Vous vous souvenez quand on nous répétait « les antibiotiques, c’est pas automatique » ? J’ai l’impression que cette petite phrase a fini aux oubliettes. Parce que, franchement, les chiffres qui viennent de tomber font froid dans le dos.
En 2024, la consommation et prescriptions d’antibiotiques ont littéralement explosé en France. On parle d’une hausse de plus de 5 % en un an. Et on reste solidement installés sur la deuxième marche du podium européen, juste derrière la Grèce. Autant dire qu’on n’est pas près de gagner la médaille du bon élève.
Un rebond qui casse vingt ans d’efforts
Depuis le début des années 2000, la France menait une bataille acharnée contre la surprescription. Campagnes choc, spots télé, affiches dans les cabinets médicaux… On avait fini par voir les courbes descendre doucement mais sûrement. Le Covid avait même donné un coup de pouce inattendu : moins de consultations, moins de prescriptions.
Et puis 2024 est arrivé. Bam. Tout est reparti à la hausse. Plus de 860 prescriptions pour 1 000 habitants. Quatre Français sur dix se sont vu délivrer au moins une boîte dans l’année. C’est énorme quand on sait que l’objectif fixé pour 2027 est de descendre sous les 650.
Autrement dit, on s’éloigne à grands pas de la cible au lieu de s’en rapprocher. Et ça, ça commence sérieusement à inquiéter les spécialistes.
L’hiver 2023-2024, le grand coupable ?
L’explication la plus souvent avancée, c’est l’hiver particulièrement costaud qu’on a connu. Grippe, bronchiolite, gastro, tout y est passé. Les cabinets médicaux étaient pleins à craquer. Et quand un patient tousse depuis dix jours et que la grand-mère au téléphone insiste, beaucoup de médecins craquent et sortent l’ordonnance.
Le problème ? 90 % de ces infections hivernales sont virales. Les antibiotiques n’y font rien. Absolument rien. Mais ils continuent d’être prescrits « au cas où » ou pour rassurer tout le monde. Résultat : des millions de boîtes inutiles avalées chaque année.
« Une infection virale qui dure, ça peut faire peur. Mais prescrire un antibiotique, c’est comme donner un parapluie quand il pleut dans le salon : ça ne sert à rien et ça peut même abîmer le parquet. »
– Un infectiologue que j’ai croisé récemment
Les généralistes en première ligne
Ce sont eux qui portent l’essentiel de la hausse : +6,2 % de prescriptions en 2024. Les spécialistes suivent aussi la tendance (+1,5 %). Seuls les dentistes restent quasiment stables.
Je trouve ça intéressant, parce que les dentistes ont été les premiers à vraiment changer leurs pratiques il y a dix ans. Aujourd’hui, ils prescrivent beaucoup moins systématiquement après une extraction ou un détartrage. Preuve que quand on veut, on peut.
- Les enfants de 0-4 ans : stabilisation globale, mais explosion au 3e trimestre avec les épidémies
- Les plus de 65 ans : nette augmentation, souvent liée à des infections urinaires ou pulmonaires
- Les femmes : toujours plus prescrites que les hommes (cystites, notamment)
- Les régions du Sud (Corse, PACA) : records absolus, probablement à cause d’une population âgée et d’une forte densité médicale
L’antibiorésistance, la bombe à retardement
On en parle depuis des années, mais là, on touche vraiment le mur. Chaque année, l’antibiorésistance cause déjà plus de 5 500 décès en France. Et le chiffre grimpe partout dans le monde.
Quand on prend des antibiotiques pour rien, on sélectionne les bactéries les plus résistantes. Un jour, une simple infection urinaire ou une plaie peut devenir impossible à traiter. L’OMS parle même d’un possible retour à l’ère pré-antibiotiques d’ici quelques décennies si on ne fait rien.
Et le pire, c’est que les laboratoires n’ont presque plus de nouvelles molécules en réserve. Le dernier grand antibiotique date de… 1987. Depuis, presque rien. Trop cher, pas assez rentable. Charmant.
Des solutions qui existent… mais qu’on n’utilise pas assez
Il y a pourtant des outils géniaux qui traînent dans les tiroirs.
- Les tests de diagnostic rapide pour angine (TROD angine) : 5 minutes en cabinet, on sait si c’est bactérien ou viral. Résultat ? Jusqu’à 50 % de prescriptions en moins quand ils sont bien utilisés.
- Les tests pour cystite : même principe, on évite de traiter à l’aveugle.
- La vente à l’unité (testée dans certains départements) : le patient prend exactement le nombre de comprimés nécessaires, pas toute la boîte.
- La formation continue des médecins et la pression des pairs : dans les régions où on suit les prescriptions de près, ça baisse vite.
Mais soyons honnêtes : combien de cabinets sont équipés de TROD ? Pas assez. Combien de patients acceptent de repartir sans rien quand le test est négatif ? Pas assez non plus.
Et nous, dans tout ça ?
Parce que oui, le patient a aussi sa part de responsabilité. J’ai souvent entendu « Docteur, vous êtes sûr que sans antibiotiques ça va passer ? ». Ou pire : « L’an dernier, ça m’avait guéri en deux jours » (spoiler : c’était le système immunitaire qui bossait, pas l’amoxicilline).
Il faudrait réapprendre à vivre avec un rhume qui dure huit jours. À accepter que la fièvre, parfois, c’est utile. À comprendre que tousser une semaine, ce n’est pas forcément une pneumonie.
Et surtout, arrêter de garder les restes de boîte « au cas où ». Jeter les antibiotiques non terminés, c’est pas du gâchis, c’est de la sécurité collective.
Vers un sursaut collectif ?
Les autorités sanitaires le disent elles-mêmes : il va falloir reprendre « le bâton de pèlerin ». Re-sensibiliser. Re-former. Re-contrôler. Et surtout, arrêter de croire que la pilule magique existe pour tout.
Parce que si on continue comme ça, dans dix ou vingt ans, une opération de l’appendicite pourra redevenir mortelle. Une prothèse de hanche, un accouchement par césarienne, une chimiothérapie… tout ce qu’on considère aujourd’hui comme « routine » pourrait redevenir extrêmement risqué.
Alors la prochaine fois que vous irez chez le médecin avec 38,5 °C et le nez qui coule, posez-vous la question : est-ce que j’ai vraiment besoin d’antibiotiques ? Et si la réponse est non… acceptez-le. Votre corps vous dira merci. Et la société aussi.
Parce qu’en matière d’antibiorésistance, il n’y a pas de plan B.
Et vous, vous avez déjà refusé une prescription d’antibiotiques ? Ou au contraire, vous avez déjà insisté pour en avoir ? Racontez-moi en commentaire, j’ai vraiment envie de savoir où on en est collectivement sur ce sujet.
