Imaginez un peu. Vous avez dix-huit ans, l’été s’ouvre devant vous comme une promesse infinie, et vous partez apprendre le kitesurf sur ces îles paradisiaques du Finistère. Le vent, la mer, la liberté. Et puis, en quelques secondes, tout bascule. Une hélice qui tourne à plein régime, un bateau qui fonce, un corps broyé. C’est ce qui est arrivé à Stanislas un soir d’avril 2019. Six ans plus tard, la justice commence enfin à bouger.
Une mise en examen qui arrive après six années de silence
Fin octobre 2025, la nouvelle est tombée : la célèbre école de voile des Glénans, cette institution née juste après-guerre et qui forme des milliers de passionnés chaque année, est désormais mise en examen pour homicide involontaire. L’association a confirmé l’information, mais préfère garder le silence tant que l’instruction n’est pas terminée. On la comprend, le dossier est lourd.
Pour les parents de Stanislas, c’est une première victoire. Pas de joie, évidemment, juste le sentiment que leur combat n’a pas été vain. Pendant six ans, ils ont attendu, relancé, pleuré dans le vide. « On se sentait complètement démunis », confiaient-ils il y a peu. Aujourd’hui, ils parlent d’une « étape importante » vers la reconnaissance des manquements.
Que s’est-il réellement passé ce 28 avril 2019 ?
Il est presque 19 heures. Les stagiaires terminent leur journée de kitesurf. Stanislas est encore dans l’eau, comme quelques autres. Un moniteur stagiaire – donc en formation – prend le semi-rigide pour aller récupérer les derniers riders. À bord, une passagère. Un coup de roulis, elle perd l’équilibre, son bras heurte la manette des gaz. Le bateau bondit en avant. Droit sur Stanislas.
L’hélice le frappe de plein fouet. Les secours arrivent vite, mais c’est déjà trop tard. Le jeune homme de dix-huit ans succombe à ses blessures. La scène est insoutenable. Un rapport officiel parlera plus tard d’une « agonie terrible ».
« Mon fils est mort dans un hachoir. »
Le père de Stanislas, phrase qu’il répète depuis six ans
Un bateau trop puissant entre les mains d’un stagiaire
Ce qui choque, ce n’est pas seulement le drame en lui-même – même si ça suffit largement. C’est surtout la succession de choix qui ont rendu cet accident possible. Et là, franchement, on a du mal à comprendre.
- Un moniteur stagiaire à qui on confie la récupération des élèves en fin de journée
- Un semi-rigide équipé d’une motorisation très puissante
- Une commande de gaz extrêmement sensible et surtout sans aucune protection
- Aucune procédure claire semble-t-il pour ce type de récupération en conditions réelles
Le Bureau d’enquêtes sur les événements de mer avait pourtant été très clair dès septembre 2019 : une série de dysfonctionnements organisationnels et techniques. Le rapport pointait déjà la responsabilité collective. Mais il a fallu attendre 2025 pour que la justice suive.
Quatre personnes physiques aussi dans le viseur
L’école n’est pas seule sur le banc des accusés. Quatre individus – probablement des encadrants ou responsables à l’époque – sont également mis en examen. On ignore encore leurs identités précises, mais l’étau se resserre. L’avocat de la famille parle d’une « bonne direction » après des années d’inertie.
Et c’est peut-être là le plus révoltant : cette lenteur. Six ans pour qu’une instruction avance vraiment. Six ans où les parents ont dû se battre pour que le dossier ne tombe pas aux oubliettes. On se demande parfois si certaines structures, parce qu’elles sont historiques, bénéficient d’une forme d’immunité tacite. Heureusement, cette fois, non.
Les Glénans, une institution intouchable ?
Il faut le dire : les Glénans, ce n’est pas n’importe quelle école de voile. Créée en 1947 par des résistants qui voulaient transmettre des valeurs de solidarité et d’autonomie, elle est devenue la plus grande école de voile d’Europe. Plus de 15 000 stagiaires par an, des bases en Bretagne, en Méditerranée, en Corse. Une référence. Un mythe presque.
Mais justement. Quand on est une référence, la responsabilité est décuplée. On n’a pas le droit à l’approximation. Confier un bateau ultra-puissant à quelqu’un qui n’a pas terminé sa formation, c’est prendre un risque énorme. Et ce risque, quelqu’un l’a payé de sa vie.
« On ne cherche pas la vengeance. On veut juste que ça n’arrive plus jamais. »
Les parents de Stanislas
La sécurité en kitesurf et sports nautiques : où en est-on vraiment ?
Cet accident pose une question plus large. Le kitesurf, comme beaucoup de sports de glisse, a explosé ces dernières années. Plus de puissance, plus de vitesse, plus de sensations. Mais est-ce que la formation et les protocoles de sécurité ont suivi le même rythme ?
Dans beaucoup d’écoles, on voit encore des moniteurs en formation prendre des responsabilités importantes. Par manque de personnel ? Par économie ? Les deux sans doute. Et puis il y a ces bateaux de secours toujours plus puissants, parce qu’il faut aller vite, rattraper les riders loin au large. Mais qui forme-t-on vraiment à les piloter en conditions réelles ?
J’ai moi-même fait plusieurs stages de kitesurf. Et à chaque fois, on sent cette petite tension quand le bateau de sécurité passe près de vous. On se dit que ça va, que les mecs savent ce qu’ils font. Mais quand on apprend ce qui s’est passé aux Glénans, on se pose forcément la question : est-ce que partout ailleurs, c’est vraiment mieux encadré ?
Vers un procès qui pourrait faire jurisprudence
Aujourd’hui, l’instruction continue. La mise en examen de l’école et des quatre personnes physiques ouvre la voie à un éventuel procès. Et là, ça pourrait secouer le monde de la voile et des sports nautiques en général.
Parce que si la justice reconnaît des négligences graves – formation insuffisante, matériel inadapté, absence de protections sur les commandes –, ça obligera toutes les écoles à revoir leurs pratiques. Et tant mieux. Le prix du laxisme, on le connaît maintenant : une vie fauchée à dix-huit ans.
Les parents de Stanislas ne verront jamais leur fils devenir adulte. Mais s’ils arrivent, par leur combat, à éviter qu’un autre gamin vive la même horreur, alors quelque chose de positif sortira de l’insupportable.
En attendant, l’archipel des Glénans reste magnifique. La mer continue de briller sous le soleil breton. Mais quelque part, il y a une plage où un jeune homme ne rentrera jamais. Et ça, aucune mise en examen ne l’effacera.
(Article mis à jour le 24 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
