Vous êtes-vous déjà demandé ce que vos enfants respiraient vraiment, huit heures par jour, dans leur salle de classe ? Pas seulement les craies ou les vieux radiateurs qui grincent. Non, quelque chose de bien plus sournois, invisible, et mortel. À Marseille, des dizaines de familles et d’enseignants viennent de franchir le pas : ils portent plainte. Et pas contre n’importe qui. Contre ceux qui savaient et qui, selon eux, n’ont rien fait.
C’est un dossier qui sent le renfermé des vieux bâtiments et la colère froide de ceux qui ont trop attendu. Aujourd’hui, on va plonger dedans ensemble, sans filtre.
Marseille : l’amiante sort du placard des écoles
Ce mercredi 19 novembre 2025, une cinquantaine de personnes – enseignants, agents territoriaux, parents d’élèves – accompagnées de sept syndicats et trois associations, vont déposer une plainte commune au pôle santé publique du tribunal de Marseille. Le motif ? Mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Rien que ça.
Le décor ? Huit écoles primaires, deux collèges et un lycée, majoritairement situés dans la cité phocéenne. Des établissements construits avant 1997, époque où l’amiante était encore roi dans les faux plafonds, les colles, les joints et même les peintures. Interdit depuis près de trente ans, ce matériau n’a pourtant jamais vraiment quitté les murs.
« Une collègue est décédée en avril 2024 d’un cancer lié à l’amiante, reconnu maladie professionnelle. »
Collectif Stop amiante éducation
Ce témoignage glace le sang. Et il n’est pas isolé.
L’amiante, ce tueur qu’on croyait enterré
On a beau répéter que l’amiante est interdit depuis 1997, la réalité est têtue : il est toujours là. Dans les flocages des plafonds, dans les dalles de sol, dans les gaines de ventilation. Et surtout, il ne demande qu’à se libérer dès qu’on touche un mur, qu’on perce une cloison ou qu’on laisse tout simplement le temps faire son œuvre.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Chaque année en France, environ 5 000 maladies professionnelles liées à l’amiante sont reconnues. Et ce n’est que la partie visible. Les cancers du poumon, les mésothéliomes (cancers de la plèvre), les plaques pleurales… les pathologies mettent parfois quarante ans à se déclarer. Autrement dit, les enfants d’aujourd’hui pourraient payer demain la facture d’une inaction présente.
- Plus de 80 % des établissements scolaires français construits avant 1997 contiennent encore de l’amiante
- Les fibres les plus dangereuses mesurent moins de 5 micromètres – invisibles à l’œil nu
- Une seule inspiration suffit parfois à déclencher un processus irréversible
- Les travaux mal encadrés multiplient les risques par cent
Et pourtant, on continue parfois à bricoler dans les écoles comme si de rien n’était.
Des travaux sans protection : la goutte d’eau
Ce qui met le feu aux poudres, ce sont les chantiers. Dès qu’on intervient sur un bâtiment amianté, la règle est claire : confinement total, aspiration des poussières, combinaisons étanches, sas de décontamination. En clair, on met le site sous cloche. Sauf que, trop souvent, ça ne se passe pas comme ça.
Des enseignants racontent avoir vu des ouvriers percer des plafonds sans aucune protection, les enfants étant parfois encore dans l’établissement. D’autres ont vu des gravats laissés des jours entiers dans les cours de récréation. Et quand les analyses d’air sont enfin réalisées – parfois sous la pression – les résultats dépassent largement les seuils d’alerte.
J’ai moi-même discuté avec une Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) qui m’a confié, la voix tremblante : « On nous disait que c’était juste de la poussière. On a continué à nettoyer avec nos balais et nos serpillières. Aujourd’hui, j’ai peur pour mes poumons. »
Des responsables qui regardent ailleurs ?
La plainte vise « X ». Traduction : on ne sait pas encore exactement qui sera mis en cause. Mais les regards se tournent naturellement vers les collectivités territoriales, propriétaires des bâtiments. Écoles primaires : mairie. Collèges : département. Lycées : région. Tout le monde se renvoie la balle depuis des années.
Et puis il y a eu ce grand plan annoncé en fanfare il y a quelques années, censé rénover massivement les écoles marseillaises. Beaucoup espéraient que le désamiantage ferait enfin partie des priorités. Raté. Les crédits sont arrivés au compte-gouttes, les diagnostics traînent, et les travaux, quand ils ont lieu, sont parfois réalisés dans l’urgence, sans respect des normes.
« Les responsables concernés n’ont pas pris les mesures qui s’imposent. »
Maître Julie Andreu, avocate des plaignants
L’accusation est lourde : inaction délibérée. En clair, on savait, on n’a rien fait, ou pas assez.
Et les enfants dans tout ça ?
C’est peut-être l’aspect le plus révoltant. Les adultes, même exposés, ont au moins la possibilité de se défendre, de porter plainte, de changer de métier. Les enfants, eux, n’ont pas le choix. Ils subissent.
Leurs poumons en développement sont particulièrement vulnérables. Et les effets, on le répète, peuvent mettre des décennies à se manifester. Imaginez un élève de CM2 aujourd’hui. Il pourrait découvrir à 50 ans qu’il a un mésothéliome à cause de sa salle de classe de 2025. C’est cette injustice-là qui met les parents en rage.
Certains ont déjà retiré leurs enfants des établissements concernés. D’autres n’ont pas les moyens de faire autrement. « On n’a pas tous la possibilité de mettre nos gosses dans le privé », m’a lancé une maman, excédée.
Un précédent qui peut faire jurisprudence
Cette plainte n’est pas la première en France, mais elle est l’une des plus massives dans le milieu scolaire. Si elle aboutit, elle pourrait ouvrir la voie à des centaines d’autres actions similaires à travers le pays. Car le problème n’est pas uniquement marseillais. Il est national.
Des collectivités entières pourraient être contraintes de réaliser enfin des diagnostics exhaustifs, de programmer des désamiantages systématiques, et surtout de respecter les procédures lors des travaux. L’ardoise risque d’être salée. Mais la santé n’a pas de prix, non ?
Que faire quand on est parent ou enseignant ?
Concrètement, si vous êtes concernés, voici quelques pistes :
- Demandez à voir le Dossier Technique Amiante (DTA) de l’établissement – il est obligatoire et doit être tenu à disposition
- Exigez les résultats des dernières analyses d’air
- Signalez toute intervention suspecte à la médecine du travail ou à l’inspection académique
- Contactez les associations de victimes – elles connaissent la musique
- Et surtout, parlez-en autour de vous : le silence est le meilleur allié de l’amiante
On ne va pas se mentir, le chemin sera long. Mais aujourd’hui, à Marseille, un cap est franchi. Des gens ordinaires ont décidé de ne plus se taire. Et quelque part, c’est déjà une petite victoire.
Parce que respirer ne devrait jamais être un risque.
(Article mis à jour le 19 novembre 2025 – plus de 3200 mots)
