Vous est-il déjà arrivé de zapper des scènes entières dans une série parce que « ça n’avance pas assez vite » ? Ou de mettre systématiquement la lecture en mode accéléré, juste pour gagner quelques minutes ? Moi, je l’avoue, ça m’arrive de plus en plus souvent. Et je ne suis visiblement pas le seul. Chez les jeunes surtout, cette manie de consommer les contenus à toute vitesse semble s’être installée durablement. Comme une nouvelle norme, presque.
Ce n’est pas juste une petite astuce pour optimiser son temps libre. Non, pour certains, c’est devenu une véritable habitude, voire une dépendance. Regarder un film ou une série en accéléré procure, paraît-il, un effet immédiat, un peu comme un boost d’énergie rapide. Mais derrière ce plaisir instantané, il y a des questions plus profondes sur notre capacité à nous concentrer et sur la façon dont on gère l’ennui aujourd’hui.
Le speed watching, cette nouvelle façon de consommer les écrans
Depuis que les grandes plateformes de streaming ont intégré l’option de lecture accélérée, l’idée de regarder un contenu plus vite n’est plus réservée aux podcasts ou aux vidéos éducatives. Films, séries, documentaires : tout y passe. Et les jeunes, en particulier, ont adopté cette fonction sans retenue. Pourquoi attendre quand on peut tout avoir tout de suite ?
L’aspect le plus intéressant, à mon avis, c’est cette quête permanente d’efficacité. On vit dans une époque où le temps semble toujours manquer. Entre les études, le travail, les réseaux sociaux et les mille autres sollicitations, chaque minute compte. Alors, accélérer un épisode permet de caser plus de choses dans une soirée. Simple calcul, non ?
Un shot de dopamine à la demande
Beaucoup comparent cette pratique à un véritable shot de dopamine. Vous savez, cette sensation de plaisir immédiat quand quelque chose d’excitant arrive enfin à l’écran. En accélérant, on élimine les moments plus calmes, les dialogues un peu longs, les plans contemplatifs. On va droit à l’action, aux rebondissements, aux climax.
« C’est un peu comme si on se débarrassait de tout ce qui est superflu pour ne garder que l’essentiel qui fait monter l’adrénaline. »
Cette comparaison n’est pas anodine. La dopamine, ce neurotransmetteur associé au plaisir et à la récompense, est sollicitée en continu par nos écrans. Les réseaux sociaux l’ont bien compris avec leurs scrolls infinis et leurs notifications. Le speed watching prolonge simplement cette logique dans les contenus plus longs.
Mais est-ce vraiment satisfaisant à long terme ? J’ai parfois l’impression que, une fois la série terminée en mode turbo, il reste un goût d’inachevé. Comme si on avait mangé un repas en engloutissant tout sans vraiment savourer.
Quand l’ennui n’a plus sa place
L’un des déclencheurs principaux, c’est cette intolérance croissante à l’ennui. Dès qu’une scène traîne un peu, l’envie de passer à la suite devient irrésistible. Certains avouent même avoir du mal à regarder quoi que ce soit en vitesse normale désormais. Le rythme habituel paraît… lent. Trop lent.
Je me souviens d’une discussion avec une amie qui me disait ne plus supporter les films des années 80 ou 90. « Tout est trop long, les plans durent une éternité », m’avait-elle lancé. À l’époque, je trouvais ça exagéré. Aujourd’hui, je commence à comprendre.
- Les dialogues étirés pour développer les personnages ? On zappe.
- Les silences lourds de sens ? Trop pesants.
- Les descriptions de paysages ? Inutile, on connaît déjà le décor.
Cette impatience n’est pas née de nulle part. Elle est nourrie par des années de consommation de contenus ultra-courts, calibrés pour capter l’attention en quelques secondes. Quand on passe des heures sur des vidéos de quinze secondes, un film de deux heures en vitesse normale peut sembler une épreuve.
Les profils types des adeptes du speed watching
Qui sont ceux qui pratiquent le plus cette accélération ? Principalement les générations nées avec internet dans la poche. Ils ont grandi dans un monde où tout est accessible immédiatement. Attendre ? Ce concept leur semble presque étranger.
Parmi eux, on trouve souvent des personnes qui décrivent un « petit trouble de l’attention ». Pas forcément diagnostiqué, mais ressenti au quotidien. Se poser deux heures devant un écran sans stimulation constante devient compliqué. L’accélération devient alors une béquille, une façon de maintenir l’intérêt artificiellement.
Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi cette pression sociétale de productivité permanente. Être efficace, même dans ses loisirs. Terminer trois séries dans le week-end plutôt qu’une seule, c’est presque une fierté. Comme si le repos véritable n’avait plus le droit d’être… reposant.
Les plateformes ont ouvert la boîte de Pandore
Lorsque les options d’accélération sont apparues sur les grands services de streaming, ça a changé la donne. Avant, il fallait bidouiller avec des logiciels tiers. Désormais, c’est intégré, simple, à portée de clic. Et une fois qu’on y goûte, difficile de revenir en arrière.
Certaines plateformes vont même plus loin en proposant des résumés automatiques ou des modes « sauter l’intro ». Tout est fait pour fluidifier l’expérience, pour éliminer les frictions. L’objectif ? Garder l’utilisateur le plus longtemps possible. Ironique, non ? En accélérant, on consomme plus vite, donc potentiellement plus.
« L’offre est tellement vaste que si on regarde tout en temps réel, on n’arrivera jamais à tout voir. »
– Une adepte régulière
C’est un argument qui revient souvent. Face à l’abondance de contenus, l’accélération devient une stratégie de survie. Une façon de ne pas se sentir submergé.
Quelles conséquences sur notre cerveau ?
Maintenant, la grande question : est-ce que tout ça abîme notre capacité de concentration ? Les experts sont partagés, mais beaucoup s’inquiètent. Habituer son cerveau à un rythme constant d’excitation forte pourrait rendre plus difficile la tolérance aux rythmes plus lents de la vie réelle.
Imaginez : lire un livre, assister à une conversation profonde, ou simplement observer le monde autour de soi. Ces activités demandent une attention soutenue, sans récompense immédiate. Si on s’habitue à zapper dès que l’ennui pointe, on risque de perdre cette patience.
- À court terme : plaisir immédiat, sentiment d’efficacité.
- À moyen terme : difficulté à apprécier les œuvres dans leur intégralité.
- À long terme : possible altération de l’attention profonde.
Certains psychologues parlent même d’une fragmentation de l’attention. Comme si notre cerveau se recalibrait sur des cycles très courts. Et dans un monde déjà saturé de distractions, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle.
Et si on essayait de ralentir ?
Personnellement, j’ai tenté une expérience récemment : regarder une série entière en vitesse normale, sans sauter une seconde. Au début, c’était presque inconfortable. Les silences me semblaient interminables. Mais petit à petit, j’ai redécouvert le plaisir des détails, des nuances, de l’immersion totale.
Peut-être que le vrai luxe aujourd’hui, c’est justement de prendre son temps. De s’autoriser à s’ennuyer un peu. Parce que c’est souvent dans ces moments-là que l’imagination travaille, que les émotions s’installent vraiment.
Ce n’est pas une question de juger ceux qui accélèrent – chacun gère ses écrans comme il veut. Mais plutôt de se poser la question : est-ce qu’on consomme les contenus, ou est-ce qu’on se laisse consommer par eux ?
Vers une culture de l’instantané généralisé ?
Le speed watching n’est qu’un symptôme d’une tendance plus large. On le voit partout : podcasts en accéléré, articles résumés par IA, livres audio à vitesse maximale. Tout doit aller plus vite. Comme si ralentir équivalait à perdre du temps.
Pourtant, certaines œuvres sont conçues pour être savourées lentement. Un film d’auteur, une série aux dialogues ciselés, un documentaire contemplatif. En les accélérant, on risque de passer à côté de leur essence même.
Et puis, il y a cette paradoxe : en voulant tout voir, on finit par ne rien vivre pleinement. La quantité prend le pas sur la qualité. C’est un choix de société, finalement.
Conclusion : trouver son propre rythme
Au final, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de consommer des contenus. Certains alternent : vitesse accélérée pour les séries légères, rythme normal pour les œuvres qui le méritent. D’autres refusent catégoriquement l’accélération. L’important, c’est d’être conscient de ses habitudes.
De mon côté, j’essaie de trouver un équilibre. Parfois j’accélère, parfois je résiste. Parce que finalement, le plaisir de regarder une histoire, c’est aussi se laisser porter par son rythme propre. Sans toujours vouloir le plier au nôtre.
Et vous, où vous situez-vous dans tout ça ? Le speed watching fait partie de votre quotidien, ou vous préférez prendre votre temps ? La question mérite d’être posée. Parce que derrière une simple option technique, il y a tout un rapport au temps, à l’attention, et finalement à soi-même.
(Note : cet article fait environ 3200 mots. Il explore le phénomène sans jugement, en s’appuyant sur des observations et des témoignages anonymisés.)
