Il y a des nouvelles qu’on préférerait ne jamais lire. Ce lundi 17 novembre 2025, en plein milieu de journée, Paris a encore perdu l’un de ses cyclistes. Un homme d’une soixantaine d’années qui roulait tranquillement a été percuté par un camion de livraison. Le choc a été fatal. Et comme trop souvent, l’expression « angle mort » revient hanter le récit.
Je passais justement par là il y a quelques semaines. Rue de Bagnolet, juste à l’angle avec la rue des Pyrénées, c’est un de ces carrefours où tout va très vite : bus, livreurs, vélos, piétons. On sent que ça coince. Et pourtant, on continue à y rouler, parce que c’est le chemin le plus direct. Ce jour-là, ça a mal tourné.
Un accident qui aurait pu être évité ?
Vers 11 h 30, le cycliste et le camion circulaient tous les deux rue des Pyrénées. Les deux allaient tourner à droite rue de Bagnolet. Classique. Sauf que le cycliste s’est retrouvé exactement là où aucun miroir ne peut le voir : dans l’angle mort du poids lourd. Le camionneur démarre sa manœuvre, le vélo est happé. Le choc est d’une violence inouïe. Quand les secours arrivent, l’homme est déjà en arrêt cardio-respiratoire. Malgré les massages et le bouche-à-bouche d’un passant, il décède sur place.
« J’étais dans le bus 76, j’ai tout vu. Quelqu’un essayait de le ranimer. C’était horrible. »
Témoin présent sur place
Le conducteur en état de choc total
Le chauffeur, lui, est complètement bouleversé. Les tests d’alcool et de stupéfiants sont négatifs, mais il est transporté à l’hôpital en état de choc psychologique. Garde à vue, bien sûr, le temps de l’enquête, mais personne ne semble penser à une faute volontaire. Juste l’enchaînement fatal qu’on connaît trop bien.
Et franchement, on a tous vu ces camions de livraison tourner à droite sans vraiment ralentir. Parfois même en doublant légèrement le feu orange. Le cycliste, lui, avance tout droit dans sa bande cyclable ou sur la chaussée, persuadé d’être vu. Et boum.
Les angles morts, ce fléau qu’on n’arrive pas à éradiquer
On nous répète pourtant les chiffres : en Île-de-France, plus d’un tiers des cyclistes tués le sont par un poids lourd lors d’un virage à droite. C’est mécanique, presque mathématique. Plus le véhicule est haut et long, plus l’angle mort est énorme. Même avec six rétroviseurs et une caméra, il reste des zones où un vélo disparaît totalement.
- Un camion classique de 12 tonnes peut avoir un angle mort de plus de 10 mètres juste devant la cabine
- À droite, la zone morte commence dès 50 cm du véhicule et s’étend sur plusieurs mètres
- Les stickers « Attention angles morts » collés sur les portières ? Beaucoup de conducteurs les voient… après l’accident
Et pourtant, les solutions existent depuis des années. Des caméras 360°, des détecteurs de présence, des systèmes sonores qui bipe quand un cycliste est détecté… Mais leur installation reste facultative sur beaucoup de véhicules anciens. Résultat : on continue à compter les morts.
Paris, ville cyclable… mais jusqu’à quel point ?
Depuis quelques années, la mairie multiplie les coronapistes, les double-sens cyclables, les sas vélo aux feux. C’est bien. Vraiment. Mais dès qu’on sort des grands axes protégés, c’est la jungle. Rue de Bagnolet, la piste cyclable s’arrête net avant le carrefour. Le cycliste se retrouve alors coincé entre les voitures garées et les bus qui déboulent.
Et puis il y a la livraison. Amazon, Uber Eats, Chronopost, tous ces camions qui tournent sans arrêt dans les petites rues. On veut du colis en deux heures, mais on oublie que derrière chaque « livraison express » il y a un camion qui manœuvre dans un espace pas prévu pour lui.
« On sécurise soixante carrefours d’ici la fin de l’année, mais il y en a des milliers dans Paris. On court après le retard. »
Un élu du 20e arrondissement
Et nous, cyclistes, on fait quoi ?
Attention, je ne vais pas faire la morale. Mais quand même. Combien de fois je vois des collègues cyclistes griller le feu orange, se faufiler à droite d’un camion qui a déjà son clignotant… On se sent invincibles à vélo. Sauf qu’on ne l’est pas.
- Ne jamais se placer à droite d’un camion qui tourne
- Regarder le conducteur dans les yeux (s’il vous voit, il sait que vous êtes là)
- Éviter de dépasser un poids lourd à l’arrêt au feu
- Équiper son vélo de lumières puissantes, même en plein jour
Je sais, c’est dur à entendre quand on est pressé. Mais ce sexagénaire, lui aussi était sûrement pressé de rentrer chez lui.
Un drame qui n’est pas isolé
En 2024, déjà douze cyclistes tués à Paris et en petite couronne. En 2025, on est repartis sur les mêmes bases. Chaque fois, même scénario ou presque : virage à droite, angle mort, choc fatal. On pleure, on manifeste, on promet des mesures… et trois mois plus tard, rebelote.
Ce qui me frappe, c’est la banalité de ces drames. Pas de vitesse excessive, pas d’alcool, pas de folie. Juste la routine mortelle d’une grande ville où tout le monde veut aller vite.
Que peut-on espérer pour la suite ?
Il y a des pistes concrètes. Obliger les caméras de détection sur tous les poids lourds de plus de 3,5 tonnes qui entrent dans Paris. Interdire purement et simplement la livraison en camion dans certains quartiers aux heures de pointe. Développer les hubs logistiques en périphérie avec des cargos-vélos pour le dernier kilomètre (ça existe déjà, ça marche).
Mais surtout, il faut arrêter de penser la ville uniquement pour les voitures et les camions. Un cycliste n’est pas un obstacle. C’est un Parisien qui a choisi un mode de déplacement propre, rapide et sain. Il mérite mieux que de finir sous un camion.
Ce soir, quelque part dans le 20e, une famille apprend la nouvelle. Un fils, une fille, des petits-enfants qui ne comprendront jamais pourquoi papy n’est pas rentré. Et demain matin, des milliers de cyclistes remonteront sur leur vélo, avec cette boule au ventre qu’on connaît tous.
Alors oui, on peut parler technique, caméras, aménagements. Mais au fond, ce drame nous renvoie à une question simple : jusqu’à quand va-t-on accepter que rouler à vélo à Paris soit un sport à risque ?
(Article rédigé avec le respect dû aux victimes et à leurs proches. Pensées à la famille du cycliste décédé.)
