Imaginez-vous enceinte, victime d’un viol, et apprendre que l’État où vous vivez veut vous mettre en prison trente ans si vous décidez d’avorter. Pas le violeur. Vous. C’est exactement ce que certains sénateurs de Caroline du Sud ont tenté de faire voter il y a quelques jours à peine. Et puis, miracle ou calcul politique, le projet a été enterré. Respirez un grand coup : on va tout décortiquer ensemble.
Un projet de loi qui dépassait l’entendement
On parle souvent des États du Sud comme étant conservateurs. Là, on était carrément dans le rétrograde assumé. Le texte en question, baptisé sobrement « Acte pour la protection de l’enfant à naître », allait plus loin que toutes les lois déjà en vigueur dans le pays.
Concrètement ? L’avortement devenait un crime équivalent à un homicide volontaire. Jusqu’à trente ans de prison. Pour la femme. Pour le médecin. Pour l’infirmière qui tient la main. Peu importe la raison : viol, inceste, malformation grave du fœtus… plus aucune exception. Seule une menace immédiate de mort pour la mère pouvait être invoquée, mais comme « moyen de défense » au tribunal. Autrement dit, on vous juge d’abord, on voit ensuite si vous aviez une bonne raison.
« Il s’agit véritablement, littéralement, de la loi la plus extrême que nous ayons jamais vue dans le domaine de la santé reproductive dans ce pays. »
Une responsable d’association de défense des droits des femmes
Et le pire ? Même certains groupes anti-avortement historiques de l’État ont trouvé que ça allait trop loin. Quand tes propres alliés te lâchent, c’est que tu as franchi une ligne rouge.
Comment on en est arrivé là ? Un petit retour en arrière s’impose
Tout commence en juin 2022. La Cour suprême américaine enterre Roe vs Wade, le jugement qui garantissait un droit fédéral à l’avortement depuis 1973. Du jour au lendemain, chaque État devient libre de légiférer comme il l’entend.
En Caroline du Sud, la réponse ne se fait pas attendre. Dès mai 2023, l’État passe à une interdiction après six semaines de grossesse – un délai où beaucoup de femmes ignorent encore qu’elles sont enceintes. Seules exceptions : viol ou inceste (avec preuves à l’appui), anomalie fœtale létale ou danger vital pour la mère. Déjà très restrictif. Mais visiblement pas assez pour certains.
- 2022 → Fin de la protection fédérale
- 2023 → Interdiction après 6 semaines votée
- 2025 → Tentative d’interdiction totale + prison pour les femmes
C’est dans ce contexte que trois sénateurs républicains déposent le projet S.323. Objectif affiché : « protéger la vie dès la conception ». Objectif réel, selon beaucoup d’observateurs : tester jusqu’où ils peuvent aller.
Le jour où ça a coincé
Mardi dernier, la sous-commission des affaires médicales du Sénat se réunit. Huis clos. Diffusion en direct sur internet seulement. Dehors, des centaines de femmes et d’alliés manifestent. Dedans, trois heures de débat tendu.
L’un des auteurs du texte sent le vent tourner. Il propose d’abord de ramener la peine à deux ans. Refusé. Puis de supprimer complètement la prison pour les femmes. Toujours pas. À la fin, même les républicains majoritaires dans la commission refusent de voter le texte tel quel. Victoire ? En partie.
« Après mûre réflexion, j’ai décidé que punir nos femmes enceintes n’était tout simplement pas possible, ni approprié. »
Un des auteurs du projet, en pleine reculade
Franchement, lire ça, ça fait un drôle d’effet. On est soulagé… et en même temps on se dit : attends, il a fallu « mûre réflexion » pour comprendre que mettre des femmes en prison parce qu’elles avortent, c’était trop ?
Pourquoi ce recul soudain ?
Plusieurs éléments ont joué.
- La mobilisation massive des associations et des citoyennes (appels, mails, rassemblements)
- Le rejet même par une partie du camp anti-avortement traditionnel
- La crainte d’un retour de bâton électoral – rappelez-vous que dix États ont voté des référendums pro-droit à l’avortement en 2024, même dans des États rouges
- La réalité pratique : déjà peu de cliniques restent ouvertes en Caroline du Sud, criminaliser les patientes aurait été le coup de grâce
J’ai discuté avec des activistes sur place : beaucoup pensent que les élus ont simplement eu peur de devenir le mauvais exemple national. Personne n’a envie d’être l’État qui met les femmes en prison pour ça en 2025.
Et maintenant ? Une victoire en demi-teinte
Ne nous emballons pas. L’avortement reste interdit après six semaines dans l’État. Les cliniques ferment les unes après les autres. Les femmes voyagent des centaines de kilomètres vers la Caroline du Nord ou la Virginie. Certaines commandent des pilules par correspondance et prient pour que ça se passe bien.
Le simple fait qu’un tel débat ait eu lieu fait déjà peur aux professionnels de santé. Plusieurs gynécologues m’ont confié qu’ils hésitaient à s’installer ou même à rester. « On ne sait jamais jusqu’où ils iront la prochaine fois », me disait l’un d’eux.
En clair : on a évité le pire, mais le climat reste extrêmement hostile.
Ce que ça nous dit sur l’Amérique de 2025
L’épisode de Caroline du Sud est un parfait condensé de la situation post-Roe : des législatures ultra-majoritairement masculines et républicaines qui testent les limites, des reculades quand la pression devient trop forte, et des femmes prises en otage au milieu.
Mais il y a aussi du nouveau. Même dans les États les plus conservateurs, l’opinion publique a bougé. Les référendums l’ont montré : quand on pose directement la question aux électeurs, une majorité protège le droit à l’avortement. Les élus commencent à le sentir dans leurs bottes.
Est-ce le début d’un ressac ? Possible. En tout cas, chaque bataille comme celle-ci compte. Et chaque femme qui se bat devant un Capitole, chaque appel passé à un sénateur, chaque manifestation, ça finit par payer.
Pour l’instant, en Caroline du Sud, on a gagné une bataille. La guerre, elle, est loin d’être terminée.
(Article mis à jour le 19 novembre 2025 – environ 3200 mots)
