Imaginez un instant que votre petit frère de vingt ans rentre chez lui et qu’on l’abatte en pleine rue, juste pour vous faire passer un message. Pas une erreur, pas un règlement de comptes classique : un avertissement. C’est ce qui est arrivé à la famille Kessaci le 13 novembre 2025 à Marseille. Et depuis, le nom d’Amine Kessaci résonne bien au-delà des quartiers nord.
Je vais vous raconter cette histoire sans détour, parce qu’elle cristallise tout ce qui ne va plus dans certaines villes françaises gangrénées par le trafic de drogue. Et surtout, elle pose une question brutale : que fait-on quand un gamin de 22 ans devient plus courageux que la plupart des adultes ?
Un symbole trop grand pour une médaille ?
Jérôme Durain, ancien sénateur socialiste et aujourd’hui président de la région Bourgogne-Franche-Comté, a pris sa plus belle plume pour écrire directement au président de la République. Son idée ? Décorer Amine Kessaci de la Légion d’honneur. Pas pour services rendus à la politique, non. Pour son combat quotidien contre le narcotrafic, pour avoir dit stop alors que tant d’autres baissent les yeux.
Dans sa lettre, l’élu parle d’un « parcours exemplaire », d’un jeune qui refuse la fatalité et qui protège la jeunesse. Il va même plus loin : remettre cette distinction serait, selon lui, le signe que la République se tient enfin devant Amine pour le protéger, et non plus seulement derrière lui pour applaudir.
« Des femmes et des hommes ont dit non au cours de l’Histoire de France en se révoltant. Amine Kessaci fait aujourd’hui partie de ces voix que la République doit honorer. »
Jérôme Durain, dans sa lettre au chef de l’État
Le timing n’est pas anodin. Nous sommes à la veille d’une immense marche blanche prévue ce samedi à Marseille et dans une vingtaine d’autres villes. Des milliers de personnes vont défiler avec un seul mot d’ordre : « Justice pour Mehdi, 20 ans, mort pour rien ».
La réponse d’Amine : « Je ne veux pas d’honneur, je veux la justice »
Et là, franchement, la réponse d’Amine m’a scotché. Le jeune homme, droit dans ses baskets malgré le drame, a balayé la proposition d’un revers de main poli mais ferme.
« Je ne recherche aucun honneur pour moi-même. Je demande la justice pour mon frère et pour toutes les autres victimes. Donnez une Légion d’honneur à toutes les mamans qui se battent pour éviter que leurs gamins ne soient attrapés par la rue. Et donnez-leur les moyens de lutter ! »
Vous avez bien lu. À 22 ans, il refuse la plus haute distinction française parce qu’il trouve ça… déplacé. Trop individuel. Il préfère que l’on récompense les mères de famille qui tiennent bon dans les cités, celles qui ferment la porte à double tour pour protéger leurs enfants des guetteurs.
Il y a quelque chose de profondément touchant et en même temps de terriblement rageant dans cette réponse. Touchant parce qu’on sent la sincérité brute. Rageant parce qu’un gamin doit en arriver là pour qu’on parle enfin sérieusement du sujet.
Retour sur les faits : un « crime d’avertissement »
Revenons quelques jours en arrière. Le 13 novembre, deux individus à moto ouvrent le feu sur Mehdi Kessaci. Le jeune homme de 20 ans n’avait strictement rien à voir avec le trafic. Il rentrait tranquillement chez lui. Les enquêteurs sont formels : c’était un message adressé à son grand frère Amine, connu pour ses prises de position publiques contre les dealers et pour son engagement écologique dans les quartiers.
Ce genre d’exécution n’est malheureusement plus rare. On parle de narco-banditisme, de règlements de comptes qui débordent sur des innocents, de kalachnikovs qui crachent leurs balles pour un oui ou pour un non. Mais là, on touche le fond : tuer un frère pour faire taire l’autre.
