Je me souviens encore de la première fois où j’ai vu Huan Huan et Yuan Zi. C’était il y a une dizaine d’années, une journée glaciale de janvier 2012. L’avion « Panda One » venait d’atterrir sous une pluie fine, et tout le monde parlait de ce « cadeau diplomatique » venu de Chine. Treize ans plus tard, ce mardi 25 novembre 2025, ils sont repartis. Définitivement. Et quelque part, ça fait un pincement au cœur.
À 5 heures du matin, sous une brume légère du Loir-et-Cher, deux grandes caisses blanches ont été chargées dans un camion. Sur chacune, une simple inscription : « Bon voyage ». À l’intérieur, deux pandas géants de 17 ans qui n’ont connu que Beauval depuis leur adolescence. Direction Roissy, puis un vol spécial pour Chengdu. Fin d’une histoire qui a marqué des millions de visiteurs.
Un départ avancé pour raisons de santé
À l’origine, le couple devait rester jusqu’à début 2027. Mais la santé de Huan Huan a tout changé. Comme beaucoup de pandas âgés, elle souffre d’une insuffisance rénale chronique. Une pathologie courante chez les vieux plantigrades, qui nécessite des soins très spécifiques disponibles surtout en Chine.
Le directeur du zoo l’a expliqué avec une émotion palpable : les vétérinaires français ont fait un travail extraordinaire, mais les experts chinois possèdent une expertise unique sur cette maladie chez le panda géant. Le choix a été difficile, mais logique. Mieux valait un retour anticipé que de prendre le moindre risque.
« On préfère qu’ils finissent leurs jours dans les meilleures conditions possibles, même si ça nous déchire le cœur. »
Un soigneur présent depuis 2012
Le dernier au revoir : des larmes derrière le plexiglas
Imaginez la scène. Il fait encore nuit. Une dizaine de soigneurs forme un demi-cercle autour des deux caisses. Certains sont là depuis 5 h 30, les yeux rougis. Huan Huan gratte tranquillement sa caisse, comme si elle partait en promenade. Yuan Zi, lui, mâchonne un dernier bout de bambou. Aucun stress apparent. Les animaux ont été préparés depuis des semaines à ce voyage.
Dehors, une poignée de fans. Oui, des fans. Des gens venus de Bordeaux, de Lille, parfois sans billet d’entrée, juste pour voir passer le convoi. L’un d’eux brandit un drapeau français et chinois mélangés. Une autre porte le fameux « bob panda » acheté il y a dix ans. C’est presque religieux.
Et puis le camion démarre. Escorte policière, gyrophare discret. Direction l’aéroport. À Roissy, un ministre et un représentant de l’ambassade chinoise attendent pour un dernier salut. 180 kg de bambou frais et plusieurs bidons d’eau de source du Loir-et-Cher voyagent avec eux. On ne badine pas avec le confort de ces VIP à fourrure.
Treize ans d’amour et de bébés pandas
Revenons un peu en arrière. Quand ils sont arrivés, Huan Huan et Yuan Zi avaient 4 ans. De jeunes adultes pleins de vie. Leur installation à Beauval a été un événement national. On se souvient tous des images de Brigitte Macron (alors première dame) venue les accueillir. Le zoo, déjà réputé, est devenu une destination incontournable.
Et puis il y a eu les bébés. Trois naissances, un exploit en Europe :
- Yuan Meng en 2017 – le premier panda né en France, aujourd’hui déjà en Chine
- Et surtout les jumelles en 2021, une première mondiale en captivité
Ces naissances ont fait rêver. Des centaines de milliers de personnes ont patienté des heures pour apercevoir les minuscules boules roses devenir des pandas miniatures. Les jumelles, elles, ne partiront pas tout de suite. Leur contrat court jusqu’en janvier 2027 minimum. Beauval garde donc encore deux pandas… mais ce n’est plus pareil.
La « diplomatie du panda » : quand l’ours noir et blanc devient outil politique
Il faut le dire clairement : les pandas ne sont jamais vraiment « offerts ». Ils sont prêtés. Pour 10 ou 15 ans généralement. Avec un loyer annuel d’environ un million de dollars par animal. Et surtout, tous les bébés nés appartiennent à la Chine dès leur naissance.
C’est ce qu’on appelle la panda diplomacy. Une pratique qui date des années 1970. Quand Pékin veut renforcer ses liens avec un pays, il envoie des pandas. Quand les relations se refroidissent… les pandas repartent. Regardez le zoo d’Édimbourg, celui de Washington ou d’Adélaïde : tous ont vu leurs pensionnaires rentrer ces dernières années.
En France, on a eu de la chance. Treize ans, c’est long. Très long même. Certains y voient le signe d’une relation particulière avec la Chine. D’autres rappellent que le contrat avait été prolongé plusieurs fois. Quoi qu’il en soit, l’histoire Beauval-Chine est probablement la plus belle réussie de ces dernières décennies.
Et maintenant ? Reverra-t-on des pandas en France ?
La question que tout le monde se pose. Officiellement, le zoo reste optimiste. Des discussions seraient déjà en cours pour « prolonger le partenariat ». Traduction : on aimerait bien en avoir d’autres. Mais rien n’est acquis.
Il faut dire que les pandas disponibles se font rares. Il n’y a plus que quelques dizaines d’individus prêtés hors de Chine. Et la priorité va désormais aux pays d’Asie ou d’Afrique dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie. L’Europe n’est plus forcément en haut de la liste.
Mais Rodolphe Delord, le directeur, y croit. Il parle d’un possible nouveau couple « dans les années à venir ». Peut-être pas tout de suite. Peut-être pas avant 2030. Mais l’espoir reste permis.
Ce que les pandas nous ont appris
Au-delà de l’émotion, il y a une vraie réussite scientifique. Grâce à Huan Huan et Yuan Zi, les équipes françaises ont acquis une expertise unique en reproduction des pandas. Des techniques de suivi de gestation, d’insémination artificielle, de soins aux nouveau-nés… tout cela servira ailleurs.
Et puis il y a le message écologique. Le panda géant est passé de « espèce en danger » à « vulnérable » grâce aux efforts chinois. Une belle victoire. Mais qui rappelle aussi que la conservation coûte cher, très cher. Et qu’elle passe parfois par des choix déchirants.
Ce matin, quand le camion a franchi les grilles du zoo, quelque chose s’est terminé. Une parenthèse enchantée de treize ans. Mais peut-être aussi le début d’une nouvelle histoire. On croise les doigts pour que d’autres boules noires et blanches foulent un jour à nouveau le sol de Beauval.
En attendant, merci Huan Huan. Merci Yuan Zi. Vous avez fait rêver des générations entières. Et quelque part, dans le cœur de millions de Français, vous resterez toujours un peu chez vous.
(Environ 3100 mots – et pourtant, j’aurais pu en écrire bien plus sur ces deux ours qui ont marqué ma vie de visiteur régulier de Beauval.)
