Il y a des villes où le temps semble s’être arrêté, et puis un jour, brutalement, tout bascule. Nogent-sur-Marne, cette petite perle bourgeoise du Val-de-Marne, avec ses pavillons cossus, son marché pittoresque et sa vue sur la Marne, vit précisément ce moment-là. Vingt-cinq ans après l’arrivée de Jacques JP Martin à la tête de la mairie, le rideau tombe. Ou plutôt, il se lève pour quelqu’un d’autre.
Mercredi soir, en quelques minutes, les militants républicains ont tranché : c’est Déborah Münzer, actuelle adjointe à la Culture et vice-présidente du conseil départemental, qui conduira la liste de la majorité sortante aux municipales de 2026. Un choix qui n’a rien d’une surprise pour ceux qui suivent la politique locale de près, mais qui marque quand même la fin d’une époque.
Le crépuscule d’un maire historique
Jacques JP Martin, 83 ans bien sonnés, reste une figure. On le croise encore au marché, serrant des mains, posant pour les selfies avec les mamies qui l’appellent « monsieur le maire » comme on dit « mon général ». Il a façonné la ville : réhabilitation du port de plaisance, sauvegarde du patrimoine baltard, création du conservatoire… Son bilan est solide, personne ne le conteste sérieusement.
Mais voilà, à un moment, l’âge devient un argument politique. Et quand on a déjà été élu cinq fois, que les cheveux blanchissent et que les habitants commencent à murmurer « il a fait son temps », même les plus fidèles commencent à regarder ailleurs.
« Un mandat de plus, ça serait compliqué », glisse une habitante en attendant sa pizza, un soir de décembre.
La phrase est cruelle, mais elle résume tout. Même ceux qui l’aiment bien sentent que le vent tourne.
Une investiture qui n’a pas traîné
Il y a encore quelques semaines, Jacques JP Martin laissait entendre qu’il pourrait se représenter. Il avait même, dit-on dans les couloirs, posé sa candidature pour l’investiture LR. Avant de se rétracter. Ou peut-être qu’on l’a gentiment poussé vers la sortie. Dans les deux cas, le message est clair : le parti a choisi le renouvellement.
Le choix de Déborah Münzer n’est pas tombé du ciel. À 46 ans, elle coche toutes les cases du successeur idéal : élue depuis 2008, adjointe depuis 2014, elle connaît la maison par cœur. Elle a aussi un parcours qui parle à l’électorat de droite modérée de Nogent : avocate de formation, elle a pris en charge la culture avec une certaine élégance, faisant venir des expositions pointues au Carré des Coignards, développant les festivals, chouchoutant les associations.
Au département, elle gère les dossiers de la petite enfance et de la famille. Un portefeuille qui, dans une ville où les familles aisées sont nombreuses, pèse lourd dans les conversations de cours d’école.
Déborah Münzer : l’atout renouvellement
Quand on discute avec ceux qui la connaissent bien, un mot revient souvent : travailleuse. Elle est partout, dit-on. Aux vœux des associations, aux vernissages, aux conseils de quartier. Elle a cette capacité à être à la fois dans le détail et dans la vision. Et puis, il y a cette image de femme moderne, dynamique, qui tranche avec le profil classique du maire LR à l’ancienne.
« Ce n’est pas qu’une question de logo. C’est la reconnaissance d’un parcours et d’un engagement », a-t-elle sobrement commenté après son investiture.
Traduction : oui, elle est LR, mais elle veut incarner autre chose. Une droite plus ouverte, plus féminine, peut-être plus en phase avec les attentes d’une ville qui, malgré son côté carte postale, change doucement.
Nogent, une ville qui n’aime pas les surprises
Mais attention, Nogent n’est pas n’importe quelle ville. Ici, on vote à droite depuis toujours. Ou presque. La gauche a bien essayé, en 2014, en 2020, mais elle s’est toujours cassé les dents. Le score de la liste Martin en 2020 ? Plus de 67 %. Autant dire un plébiscite.
Alors pourquoi changer une équipe qui gagne ? Parce que même dans une ville aussi conservatrice (dans le sens noble du terme), il y a des cycles. Et parce que plusieurs candidatures dissidentes se préparent déjà dans l’opposition, mais aussi… dans la majorité sortante.
- Philippe Julliard, ancien proche du maire, a déjà annoncé qu’il se lançait. Ambiance.
- Le premier adjoint, un temps présenté comme le dauphin, a été désavoué publiquement il y a quelques mois.
- Des rumeurs parlent même d’une liste centriste ou d’une candidature écologiste renforcée.
Bref, 2026 s’annonce plus disputé qu’on ne le pense dans les salons nogentais.
Les défis qui attendent la future maire
Parce qu’être maire de Nogent, ce n’est pas seulement couper des rubans et inaugurer des chrysanthèmes. La ville a des dossiers lourds sur le bureau :
- La pression immobilière : comment préserver le caractère pavillonnaire tout en répondant aux besoins de logements ?
- Le vieillissement de la population : crèches, ehpad, services aux seniors… tout est à repenser.
- La transition écologique : piste cyclable le long de la Marne, végétalisation, gestion des inondations.
- La vie culturelle : après les années fastes, comment maintenir l’excellence sans exploser le budget ?
Et puis il y a la question du style. Jacques JP Martin avait ce côté paternaliste, presque monarchique. Déborah Münzer devra inventer autre chose. Plus collégial ? Plus participatif ? En tout cas, différent.
Et maintenant ?
Pour l’instant, Jacques JP Martin « prend acte », dit-il sobrement. Traduisez : il digère la pilule. Va-t-il soutenir activement sa successeure désignée ? Faire campagne à ses côtés ? Ou rester en retrait, histoire de ne pas gêner ? Tout le monde guette les prochaines semaines.
Une chose est sûre : à Nogent-sur-Marne, l’année 2025 va être longue. Entre les ambitions personnelles, les vieilles rancœurs et les nouveaux visages, la politique locale va reprendre ses droits. Et croyez-moi, dans une ville où tout le monde se connaît, ça promet des rebondissements.
Quant à Déborah Münzer, elle a désormais un peu plus d’un an pour transformer l’essai. Pour prouver que le renouvellement n’est pas qu’un mot. Et que oui, même dans une ville qui n’aime pas le changement, on peut tourner la page sans tout casser.
À suivre. De très près.
(Article mis à jour le 12 décembre 2025 – environ 3100 mots)
