Vous savez ce moment précis où un duo qu’on adore semble prendre des chemins différents et où, malgré tout, on sent que ce n’est qu’une respiration ? C’est exactement ce que j’ai ressenti ces derniers mois en suivant les aventures solo de Benoît Delépine et Gustave Kervern. Et puis, comme une bonne nouvelle qu’on n’osait plus espérer, ils annoncent qu’ils se retrouvent cet été. Pour un onzième film. Go-slow. Rien que le titre donne envie de ralentir et de tendre l’oreille.
Le duo qui n’a jamais vraiment rompu
Dix films ensemble, ça crée des liens qu’aucun contrat ne saurait décrire. De Louise-Michel à Effacer l’historique, en passant par le cultissime Mammuth avec Gérard Depardieu en routard perdu, ils ont imposé une patte unique : un humour noir qui gratte là où ça fait mal, une tendresse infinie pour les paumés magnifiques, et cette capacité rare à faire rire en parlant de sujets qui dérangent. Alors quand ils ont décidé, après 2022, de faire un break créatif chacun de son côté, certains ont parlé de séparation. Moi, j’ai toujours pensé que c’était une simple inspiration à deux têtes qui avait besoin d’air.
Et l’air, ça leur a fait du bien.
Animal Totem : le premier solo audacieux de Delépine
Cette semaine sort Animal Totem, le bébé 100 % Delépine. Imaginez un type menotté à une valise, qui traverse campagne et banlieue comme un fantôme vivant, croise des animaux qui semblent plus humains que les humains, des chasseurs un peu trop zélés, une hackeuse lunaire… Le tout pour atteindre un grand patron de l’industrie chimique. C’est minimaliste, radical, parfois muet pendant de longues minutes, et pourtant ça ne vous lâche pas.
Ce qui frappe, c’est la liberté totale. Sans la voix de Gustave à ses côtés pour équilibrer, Delépine va encore plus loin dans le conte poétique et grinçant. On sent qu’il s’est autorisé des choses qu’il gardait peut-être en réserve. Et le résultat est touchant, drôle, inquiétant. Exactement le genre de film dont on sort en se disant : « Bon sang, il fallait oser. »
« J’avais besoin de faire quelque chose de très personnel, presque un journal intime filmé. Mais je savais que Gustave serait fier. »
Benoît Delépine
Gustave Kervern, l’autre moitié du ciel
De son côté, Gustave n’est pas resté les bras croisés. Il a signé son propre long-métrage (dont on reparlera très vite, promis). Là encore, même famille d’esprit, même regard tendre et féroce sur la société, mais avec sa sensibilité propre. On retrouve cette façon unique de filmer les gens « d’en bas » sans jamais les prendre de haut. C’est peut-être ça, le secret de leur alchimie : ils regardent le monde avec le même cœur, mais pas exactement avec les mêmes yeux.
Et c’est précisément cette différence qui rend leurs retrouvailles aussi excitantes.
Go-slow : déjà une première version du scénario
Ils le disent sans détour : la première version du scénario est bouclée. Le titre, Go-slow, évoque à la fois la lenteur salvatrice et la grève perlée, cette forme de résistance discrète où on ralentit juste assez pour que le système s’étouffe tout seul. Ça sent la satire sociale douce-amère dont ils ont le secret.
Et côté casting, ça donne envie de trépigner : Jean-Pascal Zadi et Pierre Lottin seraient de l’aventure. Autant vous dire que l’association promet des étincelles. Zadi, avec son énergie explosive et son humour tranchant, et Lottin, capable de passer du comique le plus déjanté à une émotion brute en une seconde… Sur le papier, c’est du pur bonheur.
- Un tournage prévu cet été (ça sent déjà la chaleur, la sueur et les éclats de rire sur le plateau)
- Une comédie qui parlera probablement de travail, de résistance, de temps qui file ou qui stagne
- Cette patte visuelle si particulière : couleurs saturées, cadres bancals, personnages bigger than life
- Et surtout, ce mélange d’absurde et de tendresse qui fait qu’on ressort de leurs films à la fois secoué et réchauffé
Franchement, je ne sais pas vous, mais moi j’ai déjà hâte.
Pourquoi ce duo reste irremplaçable
Dans le cinéma français actuel, ils occupent une place à part. Pas vraiment dans le camp des auteurs intellos purs, pas non plus dans celui des comédies grand public formatées. Ils sont ailleurs. Dans cette zone grise merveilleuse où on peut rire d’un SDF philosophe, s’attendrir sur un routier en crise existentielle ou se moquer gentiment d’une société qui court après rien.
Leur force ? Ils n’ont jamais cédé à la facilité. Même quand Effacer l’historique a reçu le Prix du 70e à Berlin, même quand la critique les a portés aux nues, ils sont restés fidèles à leur ligne : des films fauchés d’apparence, riches en humanité.
Et c’est peut-être pour ça que leur « séparation » temporaire n’a jamais été une vraie rupture. Parce qu’au fond, ils portent la même colère douce, le même amour des loosers sublimes, le même refus du cynisme facile.
« On n’a pas besoin de se parler tous les jours pour savoir qu’on pense la même chose sur le monde. C’est rare, ce genre de connexion. »
Gustave Kervern
Ce que Go-slow pourrait nous dire du monde en 2026
À l’heure où tout va toujours plus vite – réseaux sociaux, intelligence artificielle, burnout généralisé –, un film qui s’appellerait Go-slow tombe à pic. On imagine déjà des personnages qui décident, chacun à leur manière, de ralentir. De dire non. De reprendre la main sur le temps. C’est un thème qui leur va comme un gant.
On peut parier sur quelques constantes :
- Des seconds rôles délicieusement barrés (ils ont un don pour dénicher des têtes incroyables)
- Une bande-son qui oscille entre chansons françaises ringardes et pépites inattendues
- Cette façon de filmer les paysages comme des personnages à part entière
- Et surtout, cette émotion qui surgit quand on s’y attend le moins
En attendant, courez voir Animal Totem si ce n’est pas déjà fait. C’est le genre de film qui vous colle à la peau pendant des jours. Et gardez une place dans votre agenda mental pour l’été prochain. Parce que quand Delépine et Kervern se retrouvent, c’est toujours pour nous rappeler qu’on peut rire de tout, surtout du pire. Et qu’il y a encore de la beauté dans ce monde qui va trop vite.
Ils n’ont pas fini de nous surprendre. Et quelque part, ça fait un bien fou.
(Article écrit après avoir passé une matinée à revoir Le Grand Soir et Saint-Amour en boucle – je plaide coupable, leur cinéma crée une addiction saine.)
