Dimanche matin, 8 h 30. Dans certaines églises de France, c’est déjà presque complet. Pendant que la majorité des Français dort encore ou fait son jogging, plusieurs millions de personnes se lèvent pour aller à la messe. On les croit disparus, ringardisés, relégués aux souvenirs d’enfance de nos grands-parents. Et pourtant, ils sont toujours là. Environ six millions et demi d’adultes, selon les dernières estimations sérieuses. Douze pour cent de la population majeure. Pas rien.
Je dois avouer que quand j’ai découvert ces chiffres, j’ai été surpris. On nous répète depuis vingt ans que la France est l’un des pays les plus sécularisés d’Europe. Et c’est vrai. Mais derrière le grand récit du « plus personne ne croit », il existe une réalité plus contrastée, presque têtue. Un noyau qui résiste. Et ce noyau a un visage, des habitudes, des idées. C’est ce portrait que je voulais vous proposer aujourd’hui, loin des clichés.
Un noyau qui tient bon dans la tempête sécularisée
Revenons quinze ans en arrière. À l’époque, un peu plus d’un Français sur deux se disait encore catholique, pratiquant ou non. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé sous la barre des 45 %. Les « sans religion » progressent, les autres confessions aussi, doucement mais sûrement. On pourrait croire que la messe dominicale est devenue une curiosité folklorique.
Eh bien non. Le nombre de ceux qui franchissent régulièrement la porte d’une église reste étonnamment stable. On parle ici de personnes qui y vont au moins une à deux fois par mois, hors grandes fêtes et cérémonies exceptionnelles. Ce n’est pas la pratique fervente d’autrefois, mais c’est loin d’être marginal.
« On assiste à la disparition d’un catholicisme culturel ambiant, mais pas forcément d’un catholicisme choisi et assumé », expliquait récemment un sociologue spécialisé dans les religions.
Cette phrase résume assez bien la situation. Le catholicisme « par défaut », celui dans lequel on naissait automatiquement dans certaines régions, s’effrite. Mais un catholicisme de conviction subsiste. Et c’est précisément ce groupe que les dernières enquêtes nous permettent de dessiner avec précision.
L’âge : oui, ils sont plus âgés… mais pas que
Commençons par le cliché le plus tenace : les pratiquants seraient essentiellement des personnes âgées. Il y a du vrai. La moyenne d’âge est clairement plus élevée que dans le reste de la population. Plus de la moitié a plus de 50 ans. Et la part des plus de 65 ans est impressionnante.
Mais attention, ça ne raconte pas toute l’histoire. D’abord parce que même chez les seniors, aller à la messe reste un acte volontaire. Ensuite parce qu’on observe un phénomène intéressant : les trentenaires et quarantenaires sont plus nombreux qu’on ne le pense. Surtout dans certaines zones urbaines dynamiques.
- 18-34 ans : environ 8 % des pratiquants réguliers
- 35-49 ans : près de 20 %
- 50-64 ans : le gros du bataillon, autour de 35 %
- 65 ans et plus : le reste, mais en proportion moindre qu’il y a dix ans
Ce qui frappe surtout, c’est le renouveau chez certains jeunes adultes. On les voit dans les paroisses animées, les mouvements type aumôneries étudiantes ou les communautés nouvelles. Ils ne représentent pas encore la majorité, loin de là, mais ils existent. Et ils changent la donne.
Où vivent-ils ? La carte surprend encore
On imagine souvent les pratiquants confinés à l’ouest ou aux zones rurales. Il y a cinquante ans, c’était vrai. Aujourd’hui, la géographie religieuse française s’est profondément transformée.
Oui, certaines régions restent plus attachées à la pratique : l’Alsace-Lorraine, des poches en Bretagne, dans le Pays basque, en Vendée, dans quelques vallées savoyardes. Mais le vrai bouleversement, c’est l’urbanisation de la pratique catholique.
Les grandes villes concentrent désormais une part importante des messes fréquentées. Paris intra-muros, Lyon, Toulouse, Nantes, Bordeaux… les églises du centre-ville, quand elles sont vivantes, attirent un public mélangé : étudiants, jeunes actifs, familles parfois nombreuses. C’est presque paradoxal : plus la ville est grande et diverse, plus on trouve des paroisses qui font le plein.
