Il m’arrive parfois, en ouvrant un placard chez des amis, de tomber sur cette boîte orange et noire qui déclenche instantanément un sourire. Jungle Speed. Ce totem en bois un peu ridicule, ces cartes aux symboles bizarres… et pourtant, trente ans plus tard, des millions de personnes s’arrachent encore ce jeu partout dans le monde. Ce qui est fou, c’est que derrière ce petit objet se cache une véritable success story à la française, discrète mais redoutablement efficace.
Parce que oui, le géant qui domine aujourd’hui le marché mondial du jeu de société est bien français. Et il s’appelle Asmodee.
Asmodee, ou comment un rêve d’enfant est devenu un empire
L’histoire commence dans les années 90, à une époque où les jeux de société modernes en étaient encore à leurs balbutiements en France. Quelques passionnés décident de créer leur propre structure pour éditer des jeux qu’ils adorent. Rien de bien révolutionnaire à première vue. Sauf que ces gars-là ont du flair. Vraiment beaucoup de flair.
Ils commencent par distribuer des titres étrangers qui cartonnent déjà à l’international, puis se mettent à racheter des catalogues, des studios, des licences. Petit à petit, sans faire trop de bruit médiatique, ils tissent leur toile. Et aujourd’hui ? Le résultat est assez impressionnant.
Un catalogue qui fait tourner la tête
Quand on parle d’Asmodee, on pense immédiatement à ces jeux qui ont marqué nos soirées :
- Jungle Speed (le fameux totem qui provoque des bagarres amicales)
- Dobble (ce jeu de rapidité qui rend fou en deux minutes)
- Time’s Up (le mime qui finit toujours en éclats de rire)
- Ticket to Ride (le train qui a converti des millions de gens au jeu de plateau)
- Catan (l’incontournable des colons qui négocient du blé)
- 7 Wonders (la civilisation en 30 minutes chrono)
- Pandémie (où on sauve le monde entre potes)
- Unlock ! et ses escape games en boîte
- Exploding Kittens (parce qu’un chat qui explose, c’est drôle)
Et je ne parle même pas de la licence Pokémon pour le jeu de cartes à collectionner, probablement l’une des plus grosses machines à cash de l’histoire du loisir. Ni de Star Wars, Marvel, ou Lord of the Rings… La liste est interminable.
Franchement, quand on regarde ça, on se dit qu’ils ont quasiment tous les hits des vingt dernières années dans leur escarcelle. C’est presque effrayant.
Des bureaux qui ressemblent à un parc d’attractions
Ce qui m’a toujours marqué, c’est l’ambiance dans leurs locaux. Imaginez un open space classique… mais avec des centaines de boîtes de jeux partout. Sur les étagères, par terre, sur les bureaux. Des figurines de mangas collées sur les écrans. Des tables de réunion qui servent surtout à faire des parties endiablées le midi.
Et dehors ? Une sculpture géante du totem de Jungle Speed, haute comme un homme, plantée dans l’herbe. C’est presque un statement : ici, on ne plaisante pas avec le fun, mais on bosse sérieusement.
On teste des jeux tous les jours. C’est à la fois un métier de rêve et une vraie exigence : il faut garder l’œil critique même quand on s’amuse.
– Un chef de studio chez Asmodee
Et ça se sent dans la qualité des productions. Les jeux sont testés, retestés, polis jusqu’à l’obsession. Le résultat ? Des règles souvent simples en apparence, mais diablement efficaces en pratique.
Une croissance à faire pâlir les géants de la tech
Le plus impressionnant, c’est la vitesse à laquelle l’entreprise s’est développée. En quelques années, elle est passée de petit éditeur à acteur mondial. Cotée en Bourse, valorisée à plusieurs milliards, elle attire les investisseurs comme des abeilles sur un pot de miel.
Le secret ? Une stratégie d’acquisitions ultra-agressive. Ils rachètent des studios indépendants à tour de bras, tout en laissant une grande liberté créative aux équipes. C’est malin : ils gardent l’âme artisanale des créateurs tout en industrialisant la distribution.
Résultat : chaque année, des dizaines de nouveautés sortent sous leur giron, certaines deviennent des phénomènes mondiaux. Et pendant ce temps, les classiques continuent de se vendre par palettes entières.
Pourquoi Asmodee gagne à tous les coups
Plusieurs éléments expliquent ce succès, selon moi :
- Une compréhension parfaite des tendances : ils sentent avant tout le monde ce qui va plaire
- Une diversification intelligente : jeux familiaux, experts, enfants, cartes à collectionner, licences…
- Un réseau de distribution mondial ultra-efficace
- Des auteurs choyés et une vraie culture du test
- L’explosion du marché du jeu de société ces dernières années (merci le Covid, entre autres)
Ajoutez à ça une communication maîtrisée, des extensions à foison pour garder les jeux vivants, et vous avez la recette d’un leader incontesté.
Et demain ?
La grande question maintenant, c’est : jusqu’où ira Asmodee ? Le marché du jeu de société continue de croître, le numérique (Board Game Arena, applications) ouvre de nouvelles portes, et les licences fortes ne manquent pas.
Certains observateurs se demandent si la bulle ne va pas éclater un jour. Perso, j’en doute. Tant qu’il y aura des gens qui auront envie de se réunir autour d’une table pour rire, se chamailler et passer un bon moment, il y aura de la place pour des jeux bien faits.
Et tant que Asmodee continuera à sortir des pépites tout en choyant ses classiques, ils resteront, selon moi, les rois incontestés du secteur.
Alors la prochaine fois que vous attraperez ce totem en bois ou que vous crierez « Dobble ! », pensez à cette aventure française un peu folle. Derrière le plaisir simple d’une partie entre amis se cache une des plus belles réussites entrepreneuriales hexagonales de ces dernières décennies.
Et quelque part, c’est plutôt réconfortant.
(Article rédigé avec passion par quelqu’un qui a perdu bien trop de parties de Jungle Speed… mais qui continue d’y jouer avec plaisir.)
