Il y a des phrases qui en disent plus long que des discours entiers. Quand on entend « Vous savez, moi, je ne fais pas de politique… », prononcée avec ce petit sourire en coin qu’on lui connaît, on sait immédiatement de qui il s’agit. Gérald Darmanin, évidemment. Le ministre qui répète qu’il ne fait pas de politique tout en étant, peut-être, l’un des plus politiques de tous.
Ces derniers temps, le garde des Sceaux est sous le feu des projecteurs, et pas vraiment pour les bonnes raisons. Évasions en série, permission controversée accordée à un gros bonnet du trafic de drogue, prisons surchargées… Son quotidien ressemble à une cocotte-minute prête à exploser. Et pourtant, même au cœur de la tempête, il garde un œil sur l’horizon 2027. Parce que oui, dans ce gouvernement, certains pensent déjà à l’après.
L’art de la discrétion active
Il y a quelque chose de fascinant chez cet homme de 43 ans. Il est partout et nulle part à la fois. Officiellement, il est absorbé par ses dossiers place Vendôme. Officieusement… disons que les déjeuners confidentiels se multiplient.
Prenez ce mardi de novembre. Une vingtaine de parlementaires de la majorité sont invités à sa table. L’ambiance est détendue, presque conviviale. On parle de la future loi Justice, bien sûr. Mais pas seulement. Entre la poire et le fromage, les langues se délient. On teste des idées. On prend la température. On construit, doucement mais sûrement.
« J’ai besoin de tester plusieurs idées auprès de vous », aurait-il glissé avant de dérouler ses grandes lignes.
Ce n’est pas un secret : dans le petit monde de la majorité présidentielle, on le voit comme l’un des rares à ne pas être dans le déni. Le poids du Rassemblement national en 2027 ? Il l’a intégré. Les illusions sur une victoire facile au centre ? Il n’y croit plus vraiment. Et ça change tout.
Un agenda ministériel qui ne laisse (presque) rien au hasard
Ses semaines sont chargées, c’est peu de le dire. Visites de prisons, auditions à l’Assemblée, réunions interministérielles, déplacements sur le terrain… Et pourtant, il trouve toujours le temps.
Le temps de recevoir quelques députés fidèles. Le temps de passer un coup de fil à un maire influent. Le temps d’échanger discrètement avec des élus qui comptent dans la perspective des municipales de 2026 – ces élections qui feront les forces de demain.
- Il déjeune avec les parlementaires « utile »
- Il reçoit des élus locaux en toute discrétion
- Il garde contact avec son ancien fief du Nord
- Il cultive son réseau chez les maires et les barons régionaux
Officiellement ? Rien de politique là-dedans. Ce n’est que du « travail de ministre ». En réalité, c’est la construction patiente d’un réseau qui pourrait peser lourd le jour où il faudra désigner un candidat.
Le réalisme comme arme politique
Ce qui frappe, c’est son absence totale d’angélisme. Là où certains dans la majorité continuent de penser que le RN va s’effondrer tout seul, lui a compris depuis longtemps que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella est là pour durer. Et qu’il faudra composer avec cette réalité.
J’ai toujours trouvé ça rafraîchissant, cette forme de lucidité froide. Dans un univers où tout le monde se raconte des histoires rassurantes, lui regarde les choses en face. Et ça lui donne une longueur d’avance.
Un pilier de la majorité le résume parfaitement : « C’est un des seuls chez nous à ne pas être dans le déni électoral du poids qu’aura le RN en 2027. »
Ce réalisme, il le porte aussi dans ses choix politiques. Quand il défend des mesures sécuritaires musclées, ce n’est pas seulement pour faire plaisir à l’aile droite. C’est parce qu’il sait que c’est ce que veulent une partie importante des Français. Point.