À l’inverse, certaines campagnes autrefois très pratiquantes se vident lentement de leurs fidèles. L’église du village reste debout, mais les bancs sonnent creux. La mobilité, le vieillissement, la fermeture de petites paroisses font leur œuvre.
Le niveau d’études et la situation professionnelle
Autre idée reçue : les pratiquants seraient moins diplômés. Là encore, la réalité est plus nuancée. Globalement, le niveau d’éducation des catholiques réguliers est légèrement supérieur à la moyenne nationale.
- Plus d’un tiers a un diplôme supérieur à Bac +3
- Les professions intermédiaires et cadres sont sur-représentés
- Les enseignants, professions de santé, fonctionnaires sont nombreux
On retrouve aussi une forte proportion d’indépendants, d’artisans, de chefs d’entreprise dans certaines régions. Et bien sûr, le monde de l’éducation catholique (privé sous contrat) reste un vivier important.
Ce qui est intéressant, c’est que cette sur-représentation des catégories supérieures et intermédiaires se retrouve aussi chez les jeunes pratiquants. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la pratique régulière ne concerne pas seulement les « laissés-pour-compte » de la modernité.
Opinions politiques : le cliché de droite tient… en partie
Impossible d’aborder le sujet sans parler politique. Pendant longtemps, catholicisme et vote à droite allaient de pair. Aujourd’hui, c’est plus compliqué.
Oui, les pratiquants réguliers votent encore majoritairement à droite et au centre-droit. Mais la dispersion s’accentue. On trouve désormais :
- Une part non négligeable qui se reconnaît dans des sensibilités écologistes chrétiennes
- Quelques voix à gauche, surtout chez les plus jeunes et dans les grandes villes
- Une méfiance croissante vis-à-vis des partis traditionnels
Ce qui unit encore fortement ce groupe, ce sont plutôt des valeurs que des étiquettes : importance de la famille, défense de la vie, liberté éducative, solidarité. Sur les questions sociétales (mariage, bioéthique, école), les positions restent très majoritairement conservatrices.
Mais attention : le vote extrême droite, souvent associé dans l’imaginaire à la « France catho », ne concerne en réalité qu’une minorité des pratiquants réguliers. La majorité se retrouve plutôt dans un conservatisme modéré, parfois critique du libéralisme économique autant que sociétal.
La famille : toujours au cœur
Si vous cherchez le point commun le plus évident entre tous ces profils, c’est la famille. Les catholiques pratiquants ont plus souvent des enfants, et plus d’enfants que la moyenne. Les familles de trois enfants et plus sont nettement sur-représentées.
Et ce n’est pas seulement une question de tradition. Beaucoup expliquent que leur engagement religieux et leur vie familiale se nourrissent mutuellement. La paroisse devient un lieu de sociabilité, d’entraide, presque un village dans la ville.
Et demain ?
La grande question, évidemment. Ce noyau de 12 % va-t-il fondre doucement dans les années qui viennent ? Ou va-t-il se maintenir, voire se renouveler ?
Plusieurs éléments jouent en sa faveur :
- Le dynamisme de certaines paroisses et mouvements
- L’arrivée de jeunes couples qui font le choix d’une éducation religieuse pour leurs enfants
- Une forme de « retour » discret chez certains trentenaires en quête de sens
Mais les défis sont immenses : vieillissement, dispersion géographique, concurrence des propositions spirituelles alternatives, et surtout la difficulté à transmettre la foi dans un environnement culturel très sécularisé.
Ce qui est sûr, c’est que ces six millions et demi de Français ne forment pas un bloc monolithique. Ils sont divers, parfois contradictoires, toujours attachants dans leur manière de résister tranquillement à la grande vague de désaffection religieuse.
La prochaine fois que vous passerez devant une église un dimanche matin et que vous verrez de la lumière à l’intérieur, souvenez-vous : il y a probablement plus de monde que vous ne l’imaginez. Et surtout, des gens bien plus variés que le cliché ne le laisse penser.
La France reste diverse, même dans sa relation à la foi. Et c’est peut-être ça, au fond, la vraie bonne nouvelle.
