers à perte de vue. Des familles entières vivent de cette culture depuis des générations. Sauf que 2025 a tout changé. Gel brutal au printemps, sécheresse record l’été (la pire en un demi-siècle, puis invasion de punaises diaboliques. Résultat ? La production nationale devrait chuter de 700 000 tonnes à environ 300 000 tonnes. Autrement dit, on perd plus de la moitié de l’offre mondiale en une saison.
Un producteur local raconte l’enfer sur place
« L’an dernier, mes 2 500 arbres m’ont donné 12 tonnes. Cette année, à peine 5 tonnes… Mes arbres sont stressés, les fruits sont minuscules ou tombent avant maturité. »
– Un agriculteur de la région de Kocaali, novembre 2025
Et il n’est pas seul. Partout dans la zone côtière de la mer Noire, c’est la même désolation. Certains parlent déjà de la pire récolte depuis les années 70. Les cours ont évidemment explosé : la tonne de noisettes décortiquées dépasse désormais allègrement les 8 000 dollars, contre 4 500-5 000 dollars habituellement.
Ferrero dans une position ultra-délicate
Le groupe italien s’est construit sur une stratégie simple : sécuriser ses approvisionnements en achetant directement aux producteurs et en investissant même dans des fermes en Géorgie, au Chili ou en Serbie. Mais rien n’y fait. La Turquie reste le cœur battant de son modèle. Quand le cœur s’arrête, tout le corps souffre.
Du coup, on assiste à un bras de fer rarement vu. Les exportateurs turcs, soutenus discrètement par leur gouvernement, refusent de brader leurs dernières tonnes. Ils savent qu’ils ont la main. Ferrero, de son côté, tente de limiter la casse en jouant sur les stocks et en augmentant ses achats ailleurs… mais les volumes alternatifs sont ridicules face au gouffre.
Combien va nous coûter cette crise ?
La noisette représente environ 13 % de la recette du Nutella (le reste c’est huile de palme, sucre, cacao, lait). Quand le prix de la noisette double, l’impact direct sur le coût de production est d’environ 15-20 %. Mais dans les rayons, ça peut grimper beaucoup plus à cause des marges des distributeurs et de l’effet psychologique.
Des analystes estiment déjà que :
- Le pot de 825 g de Nutella pourrait passer de 5,50 € à plus de 8 € d’ici l’été 2026
- Les boîtes de Ferrero Rocher 24 pièces dépasseraient les 18-20 €
- Les Kinder Bueno deviendraient un produit « premium » à plus de 3 € les deux barres
Et ce n’est pas fini. Comme toujours avec les matières premières, la spéculation fait le reste. Les fonds d’investissement se positionnent déjà sur les contrats à terme, anticipant une pénurie longue.
Le changement climatique n’est plus une théorie
Ce qui frappe dans cette crise, c’est qu’elle illustre parfaitement ce que les climatologues répètent depuis des années : les cultures pérennes comme le noisetier sont ultra-sensibles aux variations brutales. Un gel tardif en avril, une canicule en juin, et c’est la cata.
La Turquie n’est pas la seule touchée. L’Italie a aussi subi des pertes importantes, la Géorgie souffre, même les États-Unis (Oregon) n’arrivent pas à compenser. On se dirige vers une pénurie mondiale qui pourrait durer deux ou trois ans, le temps que les jeunes plants plantés en urgence arrivent à maturité.
Et nous, on fait quoi ?
Franchement, j’ai déjà commencé à stocker quelques pots (on ne sait jamais). Mais plus sérieusement, cette crise pourrait accélérer des tendances déjà en marche :
- Recettes allégées en noisettes (Ferrero teste déjà des versions à 10 % au lieu de 13 %)
- Montée en puissance des pâtes à tartiner alternatives (amande, cacahuète, graines de tournesol)
- Retour des produits « locaux » : des artisans français relancent la noisette corrézienne ou du Lot-et-Garonne
- Pression accrue pour sortir de l’huile de palme (double peine écologique)
Personnellement, je trouve ça à la fois inquiétant et fascinant. On se rend compte à quel point notre alimentation quotidienne repose sur des fils très fragiles qui traversent la planète. Un coup de gel à 3 000 km et hop, plus de Kinder Surprise à Noël.
Vers une « dé-noisettisation » du Nutella ?
Certains experts n’excluent pas que le groupe italien finisse par reformuler complètement ses recettes phares pour réduire la dépendance à cette matière première devenue trop volatile. On a vu la même chose avec le cacao il y a quelques années. Est-ce qu’un jour on aura un « Nutella sans noisettes » ? L’idée fait hurler les puristes, mais économiquement, ça pourrait devenir inévitable.
En attendant, si vous avez des pots dans votre placard, gardez-les précieusement. Ils risquent de prendre de la valeur comme les bouteilles de vin en période de gel.
Parce qu’au final, cette petite noisette nous rappelle une grande vérité : dans un monde interconnecté et bousculé par le climat, même le plaisir le plus simple peut devenir un luxe. Et ça, ça fait réfléchir.
