Vous êtes maire d’un tout petit village depuis plus de dix ans, tout se passe plutôt bien, les comptes sont à l’équilibre, les habitants vous connaissent… Et un jour, vous décidez de tout plaquer pour briguer la mairie de la commune d’à côté, quinze fois plus peuplée. Drôle d’idée ? Pas pour tout le monde. C’est pourtant l’histoire vraie qui se joue en ce moment dans la Sarthe, et elle dit beaucoup sur l’état actuel d’un certain courant politique en France.
Quand un maire RN voit plus grand que son clocher
Imaginez la scène : un homme de 66 ans, écharpe tricolore autour du cou, qui a passé plus d’une décennie à gérer 232 âmes et quelques vaches, se retrouve soudain sur une estrade à annoncer qu’il vise désormais 3 750 habitants. Le saut est vertigineux. On passe d’une gestion presque familiale à une vraie petite ville avec ses lotissements, son collège, ses commerces et, forcément, ses problèmes plus visibles.
Le personnage s’appelle Éric de Vilmarest. Il dirige Saint-Aignan depuis 2014 sous étiquette Rassemblement National. Et c’est à Bonnétable, à peine à dix minutes en voiture, qu’il pose aujourd’hui ses ambitions pour les municipales de 2026. L’annonce a été faite en grande pompe, avec un soutien de poids qui ne passe pas inaperçu.
Un parrainage qui pèse lourd
Difficile de faire plus symbolique : c’est en présence de Marie-Caroline Le Pen que l’annonce a eu lieu. Oui, la fille aînée du fondateur du parti, celle qui préfère généralement rester dans l’ombre mais qui, quand elle sort, envoie un message clair. Sa présence n’est pas anodine. Elle dit : le RN mise sérieusement sur ce genre de profil pour avancer ses pions en territoire rural.
« C’est parti ! »
Marie-Caroline Le Pen, juste après la conférence de presse
Ce simple tweet résume l’enthousiasme côté parti. Pour eux, Éric de Vilmarest coche pas mal de cases : élu sortant crédible, bilan positif dans une petite commune, image de gestionnaire rigoureux. Bref, le candidat parfait pour montrer que le RN sait aussi faire du « bon sens près de chez vous » quand il le veut.
Un parcours qui raconte la droitisation accélérée
Mais creusons un peu le personnage, parce qu’il est révélateur d’une époque. En 2022, le même homme s’était présenté aux législatives… sous l’étiquette Reconquête, le parti d’Éric Zemmour. À l’époque, il avait tenté la grande aventure nationale, sans succès. Retour à la case locale donc, mais avec une différence : il revient aujourd’hui sous les couleurs RN, preuve que les frontières entre les droites dures deviennent de plus en plus poreuses.
Est-ce une histoire de conviction profonde ou d’opportunité politique ? Un peu des deux sans doute. Ce qui est sûr, c’est que le RN récupère aujourd’hui des profils qui, il y a trois ans encore, préféraient le camp zemmouriste. Le grand rassemblement à droite de la droite avance, même si c’est parfois en zigzag.
De 232 à 3 750 habitants : même combat ?
L’intéressé, lui, balaie la question de la taille d’un revers de main. Pour lui, gérer une commune, petite ou moyenne, c’est pareil. « Les principes sont les mêmes », répète-t-il. Et il sort son bilan comme un bouclier : dettes réduites, trésorerie positive, station d’épuration refaite, réseaux enterrés… Dans un village de 232 habitants, c’est déjà pas mal.
- Remboursement anticipé de certains emprunts
- Réalisation de gros travaux sans augmenter les impôts
- Maintien des services malgré un budget limité
Son argument massue : « J’ai fait tout ça à Saint-Aignan, je peux le faire à Bonnétable. » Dit comme ça, ça paraît simple. En réalité, les habitants de la commune ciblée risquent de poser des questions plus… terre à terre : et la sécurité ? Et les incivilités ? Et le collège qui pose parfois problème ? Passer de la quiétude d’un hameau à la gestion d’une petite agglomération, c’est aussi affronter des sujets plus clivants.
Bonnétable, laboratoire du RN rural version 2026
Ce qui rend l’histoire passionnante, c’est qu’elle n’arrive pas par hasard. Bonnétable fait partie d’une liste plus longue. Le parti a déjà annoncé qu’il présenterait des candidats au Mans, à Sablé-sur-Sarthe, à La Flèche ou encore à La Ferté-Bernard. En clair, la Sarthe est devenue un terrain d’expérimentation pour la nouvelle stratégie municipale du RN : investir les villes moyennes, là où le vote protestataire est fort mais où l’on n’a jamais vraiment percé.
J’ai regardé les résultats de 2020 dans le coin. À Bonnétable, le RN avait déjà frôlé les 30 % au premier tour des municipales (sous une autre liste). Le terreau existe. Reste à transformer l’essai avec un candidat qui, cette fois, a déjà prouvé qu’il savait tenir une mairie – même petite.
Le message envoyé aux autres maires sortants
Il y a aussi une lecture plus large. En mettant en avant un maire sortant RN qui « monte en gamme », le parti adresse un message à tous les élus locaux de droite ou sans étiquette qui hésitent encore : regardez, chez nous on peut faire carrière. On ne reste pas cantonné aux villages de 200 habitants. Il y a de la place pour grimper.
C’est nouveau. Pendant longtemps, le FN puis le RN peinait à garder ses maires au-delà d’un mandat – démissions, divisions internes, difficultés de gestion… Là, on montre l’exemple inverse : un élu qui reste, qui fait ses preuves, et à qui on offre un tremplin. C’est presque une opération de communication en soi.
Et les habitants dans tout ça ?
Mais au-delà des stratégies de parti, il y a les gens. À Bonnétable, certains risquent de tiquer : « Pourquoi venir d’ailleurs ? On n’a pas de bons candidats ici ? » Le syndrome du parachuté, même à dix kilomètres, existe. D’autres, au contraire, apprécieront le profil expérimenté. Après tout, un maire qui a déjà redressé les finances d’une commune, ça rassure.
Et puis il y a cette petite phrase qui circule déjà : « Il a même acheté un terrain agricole ici il y a quelques années, au cas où… » Avouez que ça fait sourire. On est entre la prévoyance et la stratégie longuement mûrie. Un peu comme ces adjoints qui se positionnent dès le premier mandat en vue du suivant, mais là on passe à un autre niveau.
Vers une vague bleu marine dans les campagnes ?
Ce qui se joue dans cette petite commune sarthoise n’est qu’un bout de puzzle. Partout en France, des histoires similaires se répètent : des maires ou anciens candidats RN qui visent plus grand, des soutiens familiaux ou historiques qui se mobilisent, des discours recentrés sur la gestion saine et la sécurité. Le RN peaufine son image de parti « prêt à gérer ».
Est-ce que ça marchera ? Trop tôt pour le dire. Mais une chose est sûre : à quatre mois du scrutin (eh oui, on y est presque), les cartes se redistribuent dans bien des territoires qu’on croyait acquis à la droite classique ou au centre. Et des profils comme celui d’Éric de Vilmarest pourraient bien créer la surprise là où on ne les attendait plus.
En attendant, dans la Sarthe, un maire a décidé que son clocher était devenu trop petit pour ses ambitions. L’histoire est en marche. Et quelque part, ça résume assez bien l’état de la politique française en cette fin 2025 : même dans les campagnes, plus rien n’est figé.