Le paradoxe Darmanin
Le plus savoureux, dans tout ça ? Il continue de répéter qu’il ne fait pas de politique. Comme si c’était possible, quand on est ministre de l’Intérieur puis de la Justice dans la tempête actuelle.
Mais il y a une forme de génie dans cette posture. En se présentant comme un simple technicien, il se protège. Il évite les tirs groupés réservés à ceux qui affichent trop tôt leurs ambitions. Il cultive l’image du bon soldat. Et pendant ce temps, il avance ses pions.
C’est l’art du en même temps version individuelle : être ministre à fond tout en préparant l’avenir. Être loyal au président tout en construisant son propre chemin. Être dans le gouvernement tout en se démarquant subtilement.
2027 : le grand jeu commence déjà
Car soyons honnêtes : dans la majorité, la course à la présidentielle a déjà commencé. Édouard Philippe structure son parti. Gabriel Attal soigne son image de jeune premier. Bruno Retailleau tente de capter l’électorat de droite. Et lui ? Lui, il fait profil bas. Mais il est là.
Son avantage ? Il parle à plusieurs électorats à la fois. L’électorat populaire qu’il a côtoyé comme maire de Tourcoing. L’électorat sécuritaire qu’il a séduit place Beauvau. L’électorat de droite modérée qu’il connaît par cœur depuis ses années sarkozystes.
Et surtout, il a cette capacité rare : parler le langage du peuple sans jamais sembler populiste. Défendre l’autorité sans jamais paraître réac. C’est un équilibre fragile, mais il le tient. Pour l’instant.
La Justice comme tremplin ou piège ?
Le ministère de la Justice, c’est à la fois une chance et un risque énorme. Chance, parce que c’est un maroquin régalien qui permet de marquer des points sur la sécurité et l’autorité. Risque, parce que chaque dérapage fait la une.
Les dernières semaines ont été rudes. Les évasions, la permission controversée… Tout ça lui colle à la peau. Mais curieusement, ça ne semble pas l’atteindre outre mesure. Comme s’il avait intégré que dans ce poste, on est forcément sur la corde raide.
Et puis, il y a cette loi Justice qu’il prépare pour janvier. Un texte ambitieux, dit-on dans son entourage. Un texte qui pourrait, s’il passe bien, lui permettre de montrer qu’il est capable de réformer en profondeur. De laisser une trace.
Un animal politique qui ne s’avoue jamais
Au fond, c’est peut-être ça le plus impressionnant chez Gérald Darmanin : cette capacité à toujours retomber sur ses pattes. Passer de Sarkozy à Macron sans perdre sa crédibilité à droite. Survivre à toutes les crises. Transformer chaque poste en tremplin.
Il y a chez lui quelque chose du chat à neuf vies. On le croit fini, il resurgit. On le croit coincé, il s’en sort. On le croit hors jeu, il est déjà ailleurs.
Et quand il dit « je ne fais pas de politique », c’est presque touchant. Parce qu’en réalité, il ne fait que ça. Mais il le fait mieux que les autres. Plus discrètement. Plus patiemment. Plus efficacement.
2027 approche. Et quelque part place Vendôme, dans l’ombre des grands bureaux, un ministre travaille. Officiellement pour la Justice. Officieusement pour l’avenir.
Et nous, on regarde ça avec un mélange d’admiration et de circonspection. Parce que dans ce jeu-là, celui qui dit ne pas jouer est souvent celui qui a déjà plusieurs coups d’avance.
Alors oui, Gérald Darmanin ne fait pas de politique. Enfin… disons qu’il la fait comme personne. En silence. En profondeur. Avec cette patience de ceux qui savent que le pouvoir ne se prend pas : il se construit. Pierre après pierre. Déjeuner après déjeuner. Allié après allié.
Et quelque part, c’est peut-être ça qui le rend si dangereux pour ses concurrents. Parce que pendant qu’ils s’agitent, lui avance. Discrètement. Méthodiquement. Inexorablement.
À suivre. De très près.
