Quand j’étais gamine, j’avais juré que j’aurais au moins quatre enfants. Quatre, pas un de moins. Je voyais ça comme une évidence : une maison qui déborde de vie, de bruit, de chaussettes qui traînent partout. Et puis j’ai posé mes valises à Paris. Vingt-cinq mètres carrés en 2015, trente-neuf en 2019, cinquante-trois aujourd’hui… et pourtant, la question du troisième reste coincée dans la gorge à chaque dîner. On se regarde avec mon compagnon, on sourit, on change de sujet. Parce que dans la capitale, l’enfant est devenu la variable d’ajustement du budget immobilier.
Paris, la ville où les enfants prennent cher
Entre 2011 et 2022, la part des familles avec trois enfants de moins de 25 ans est passée de 6,6 % à 5,9 % des ménages parisiens. Pour quatre enfants ou plus ? De 2,5 % à 2,3 %. Des chiffres froids qui cachent des renoncements bien chauds. Et je pèse mes mots : ce n’est pas une simple tendance, c’est un basculement sociétal.
Le mètre carré plus fort que le désir d’enfant
Prenez n’importe quel arrondissement. Même le 19e ou le 20e, longtemps refuges des familles modestes, affichent des prix qui font tourner la tête. Un trois-pièces correct dépasse allègrement les 700 000 €. Et quand vous avez déjà deux enfants, passer au quatre-pièces relève du parcours du combattant. Résultat ? Beaucoup de couples font le calcul. Et le calcul est cruel.
« On a visité un 85 m² dans le 18e. 980 000 €. On a rigolé nerveusement en sortant. Avec nos salaires combinés, on pouvait à peine emprunter 650 000 €. »
– Camille, 36 ans, deux enfants
Camille n’est pas un cas isolé. Des dizaines de parents que j’ai croisés racontent la même histoire : on commence par rêver grand, on finit par rationner les rêves.
Les arrondissements qui résistent… un peu
Il reste quelques poches de résistance. Le 13e près de la Butte-aux-Cailles, certains coins du 20e vers Belleville ou Ménilmontant, des quartiers du 19e autour de La Villette. Là, on trouve encore des cinq-pièces corrects sous la barre symbolique du million. Mais pour combien de temps ? Les promoteurs rodent, les investisseurs aussi.
- Le 15e reste le plus « familial » avec encore 8,1 % de familles de trois enfants ou plus
- Le 19e et le 20e suivent de justesse
- À l’inverse, le 6e et le 7e flirtent avec… 2 % seulement
Vous me direz : pourquoi ne pas simplement déménager en banlieue ? La question est légitime. Mais elle oublie un détail de taille : pour beaucoup de Parisiens, quitter Paris revient à arracher une partie de son identité.
La banlieue, solution miracle ou exil forcé ?
J’ai accompagné des amis en visite à Montreuil, à Saint-Denis, aux Lilas. À chaque fois la même scène : on sort de l’appartement, on regarde les enfants jouer dans la cour, on se dit « ça y est, on va respirer ». Et puis on remonte dans la voiture, on passe devant le square du quartier parisien qu’on habite, et le cœur se serre.
Parce que oui, en proche banlieue, on trouve des 90 m² avec jardin pour le prix d’un 45 m² à Paris. Mais il y a le temps de transport (1 h porte à porte quand tout va bien), les écoles qu’on ne connaît pas, les amis qui s’éloignent, le sentiment diffus d’avoir été chassé.
« J’ai pleuré le jour où on a signé chez le notaire à Vincennes. J’avais l’impression de trahir Paris. Et pourtant, trois mois après, je n’ai jamais été aussi heureuse. Mes enfants ont une chambre chacun. Une chambre ! Vous vous rendez compte ? »
– Sophie, partie en 2023 avec trois enfants
Et les aides alors ? On en parle ou pas ?
Elles existent. Les allocations familiales, la PAJ, les prêts à taux zéro bonifiés pour les familles nombreuses, les plafonds de ressources un peu plus généreux pour le logement social. Mais soyons honnêtes : à Paris, le logement social pour une famille de cinq personnes, c’est la licorne. Les listes d’attente dépassent parfois dix ans.
Quant aux dispositifs privés type « colocation familiale » ou « co-living » version XXL, ils restent confidentiels et souvent hors de prix. On a vu des annonces à 4 500 € pour 120 m² en colocation entre deux familles. Autant dire que ça ne règle rien pour la classe moyenne supérieure qui gagne « trop » pour les aides et « pas assez » pour le marché libre.
Le choix qui n’en est pas vraiment un
Ce qui me frappe le plus, c’est le silence autour de ces renoncements. On parle beaucoup de la chute de la natalité en France, mais rarement du rôle écrasant du logement. Pourtant les chiffres parlent : dans les grandes villes européennes où le mètre carré reste accessible (Berlin, Lisbonne, Vienne), les familles nombreuses n’ont pas disparu.
À Paris, on reporte le troisième « à plus tard », puis « quand on aura trouvé plus grand », puis… jamais. Et on se console en se disant qu’on offre le meilleur aux deux qu’on a déjà. Sauf que parfois, tard le soir, on sent bien que quelque chose manque.
Des pistes pour ne pas tout abandonner
Alors oui, tout n’est pas noir. Certains s’organisent autrement :
- Acheter à plusieurs familles (oui, ça existe, des notaires spécialisés accompagnent ces montages)
- Investir très loin en banlieue mais garder un pied-à-terre parisien
- Attendre la réforme des HLM familiaux promise depuis des années
- Ou tout simplement… partir, mais en choisissant une ville moyenne dynamique (Nantes, Bordeaux, Lyon intra-muros restent plus accessibles)
Moi ? Je n’ai pas encore tranché. Mon compagnon et moi on continue à visiter, à rêver, à faire des tableaux Excel un peu déprimants. Parfois on rit, parfois on s’engueule. Mais une chose est sûre : si un jour on a ce troisième, ce sera un acte de résistance. Un petit doigt d’honneur au marché immobilier. Et franchement, ça aurait quand même de la gueule.
Parce qu’au fond, Paris sans enfants qui crient dans les cours d’immeuble, sans poussettes doubles qui bloquent les trottoirs, sans ados qui squattent les bancs publics… ce ne serait plus tout à fait Paris.
