Imaginez un peu : vous avez 93 ans, vous avez déjà passé plus d’un demi-siècle au service de votre village, et pourtant, l’idée de raccrocher l’écharpe vous semble encore lointaine. C’est exactement ce qui se passe dans un tout petit coin de la Somme, où le maire en exercice refuse gentiment de passer la main. À quelques mois des municipales de 2026, il annonce tranquillement qu’il sera candidat… pour la dixième fois.
Franchement, quand on entend ça, on se demande si le temps n’a pas décidé de faire une exception rien que pour lui.
Un record qui force le respect
Dans le village de Gorges, 41 habitants au dernier recensement, tout le monde connaît évidemment son maire. Né en janvier 1932, il fêtera ses 94 ans deux mois avant le scrutin. S’il est réélu et qu’il va au bout de son mandat, il soufflera ses 100 bougies en 2032… toujours en poste. Difficile de faire plus symbolique.
Ce n’est pas seulement une question d’âge. C’est surtout une longévité politique hors norme. Élu pour la première fois au conseil municipal en 1965, il prend les rênes de la commune six ans plus tard, en 1971. Depuis, neuf mandats se sont enchaînés sans interruption. Et à chaque fois, la réélection s’est faite sans trop de suspense : souvent sans adversaire, parfois avec une opposition symbolique.
« Si j’ai la santé », glisse-t-il simplement quand on lui demande s’il sera candidat.
Une phrase toute simple, presque timide, mais qui en dit long sur l’homme : pas de grande déclaration, pas de tambour ni trompette, juste une envie tranquille de continuer à rendre service.
D’où vient cette envie de durer ?
Pour comprendre, il faut remonter un peu. À l’époque, le maire sortant était un architecte qui, selon les souvenirs, faisait grimper les impôts un peu trop haut. Notre homme, alors agriculteur, décide de se présenter. Il gagne. Et il ne lâchera plus jamais le morceau.
Pendant les trente premières années, il assure même le secrétariat de mairie bénévolement, avec un adjoint, pour éviter de peser sur les finances communales. Quand on gère un budget de quelques dizaines de milliers d’euros, chaque économie compte. C’est cette mentalité-là qui a forgé sa réputation : un maire proche des gens, rigoureux, presque austère sur les dépenses publiques.
Aujourd’hui retraité depuis un quart de siècle, il continue parce qu’il aime ça. Les réunions de la communauté de communes, les échanges avec les élus voisins, les sénateurs qui passent parfois… Tout ça rythme encore ses journées. À 93 ans, il reste curieux, actif, connecté à ce qui se passe au-delà des limites du village.
Un symbole vivant de l’engagement local
On le décrit comme une mémoire vivante. Il a vu passer les grandes évolutions de la ruralité : la fin des petites exploitations, l’arrivée de l’eau courante dans toutes les maisons, la fermeture de l’école, les regroupements pédagogiques, les fusions de communes refusées… Il a tout connu, tout accompagné.
Récemment, un jeune sénateur de la Somme, élu à 26 ans seulement, est venu le rencontrer. Le contraste était saisissant : d’un côté la jeunesse, de l’autre l’expérience absolue. Le plus jeune parlementaire de la Ve République face au doyen des maires de France. L’image a fait sourire tout le département.
« Un personnage attachant, une mémoire vivante, et une belle leçon d’engagement. »
– Un élu ayant croisé son chemin
Et les autres records dans tout ça ?
Attention, il n’est pas le seul à tenir bon très longtemps. Le record absolu de mandats revient à un maire de l’Aisne, en poste depuis 1966, soit onze mandats. Né quelques mois après notre homme, il détient la palme de la longévité en fonction continue.
Sur le podium des plus anciens maires encore en exercice, on trouve aussi un élu du Var, né fin 1932, maire depuis 1989. Et selon les statistiques officielles, une trentaine de conseillers municipaux sont même plus âgés que notre maire de Gorges. Le plus vieux d’entre eux est né en 1926… mais il a passé le relais en 2020.
| Rang | Âge | Commune | Début du premier mandat de maire |
| 1er (longévité) | 93 ans | Aisne | 1966 |
| 2e | 93 ans | Somme | 1971 |
| 3e | 93 ans | Var | 1989 |
Ces chiffres donnent le vertige. On parle d’élus qui ont traversé Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron… et qui seront peut-être encore là pour le prochain président.
