Vous souvenez-vous de ce silence relatif qui s’était installé au Liban il y a tout juste un an ? Ce cessez-le-feu arraché après des mois de bombardements, de pertes humaines effroyables et d’une tension qui semblait insoluble. On osait à peine y croire. Et pourtant, dimanche dernier, une frappe chirurgicale a tout remis en question en quelques secondes. Un haut commandant militaire vient de tomber. Et pas n’importe qui.
Franchement, quand j’ai vu les premières images de l’immeuble pulvérisé dans la banlieue sud de Beyrouth, j’ai eu ce pincement au cœur qu’on ressent quand on sait que l’histoire va encore bégayer. Parce que, soyons honnêtes, on a tous compris immédiatement que ça n’allait pas en rester là.
Un assassinat qui change la donne
Haitham Ali Tabatabai n’était pas un cadre lambda. C’était l’un des cerveaux militaires les plus respectés au sein de la formation chiite, celui qui coordonnait encore récemment des unités d’élite. Il a été tué alors qu’il tenait une réunion stratégique avec quatre de ses adjoints. Tout le monde y est passé. L’opération portait clairement la signature des services israéliens : précision chirurgicale, renseignement pointu, exécution en plein cœur du bastion adverse.
Ce qui frappe, c’est le timing. Un an jour pour jour après la fin officielle des hostilités majeures. Comme un rappel brutal : la guerre n’est jamais vraiment terminée dans cette région. Elle dort juste, parfois.
La réponse cinglante de Naïm Qassem
Le lendemain, le numéro un du mouvement a pris la parole. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas mâché ses mots.
« Cette agression flagrante ne restera pas sans réponse. Nous avons le droit légitime de riposter, et c’est nous qui déciderons du moment et de la forme. Que l’ennemi et ses alliés interprètent cela comme ils l’entendent. »
– Le dirigeant du Hezbollah, vendredi soir
Ce ton, on le connaît. C’est celui de la retenue apparente qui cache une détermination absolue. En clair : on ne va pas se précipiter dans une réaction émotionnelle, mais on n’oubliera pas. Et quand la réponse viendra, elle sera calibrée pour faire mal.
Pourquoi maintenant ? Les vraies raisons derrière la frappe
Officiellement, Israël justifie ces derniers mois une intensification de ses opérations au Liban par la nécessité d’empêcher un réarmement massif. Des dépôts d’armes découverts, des tunnels supposément recreusés, des unités qui se réorganisent… Tel est le discours.
Mais beaucoup d’observateurs y voient autre chose. D’abord, un message clair : le cessez-le-feu ne signifie pas l’impunité. Ensuite, une volonté de maintenir la pression permanente sur un adversaire qui, malgré les pertes colossales subies l’an dernier – rappelez-vous la disparition du chef historique –, continue de représenter une menace existentielle aux yeux de l’État hébreu.
Et puis il y a l’aspect psychologique. Tuer un commandant de ce niveau en plein Beyrouth sud, c’est dire : « Nous pouvons vous atteindre où que vous soyez, quand nous le voulons. » C’est une démonstration de force qui vise aussi à démoraliser les troupes adverses.
Le cessez-le-feu : une réalité en sursis ?
Depuis un an, le Hezbollah répète qu’il respecte scrupuleusement l’accord. Pas de tirs de roquettes massifs, pas d’incursions. Une discipline de fer, même quand la colère bouillonnait.
- Des accrochages localisés, oui.
- Des échanges de tirs à la frontière, parfois.
- Mais rien qui justifie, aux yeux du mouvement chiite, une rupture ouverte.
Cette frappe change la donne. Elle place le Hezbollah face à un dilemme cruel : laisser passer et apparaître faible aux yeux de sa base, ou répondre et risquer l’embrasement général que tout le monde redoute.
Car soyons clairs : personne n’a intérêt à une nouvelle guerre totale. Ni le Liban, déjà à genoux économiquement. Ni Israël, engagé sur plusieurs fronts. Ni même l’Iran, qui soutient le mouvement mais doit gérer ses propres équations régionales.
Les scénarios possibles (et aucun n’est réjouissant)
Alors, que peut-il se passer ? J’ai passé la nuit à retourner les hypothèses dans tous les sens, et voilà où j’en arrive.
- La riposte limitée mais spectaculaire : une attaque ciblée contre une position militaire israélienne, suffisamment douloureuse pour restaurer l’honneur sans déclencher l’apocalypse.
- L’escalade progressive : une série d’actions de plus en plus fortes jusqu’à ce qu’un des deux camps franchisse la ligne rouge.
- La surprise stratégique : attendre des mois, laisser la vigilance adverse baisser, puis frapper là où ça fait vraiment mal.
- La retenue forcée : sous pression internationale et iranienne, encaisser sans répondre militairement… mais préparer l’avenir.
Personnellement, je penche pour la troisième option. L’histoire du Hezbollah est remplie d’exemples où la patience a payé. Se souvenir de la guerre de 2006 : l’enlèvement des soldats n’était pas un coup de tête, mais le fruit d’une préparation minutieuse.
L’Iran dans tout ça : le grand absent qui pèse lourd
Impossible de parler de cette crise sans évoquer Téhéran. Les Gardiens de la Révolution, rien que ça, ont publiquement appelé à venger l’assassinat. C’est rare qu’ils s’expriment aussi directement.
Mais l’Iran joue un jeu complexe. D’un côté, il ne peut pas laisser son principal allié régional se faire décapiter sans réagir – ce serait un désastre d’image. De l’autre, il sait qu’une guerre ouverte au Liban affaiblirait durablement l’« axe de la résistance » qu’il a mis des décennies à construire.
Du coup, la réponse viendra peut-être… mais pas forcément de là où on l’attend. Des milices en Irak ? Une activation du front syrien ? Tout est sur la table.
Et nous, dans tout ça ?
Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point ces événements nous paraissent parfois lointains, presque irréels. Et pourtant, chaque escalade au Proche-Orient a des répercussions mondiales : prix du pétrole, routes maritimes, migrations, terrorisme… Rien n’est jamais vraiment confiné à la région.
Au moment où j’écris ces lignes, des diplomates s’agitent en coulisses. Des appels téléphoniques frénétiques entre capitales. Des communiqués prudents. Tout le monde sait qu’on marche sur des œufs.
Une chose est sûre : le Proche-Orient nous rappelle régulièrement qu’il n’y a pas de pause définitive. Juste des parenthèses. Parfois courtes. Parfois tragiquement courtes.
Et nous, on regarde, on commente, on espère que cette fois encore, le pire sera évité. Mais au fond, on sait tous que l’histoire bégaie souvent. Et qu’elle a la mémoire longue.
(Article rédigé le 28 novembre 2025 – la situation évolue rapidement, les analyses restent valables au moment de la publication)
