Vous est-il déjà arrivé de quitter votre bureau le soir, fatigué mais satisfait de votre journée, et de vous dire que la routine allait reprendre tranquillement jusqu’au lendemain ? La plupart d’entre nous, oui. Lui, non. Pas ce lundi-là.
Dans une zone d’activités calme près de Nîmes, un chef d’entreprise bien connu localement sort de ses locaux vers 19 heures. Il monte dans sa Porsche, comme tous les jours. Sauf que cette fois, trois ombres surgissent. Cagoules, gants, armes de poing. En quelques secondes, la vie bascule.
Une attaque éclair et parfaitement préparée
On parle souvent de home-jacking version luxe. Le scénario est rodé, presque militaire dans son exécution. Les malfaiteurs connaissent l’heure de sortie, la voiture, l’adresse personnelle. Rien n’est laissé au hasard. Ils forcent la victime à reprendre le volant et à les conduire chez lui, arme pointée sur la tempe.
Chez lui, l’horreur continue. Le fils, jeune adulte, se retrouve lui aussi sous la menace. Les agresseurs savent exactement ce qu’ils viennent chercher : une collection de montres haut de gamme estimée à près d’un million d’euros. Une dizaine de pièces rares qui disparaissent en quelques minutes.
Puis la touche finale, celle qui marque les esprits : ils aspergent la victime d’eau de Javel au visage – une pratique de plus en plus courante pour brûler les yeux et empêcher toute poursuite immédiate – avant de repartir avec la Porsche. Le véhicule sera retrouvé calciné une heure plus tard sur une petite route de campagne.
La violence gratuite qui choque
Ce qui frappe dans ce dossier, au-delà du butin, c’est la brutalité. Coups au visage, menaces sur le fils, produit chimique… On ne parle plus seulement de vol, mais d’une forme de torture éclair. Et pourtant, d’après les premiers éléments, la victime n’aurait pas de contentieux particulier connu. Juste un entrepreneur qui a réussi et qui, comme d’autres avant lui, porte visiblement trop bien sa réussite.
« On a l’impression qu’ils prennent plaisir à faire mal. Le million d’euros, c’est presque accessoire. »
Un proche du milieu des enquêtes criminelles dans la région
Cette phrase, entendue plusieurs fois ces derniers mois, résume bien le sentiment ambiant. On passe d’un vol « propre » à une agression où l’humiliation et la souffrance semblent faire partie du cahier des charges.
Un phénomène qui s’étend bien au-delà du Gard
Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Depuis deux ou trois ans, les forces de l’ordre constatent une nette augmentation de ce type d’attaques ciblées contre des professions libérales, des chefs d’entreprise ou des personnalités fortunées du sud de la France.
- Des bijoutiers braqués à leur domicile (Alpes-Maritimes, Var)
- Des notaires ou médecins séquestrés (Hérault, Bouches-du-Rhône)
- Des collectionneurs de montres ou de vins rares visés spécifiquement
Le mode opératoire revient souvent : repérage long, parfois plusieurs semaines, utilisation des réseaux sociaux pour identifier les signes extérieurs de richesse (photos de voitures, voyages, événements mondains), puis action rapide et violente.
Ce qui change, et qui inquiète particulièrement les enquêteurs, c’est le niveau de préparation. On n’est plus face à des petits délinquants locaux, mais à des équipes structurées, mobiles, parfois venues d’autres régions voire d’autres pays.
Le business juteux des montres de luxe volées
Pourquoi les montres ? Tout simplement parce que c’est l’un des butins les plus rentables au kilo. Une Rolex Daytona ou une Patek Philippe peut se revendre entre 50 000 et 300 000 euros pièce sur le marché parallèle, sans laisser beaucoup de traces.
Et contrairement aux bijoux qui peuvent être refondus, une montre de collection garde sa valeur tant qu’elle reste en état. Il existe même un marché noir spécialisé, avec des receleurs capables d’écouler ces pièces en Asie ou au Moyen-Orient en quelques jours.
D’après certains experts, le trafic de montres haut de gamme représenterait plusieurs centaines de millions d’euros par an rien qu’en Europe. Et la demande ne faiblit pas.
Les victimes prises entre choc et silence
Ce que l’on sait moins, c’est le traumatisme profond que laissent ces agressions. Beaucoup de victimes refusent d’en parler publiquement, par peur des représailles ou tout simplement parce qu’elles se sentent coupables d’avoir « montré » leur réussite.
J’ai échangé avec plusieurs d’entre elles ces dernières années. Le même schéma revient : cauchemars, angoisse à chaque bruit la nuit, vente de la maison, parfois même départ de la région. Un prix psychologique énorme, bien au-delà de la valeur du butin.
« On ne se sent plus jamais en sécurité. Même avec des alarmes, des chiens, des caméras… Ils reviendront toujours plus déterminés. »
Une victime d’un home-jacking similaire en 2023
Que font les autorités face à cette vague ?
L’enquête a été confiée à la section de recherche, signe que l’on prend l’affaire très au sérieux. Mais soyons honnêtes : retrouver les auteurs dans ce genre de dossier relève souvent du miracle. Pas de traces ADN exploitables (gants, cagoules), voiture brûlée, téléphones jetables… Tout est fait pour compliquer le travail des enquêteurs.
Du côté prévention, certaines mairies commencent à organiser des réunions avec les chefs d’entreprise locaux. On parle de discretisation sur les réseaux sociaux, de systèmes d’alarme connectés directement aux forces de l’ordre, voire de services de sécurité privés.
Mais la question de fond reste posée : jusqu’à quand va-t-on accepter que réussir professionnellement devienne un facteur de risque aussi concret ?
Et nous, que peut-on en tirer ?
Au-delà de l’effroi que provoque cette affaire, elle nous renvoie à nos propres comportements. Cette photo de la nouvelle montre postée sur Instagram, ce story où l’on montre l’intérieur de la villa, cette plaque d’immatriculation visible sur une storie géolocalisée… Tout cela constitue une mine d’or pour ceux qui préparent leurs coups.
Je ne dis pas qu’il faut vivre caché. Mais peut-être qu’une certaine forme de discrétion 2.0 devient simplement une question de survie dans certaines régions.
Quant à l’entrepreneur agressé lundi soir, il est vivant. Traumatisé, brûlé chimiquement, choqué, mais vivant. Et c’est déjà beaucoup quand on voit jusqu’où certains sont prêts à aller.
Cette histoire nous glace le sang parce qu’elle pourrait arriver à n’importe qui ayant un peu réussi. Et parce qu’elle nous rappelle cruellement que la violence, parfois, ne frappe pas au hasard.
Prenez soin de vous. Et peut-être, juste pour ce soir, vérifiez que votre portail est bien fermé.