Que dit cette histoire de notre démocratie locale ?
Derrière l’anecdote touchante, il y a une réalité plus profonde. Dans les toutes petites communes, trouver des candidats relève parfois du parcours du combattant. Quand quelqu’un accepte la fonction, il devient vite irremplaçable. Pas par ambition démesurée, mais parce que personne d’autre ne veut prendre le risque – ou le temps – de s’y coller.
Dans certains villages, les listes se forment à cinq ou six, pas un de plus. Parfois, il n’y en a qu’une seule. Le maire sortant se représente parce qu’il sait que sinon, la commune risque le dépôt de bilan démocratique : pas de conseil, pas de budget voté, et finalement une tutelle préfectorale.
- Manque de candidats jeunes ou en activité professionnelle
- Charge administrative lourde pour un bénévolat
- Responsabilité pénale en cas d’erreur
- Réunions le soir ou le week-end
- Indemnités symboliques
Dans ce contexte, voir un maire de 93 ans se représenter n’a rien de scandaleux. Au contraire, ça peut être un acte de responsabilité immense.
Mais la question se pose quand même : à partir de quel âge faut-il envisager de passer la main ? Y a-t-il une limite raisonnable ? La loi n’en fixe aucune. Tant que la personne est lucide et que les électeurs la soutiennent, tout est possible. Et c’est peut-être ça, finalement, la beauté de la démocratie de proximité : elle ne fonctionne pas avec des règles strictes, mais avec du bon sens et de la confiance.
Et dans son village, qu’en pensent les habitants ?
Forcément, avec seulement 41 âmes, tout le monde se connaît. Et tout le monde connaît son maire depuis toujours – ou presque. Les plus anciens l’ont vu arriver jeune agriculteur, les plus jeunes l’ont toujours connu avec l’écharpe. Pour beaucoup, il fait partie du paysage, comme le clocher ou le monument aux morts.
Il y a ceux qui trouvent ça formidable, une forme de stabilité rassurante dans un monde qui change trop vite. Et puis il y a ceux, plus rares, qui se demandent doucement si le moment n’est pas venu de laisser la place. Mais dans les faits, personne ne se bouscule pour prendre le relais. Alors on continue, presque naturellement.
Un modèle pour les jeunes générations ?
On entend souvent que les jeunes ne s’engagent plus. Que la politique locale ne fait plus rêver. Et puis il y a cette histoire, qui vient tout remettre en perspective. Un homme qui, à 93 ans, trouve encore l’énergie de se présenter, de remplir des dossiers, d’aller aux réunions, de répondre aux appels des habitants.
Ça pose une question simple : et si le problème n’était pas les jeunes, mais bien le manque de transmission ? Quand un maire reste cinquante ans, forcément, les suivants ont moins l’occasion de se former, de prendre confiance, de tester. Peut-être qu’il faudrait parfois savoir partir au bon moment, pour laisser la place… tout en restant disponible pour conseiller.
Mais qui suis-je pour donner des leçons ? Lui, en tout cas, n’a pas l’air pressé. Et tant qu’il aura la santé – et la confiance de ses administrés –, il continuera. Point final.
En fin de compte, cette histoire est bien plus qu’une curiosité. C’est un miroir tendu à notre démocratie de proximité, avec ses forces et ses fragilités. Un hommage à ceux qui, dans l’ombre, font tourner les communes depuis des décennies. Et peut-être aussi un appel discret : dans votre village, y a-t-il quelqu’un prêt à prendre le relais quand le moment viendra ? Parce qu’un jour ou l’autre, même les plus solides finissent par passer la main.
En attendant, on suivra avec curiosité – et une pointe d’admiration – la campagne de ce maire pas comme les autres. Rendez-vous en mars 2026 pour savoir s’il décrochera son dixième mandat. Et qui sait, peut-être qu’on reparlera de lui en 2032… pour ses 100 ans sous l’écharpe tricolore.
Après tout, pourquoi pas ?
