Vous êtes déjà resté planté sur un quai à 6 h 47 du matin, les yeux rivés sur un panneau qui clignote « retard indéterminé » ? Moi oui, et franchement, ça commence à bien faire. En Occitanie, la patience des usagers a atteint ses limites, et la région a décidé de passer à la caisse… celle de la SNCF.
Dix millions d’euros. C’est, grosso modo, le montant que l’opérateur ferroviaire historique devra débourser l’an prochain pour ne pas avoir respecté ses engagements de ponctualité sur les lignes régionales. Une somme qui donne le vertige quand on sait qu’elle pourrait, à elle seule, offrir un ou deux mois d’abonnement gratuit à des dizaines de milliers de voyageurs.
Quand la région tape du poing sur la table (et sur le portefeuille)
Ce n’est pas une vengeance personnelle, non. C’est simplement l’application froide et implacable d’une convention signée entre la région et la SNCF. Depuis que les régions sont autorités organisatrices des transports express régionaux (les fameux TER), elles ont le pouvoir – et le devoir – d’exiger un minimum de sérieux.
Et en Occitanie, on ne plaisante pas avec ça. La présidente de la région l’a dit sans détour : les usagers ont droit à des trains fiables et à l’heure. Point barre. Elle a même fixé un ultimatum clair : un plan d’amélioration concret sous quinze jours. Quand on sait que l’intéressé côté SNCF est un ancien Premier ministre, on se dit que la discussion a dû être… animée.
Comment on arrive à une facture de 10 millions ?
Le calcul n’a rien de sorcier, mais il est impitoyable. Chaque mois, la région mesure deux indicateurs principaux :
- La ponctualité (moins de 6 minutes de retard)
- Le taux de suppression de trains
Quand les objectifs ne sont pas tenus, des malus tombent. Et ils tombent lourd. En 2023, déjà, la SNCF avait dû sortir 43 millions d’euros au niveau national pour des performances insuffisantes. En Occitanie, la facture 2025 s’annonce particulièrement salée parce que la fréquentation explose (+68 % depuis 2019, un record français) et que, paradoxalement, la qualité suit difficilement.
« Avec ces pénalités, je vais pouvoir payer un ou deux mois d’abonnement gratuit aux usagers… mais à force, plus personne ne va prendre le train. »
– La présidente de la région Occitanie
La phrase est cinglante. Et elle résume tout le dilemme : on peut rembourser les abonnés jusqu’à la fin des temps, mais si le service reste médiocre, on soigne le symptôme, pas la maladie.
L’argent des pénalités : pansement ou vraie solution ?
L’an dernier, la région avait déjà joué la carte de la générosité : les pénalités perçues avaient été intégralement reversées sous forme d’un mois d’abonnement gratuit pour tous les abonnés TER. Résultat ? Les voyageurs ont apprécié le geste, évidemment. Mais beaucoup se demandent si offrir des mois gratuits ne masque pas le vrai problème.
Parce que pendant ce temps, les raisons des retards, elles, restent bien en place :
- Vieillissement du matériel roulant sur certaines lignes
- Travaux permanents (indispensables, mais mal synchronisés)
- Manque de conducteurs ou de personnel de maintenance
- Incidents techniques à répétition
- Météo parfois capricieuse (inondations, tempêtes)
Aucun de ces points ne se règle avec un chèque. Il faut des investissements massifs, une meilleure coordination, et parfois des décisions courageuses.
Occitanie, championne toutes catégories… mais à quel prix ?
Il y a une forme de paradoxe occitan qui mérite qu’on s’y arrête deux minutes. La région investit comme jamais : 500 millions d’euros rien que pour le réseau ferré et les gares en 2025, sur un budget total de 3,5 milliards. Résultat ? Les trains sont plus nombreux, plus modernes sur certaines lignes, les gares rénovées, les fréquences renforcées.
Et pourtant, plus il y a de trains, plus il y a de risques de retards. C’est la loi des grands nombres version ferroviaire. Quand vous passez de 600 à 1 000 circulations par jour, la moindre anicroche se répercute partout. Et les usagers, eux, ne voient que le retard sur leur trajet du matin.
J’ai discuté récemment avec un conducteur de TER basé à Toulouse. Il me disait, un peu dépité : « On nous demande d’être à l’heure avec des rames de 30 ans d’âge sur des voies saturées. C’est mission impossible certains jours. » Sa franchise faisait plaisir à entendre, même si elle n’arrange rien.
Et la concurrence dans tout ça ?
Petit à-côté qui change la donne : depuis peu, certaines lignes françaises s’ouvrent à la concurrence. On pense évidemment à la ligne Marseille-Nice où un opérateur privé commence à tailler des croupières à la SNCF en termes de ponctualité et de confort.
En Occitanie, pour l’instant, on reste 100 % SNCF. Mais la menace plane. Quand on voit les performances parfois meilleures des nouveaux entrants ailleurs, on se dit que la pression concurrentielle pourrait être le meilleur remède aux retards chroniques. Rien de tel qu’un concurrent qui vous souffle dans le cou pour vous motiver à améliorer le service, non ?
Ce que les usagers attendent vraiment
Au-delà des millions qui volent dans tous les sens, il y a une réalité humaine. Celle de la maman qui rate la sortie d’école, de l’étudiant qui arrive en retard à son partiel, du salarié qui se fait remonter les bretelles parce que « encore le train ». Le train, c’est censé être la solution écologique, pratique, économique. Pas une loterie quotidienne.
Les abonnés ne veulent pas d’un mois gratuit en dédommagement. Ils veulent arriver à l’heure, tout simplement. Et tant que cet objectif de base ne sera pas atteint, aucune pénalité, aussi juteuse soit-elle, ne suffira à calmer leur frustration.
Vers un cercle vertueux… ou vicieux ?
La bonne nouvelle, c’est que l’argent des pénalités reste dans le ferroviaire. Il ne part pas dans des dépenses gadgets. La région peut choisir de le réinjecter dans du matériel neuf, des travaux, ou – comme elle l’a déjà fait – dans des gestes commerciaux forts.
Mais il y a un risque : que la SNCF se contente de payer ses amendes comme on paie un PV de stationnement, sans vraiment changer ses pratiques. Dix millions, dans le budget d’un géant comme elle, ça reste peanuts. Alors que pour la région, c’est une manne précieuse.
L’enjeu des prochains mois sera donc clair : transformer cette pression financière en vrai plan Marshall pour la qualité. Et là, tout le monde sera gagnant. Les usagers en premier.
En attendant, la prochaine fois que votre TER aura 40 minutes de retard, pensez à ces dix millions. Quelque part, vous avez déjà été remboursé… même si vous préféreriez largement arriver à l’heure.
Et vous, quel est votre record personnel de retard en TER ? Racontez-nous en commentaire, on est nombreux dans le même bateau (ou plutôt le même train).
