Vous souvenez-vous de ces nuits interminables à l’Assemblée où tout le monde retenait son souffle en attendant de savoir si le gouvernement allait dégainer le 49.3 ? Moi oui. Et figurez-vous que, cinq ans après avoir quitté l’Élysée, François Hollande vient de remettre une pièce dans la machine.
Le retour du fantôme du 49.3
Mercredi matin, sur un plateau télé, l’ancien président, aujourd’hui simple député de Corrèze, a glissé une phrase qui n’a l’air de rien mais qui change tout : « Il ne faut jamais se priver pour toujours d’une disposition constitutionnelle. » Traduction : oui, le 49.3 reste une arme légitime, même dans le contexte actuel.
Pour ceux qui auraient hiberné ces dernières années, rappelons que le gouvernement actuel a fait une promesse solennelle : pas de 49.3 pour faire passer le budget 2026. Un engagement pris pour obtenir le soutien (ou du moins l’abstention) des socialistes lors du vote de confiance. Sauf que, depuis, le texte des recettes a été rejeté à l’Assemblée et le Sénat est en train de tout détricoter. Autrement dit, on file droit dans le mur.
« Si on disait qu’on s’en priverait pour toujours, oui ce serait une erreur. »
François Hollande, novembre 2025
Pourquoi cette sortie est tout sauf anodine
D’abord parce que Hollande n’est pas n’importe qui. Il a utilisé le 49.3 à plusieurs reprises pendant son quinquennat – notamment pour la loi El Khomri et la loi Macron – et il assume parfaitement. Il connaît donc le goût amer que cela laisse, mais aussi son efficacité brutale quand plus rien ne passe.
Ensuite parce que, dans la configuration actuelle, les socialistes sont devenus les arbitres du jeu. Sans eux, pas de majorité possible. Et Hollande, même s’il n’est plus premier secrétaire, reste une voix qui porte au sein du groupe. Quand il parle, on écoute. Surtout quand il ouvre une porte que tout le monde croyait fermée à double tour.
Enfin parce que cette déclaration arrive au pire moment pour le gouvernement. La porte-parole a beau répéter après chaque Conseil des ministres que le 49.3 n’est « évidemment pas une solution », la réalité budgétaire rattrape la rhétorique. On parle quand même d’un trou de plusieurs dizaines de milliards à combler d’ici la fin de l’année.
Le 49.3, cet outil qu’on adore détester
Revenons deux minutes sur ce fameux article 49, alinéa 3. En gros, il permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte. Si aucune motion de censure n’est votée dans les 24 heures, le texte est considéré comme adopté. Sans débat final, sans vote. Radical.
- Depuis 1958, il a été utilisé plus de 100 fois
- Sous Hollande : 6 fois (dont 3 pour la seule loi Macron)
- Sous Macron (2017-2022) : 10 fois rien que pour les budgets
- Depuis 2022 : arme principale pour faire passer les budgets sans majorité absolue
On le traite de déni de démocratie, de passage en force, de coup d’État légal… Et pourtant, il est dans la Constitution. Et tous les gouvernements minoritaires ou fragiles y ont recours tôt ou tard. C’est presque une tradition française.
Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’on avait cru comprendre que cette fois serait différente. Que le « nouveau monde » allait enfin respecter le Parlement. Promesse tenue… jusqu’à présent.
Le piège tendu aux socialistes
Regardez bien la situation. Le gouvernement dit : « Pas de 49.3, parole d’honneur. » Les socialistes applaudissent, se félicitent d’avoir obtenu cette victoire symbolique. Et maintenant ? Maintenant que le budget patine sérieusement, certains à gauche commencent à murmurer que, finalement, un petit 49.3 bien placé éviterait le chaos.
Et qui murmure le plus fort ? François Hollande. L’homme qui, en 2016, avait assumé jusqu’au bout l’usage du 49.3 malgré les manifestations. Il connaît la musique. Il sait qu’à un moment, la responsabilité finit par l’emporter sur les principes.
Du côté de la France insoumise, on crie déjà au scandale. On accuse Hollande d’être le « poisson pilote » qui prépare le terrain à un compromis honteux avec le pouvoir. Peut-être. Mais on peut aussi y voir une forme de réalisme cru : mieux vaut un budget adopté par 49.3 qu’aucun budget du tout.
Et si le 49.3 revenait par la fenêtre ?
Imaginons le scénario. Les négociations achoppent. Le Sénat renvoie un texte complètement remodelé. L’Assemblée le rejette à nouveau. On arrive début décembre, les administrations commencent à paniquer sans crédits votés. À ce moment-là, même les plus farouches défenseurs du « plus jamais de 49.3 » pourraient commencer à trouver des vertus à l’outil constitutionnel.
Et là, Hollande aura eu raison avant tout le monde. Il aura préparé le terrain psychologiquement. Il aura dédramatisé. Il aura rappelé que, parfois, gouverner c’est choisir le moins pire.
« Il serait mieux que le Parlement s’entende et vote. Mais si ça ne marche pas… »
Le sous-texte de François Hollande
Car c’est bien ça le message caché : préférez le compromis, mais ne vous privez pas de l’arme ultime si le compromis échoue.
Une leçon de pragmatisme politique
Ce qui me frappe dans cette sortie, c’est son côté presque désabusé. Hollande ne fanfaronne pas. Il ne défend pas le 49.3 avec enthousiasme. Il dit simplement : c’est là, ça existe, ça peut servir. Point.
C’est la voix de l’expérience. Celle d’un homme qui a connu les joies du 49.3 (ça passe) et les galères (on te le reproche pendant dix ans). Il sait que dans six mois, personne ne se souviendra si le budget est passé avec ou sans vote, mais tout le monde se souviendra s’il n’est pas passé du tout.
Et quelque part, c’est assez rafraîchissant dans le paysage politique actuel. À force de promesses absolues et de lignes rouges infranchissables, on en oublie que la politique est l’art du possible. Hollande, lui, ne l’a pas oublié.
Vers un 49.3 « à la carte » ?
On pourrait même imaginer un scénario encore plus tordu : le gouvernement utilise le 49.3… mais seulement sur une partie du budget. Ou alors il menace de le faire pour forcer un dernier compromis. Ce serait du grand art.
Après tout, rien n’empêche, constitutionnellement, de revenir sur un engagement politique. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, disait l’autre.
Et si demain les socialistes, après avoir écouté Hollande, finissent par souffler à l’oreille du gouvernement : « Bon, si vraiment ça coince, on ne déposera pas de motion de censure »… Alors le 49.3 reviendra, ni vu ni connu, avec la bénédiction de ceux qui l’avaient enterré.
Ce serait cynique ? Sans doute. Réaliste ? Totalement.
Parce qu’au fond, la question n’est pas de savoir si le 49.3 est beau ou démocratique. La question est : veut-on un budget ou pas ? Et pour l’instant, personne n’a trouvé mieux quand la majorité fait défaut.
François Hollande vient juste de le rappeler, à sa manière, avec ce mélange de franchise et de rouerie qu’on lui connaît. Et quelque part, il n’a pas changé. Il a juste pris quelques cheveux gris et un siège de député. Mais il voit encore le jeu mieux que beaucoup.
Et nous, on regarde ce vieux renard sourire doucement en sachant qu’il a probablement déjà écrit la fin de l’histoire.
