Imaginez un instant que votre traitement quotidien, celui qui vous sauve depuis des années, soit responsable des difficultés de votre propre enfant. Pas parce que vous avez oublié un comprimé, non. Simplement parce que vous êtes un homme et que vous l’avez pris trois mois avant la conception. C’est l’histoire brutale que vit aujourd’hui des dizaines, peut-être des centaines de « papas Dépakine ».
Un combat qui commence seulement
Longtemps, on a cru que le valproate de sodium – principe actif de la Dépakine – n’était dangereux que pour les femmes enceintes. On sait depuis 2015 que l’exposition in utero multiplie par quatre le risque d’autisme et de malformations. Mais on parlait toujours de la mère. Jamais du père.
Puis, en novembre 2025, une étude française massive sur plus de 3 millions d’enfants est venue tout bouleverser : quand c’est le père qui prend ce médicament dans les trois mois précédant la conception, le risque de troubles neurodéveloppementaux chez l’enfant augmente de 24 %. Vingt-quatre pour cent. Ce n’est plus une hypothèse, c’est une réalité statistique écrasante.
Une enfance faite de petits signes qui s’accumulent
Pour beaucoup de parents, le déclic arrive tard. Trop tard. Une maladresse par-ci, une difficulté à parler par-là, puis l’école qui sonne l’alarme. C’est exactement ce qu’a vécu une famille bordelaise.
La petite fille mettait deux ans à apprendre à faire de la balançoire. À quatre ans, quand on lui disait « saute », elle se laissait tomber comme une poupée de chiffon, sans tendre les bras pour se rattraper. Aujourd’hui, à seize ans, elle écrit encore comme une enfant de CP, souffre d’une fatigabilité extrême et vient de passer un mois en hospitalisation psychiatrique. Son père, lui, répète inlassablement la même phrase : « C’est ma faute. »
« Je me souviens parfaitement de la notice de l’époque. Il n’y avait strictement rien sur les risques pour les hommes qui veulent avoir un enfant. Rien. »
Un père ayant pris de la Dépakine pendant huit ans
Il a quitté son métier de journaliste pour accompagner sa fille chez l’orthophoniste, la psychomotricienne, l’ergothérapeute. Des rendez-vous à la chaîne. Des diagnostics qui s’empilent : dyspraxie, dysphasie, TDAH, troubles des apprentissages… Un « millefeuille » de handicaps invisibles qui épuisent tout le monde.
L’étude qui change tout
L’étude en question, menée sur les enfants nés entre 2010 et 2015, est sans appel. Les chercheurs ont comparé les enfants dont le père avait eu une ordonnance de valproate dans les trois mois avant la conception à ceux dont le père n’en avait pas pris. Résultat : +24 % de troubles neurodéveloppementaux (autisme, déficit intellectuel, troubles du langage, TDAH, etc.).
Et ce n’est pas une petite augmentation. C’est énorme. D’autant que le valproate passe la barrière hémato-testiculaire et peut altérer la qualité du sperme et l’expression des gènes transmis à l’enfant.
- Risque multiplié par 1,24 dès 3 mois d’exposition paternelle
- Effet dose-dépendant : plus la durée est longue, plus le risque grimpe
- Le mécanisme ? Épigénétique : le médicament modifie l’expression des gènes dans les spermatozoïdes
On savait déjà que le valproate était tératogène chez la femme enceinte. On découvre maintenant qu’il est aussi paternogène. Le mot existe à peine, mais il va falloir s’y habituer.
Un laboratoire accusé de ne pas avoir prévenu
Le reproche principal ? L’absence totale d’information pour les hommes jusqu’à très récemment. Pendant des décennies, les notices françaises ne mentionnaient que les risques pour les femmes. Rien pour les pères potentiels.
Aujourd’hui, plusieurs pères, soutenus par le même avocat qui défend les mamans depuis 2016, déposent plainte. Ils veulent que Sanofi reconnaisse sa responsabilité et que le dispositif d’indemnisation (ONIAM) soit élargi aux enfants exposés par leur père.
« Si on veut une culpabilité individuelle, il faudra un débat individuel. Mais il est temps que l’État et le laboratoire assument aussi cette partie-là du scandale. »
Maître Charles Joseph-Oudin, avocat de plusieurs familles
Parce que oui, c’est un scandale à deux têtes : les mères d’un côté, les pères de l’autre. Et entre les deux, des milliers d’enfants qui paient le prix fort.
Un tabou masculin qui explose enfin
Ce qui frappe, c’est le silence assourdissant autour de la santé reproductive masculine. On parle contraception, pilule, IVG, grossesses à risque… mais jamais du rôle des médicaments pris par le futur père.
Comme le dit l’un de ces papas : « Dans l’histoire de l’humanité, quand l’enfant a un problème, on a toujours dit que c’était la faute de la mère. Il est temps de rétablir une forme de vérité. »
Il a raison. On parle beaucoup de charge mentale des mères. Mais la charge émotionnelle des pères qui découvrent, des années après, qu’ils ont peut-être transmis un poison à leur enfant, elle est tout aussi écrasante.
Ils sont rares à témoigner publiquement. La honte, la culpabilité, la peur du jugement. Pourtant, leur parole commence à percer. Et elle est essentielle.
Et maintenant ?
Les plaintes s’accumulent. Les avocats espèrent que cette nouvelle étude va enfin faire bouger les lignes :
- Modification immédiate des notices pour inclure un avertissement clair aux hommes
- Information systématique des gynécologues et andrologues
- Élargissement du fonds d’indemnisation aux enfants exposés par le père
- Prise en charge renforcée des familles (psychologique, financière, scolaire)
Parce qu’au-delà de la bataille judiciaire, il y a des vies brisées. Des adolescents qui rêvent des Beaux-Arts mais peinent à écrire leur prénom. Des parents qui se lèvent chaque matin avec un poids sur la poitrine.
Ce n’est pas juste une affaire de laboratoire ou d’État. C’est une affaire humaine. Profondément humaine.
Et si demain c’était vous ? Si votre traitement contre l’épilepsie, la bipolarité ou les migraines avait, sans que vous le sachiez, modifié l’avenir de votre enfant ?
La question n’est plus théorique. Elle est là. Brutale. Et elle mérite qu’on s’y arrête.
PS : Si vous ou quelqu’un de votre entourage a pris de la Dépakine (ou un générique au valproate) avant une conception, parlez-en à votre médecin. Et surtout, gardez trace de vos ordonnances. On ne sait jamais de quoi l’avenir judiciaire sera fait.