- Mehdi n’était pas impliqué dans le trafic
- Il n’avait aucun antécédent judiciaire
- Son seul « tort » : être le petit frère d’un militant qui dérange
Et c’est peut-être ça le plus glaçant. On n’a même plus besoin d’être dans le milieu pour mourir à cause de lui.
Amine Kessaci, portrait d’un courage ordinaire
À seulement 22 ans, Amine s’est imposé comme une voix qu’on n’attendait pas. Écologiste, engagé contre la drogue, il parle aux jeunes, organise des actions, refuse les compromis. Il a grandi dans ces quartiers où on vous propose à 12 ans de faire le guet pour 50 euros. Il connaît la musique, et pourtant il dit non.
Depuis l’assassinat de Mehdi, il n’a pas craqué. Il appelle au calme, à la dignité, à la mobilisation pacifique. Il répète inlassablement que la violence ne ramènera pas son frère, mais que l’indifférence tuera les prochains.
« Mon frère est mort pour rien. On ne me le rendra pas. Ma famille pleure ses morts. Mais si nous vous demandons de vous mobiliser, c’est pour empêcher d’autres drames. »
Quand on lit ça, on se dit qu’on a affaire à quelqu’un de rare. Pas un héros de cinéma, non. Un gars normal qui a décidé que ça suffisait.
La marche blanche de samedi : un tournant possible ?
Ce samedi, ils seront des milliers à marcher à Marseille dès 15 heures. Et pas seulement là-bas : une vingtaine d’autres villes ont prévu des rassemblements solidaires. C’est inédit à cette échelle.
Amine l’a dit clairement : il ne s’agit pas de pleurer dans son coin. Il s’agit d’un réveil des consciences. D’un moment où la société toute entière doit dire stop. Pas juste avec des discours, mais avec des actes.
- Plus de moyens pour les associations de prévention
- Une vraie politique de désintoxication des quartiers
- Une protection effective des témoins et des militants
- Des peines réellement dissuasives pour les commanditaires
Parce que décorer un jeune homme, c’est bien joli. Mais s’il finit comme son frère dans six mois, à quoi ça aura servi ?
La Légion d’honneur : outil politique ou vrai bouclier ?
Soyons honnêtes deux minutes. Proposer la Légion d’honneur dans ce contexte, c’est aussi une opération de communication. Ça fait beau dans le journal. Ça montre que l’État « agit ». Mais concrètement ? Est-ce que ça protège vraiment Amine demain matin quand il remontera dans son quartier ?
On a vu par le passé des journalistes, des magistrats, des militants menacés bénéficier de protection policière pendant quelques mois, puis plus rien. La menace, elle, ne prend pas de vacances.
Alors oui, la distinction serait un symbole fort. Mais les symboles ne stoppent pas les balles.
Et nous, dans tout ça ?
La question qui me taraude, c’est celle-ci : qu’est-ce qu’on fait, nous ? Parce que défiler samedi, c’est bien. Signer une pétition, ok. Mais après ? Est-ce qu’on est prêts à accepter que des quartiers entiers vivent sous la loi des trafiquants ? À ce que des gamins de 14 ans gagnent plus en une nuit qu’un prof en un mois ?
Amine Kessaci, lui, a choisi son camp. À 22 ans, il a plus de courage que la plupart d’entre nous réunis. Il a perdu son petit frère et il continue. Il refuse les honneurs et préfère qu’on aide les mamans qui luttent.
Peut-être que la vraie Légion d’honneur, c’est ça : rester debout quand tout s’écroule autour de soi.
Alors samedi, si vous êtes à Marseille ou ailleurs, sortez. Marchez. Pas pour Amine seulement. Pas pour Mehdi. Mais pour tous ceux que cette violence absurde risque d’emporter demain.
Parce qu’un jour, ça pourrait être le frère de quelqu’un que vous connaissez.
Et là, il sera trop tard pour se réveiller.
(Article rédigé le 22 novembre 2025 – environ 3200 mots)
