Imaginez la scène. Vous êtes dans un tribunal, lieu censé incarner la sérénité de la justice, et d’un seul coup, c’est Beyrouth. Coups de chaise, hurlements, insultes qui fusent et une centaine de policiers qui débarquent en courant. C’est exactement ce qui s’est passé ce jeudi à Évry-Courcouronnes, en pleine cour d’assises. Franchement, on croit rêver… ou plutôt cauchemarder.
Je ne vais pas vous refaire le film minute par minute, mais cet événement est tellement symptomatique de ce qui ronge certains territoires qu’on ne peut pas juste le balancer comme une brève et passer à autre chose. Alors prenons le temps de comprendre ce qui a mis le feu aux poudres, et surtout pourquoi ça arrive dans un tribunal.
Un procès déjà sous très haute tension
Tout part d’un drame survenu en juillet 2021. Un jeune homme de 19 ans, Arthur, perd la vie lors d’une rixe nocturne à Sainte-Geneviève-des-Bois. Le genre d’histoire qu’on entend trop souvent : une embrouille entre quartiers qui dégénère, un rendez-vous qui tourne mal, et un gamin qui finit lynché par une dizaine de personnes. Quatre ans plus tard, un seul accusé se retrouve sur le banc des assises de l’Essonne.
Déjà, dès le premier jour d’audience, l’ambiance est électrique. Familles, amis, connaissances des deux camps sont là en nombre. Les regards se croisent, les mâchoires se serrent. On sent que la salle d’audience est une cocotte-minute. Et pourtant, tout se passe à peu près correctement… jusqu’au troisième jour.
L’étincelle qui a tout fait exploser
L’accusé prend la parole. Il a cinquante minutes pour s’expliquer sur la mort d’Arthur. Cinquante petites minutes. Apparemment, ça a suffi. Ce qu’il a dit – ou la façon dont il l’a dit – a mis le feu dans la salle des pas perdus où attendent plusieurs dizaines de personnes.
En quelques secondes, c’est la mêlée générale. Des jeunes de Sainte-Geneviève-des-Bois contre ceux de Saint-Michel-sur-Orge. Les insultes volent – « fils de pute » revient souvent, paraît-il – et très vite ça passe aux mains. Chaises qui volent, vêtements déchirés, sang sur le marbre. Le personnel de sécurité tente bien d’intervenir, mais ils sont largement dépassés.
En vingt ans de carrière ici, je n’avais jamais vu ça. C’était comme si la rue était entrée dans le tribunal.
Un agent de sécurité présent sur place
Cent policiers en renfort : la réponse XXL
En quelques minutes, l’alerte est donnée. Toutes les unités disponibles de l’Essonne convergent vers le palais de justice. On parle d’une mobilisation exceptionnelle de près d’une centaine de fonctionnaires : police nationale, CRS, brigade anticriminalité… Le quartier autour du tribunal est bouclé, les accès filtrés.
Le temps que le calme revienne, il s’est écoulé presque une heure. Une heure de chaos absolu dans un lieu où, normalement, on pèse chaque mot. Le contraste est violent.
- Plusieurs blessés légers parmi les protagonistes et les agents
- Des interpellations en cours (le chiffre exact n’est pas encore connu)
- Audience suspendue sine die
- Renforcement probable de la sécurité pour la reprise
Pourquoi ça arrive là, précisément ?
La question que tout le monde se pose : comment est-ce possible dans un tribunal ? La réponse est à la fois simple et terrifiante. Ces rivalités de quartier durent depuis des années, parfois des décennies. Elles transcendent les générations. Un procès, surtout quand il touche à un mort, c’est le moment où tout remonte à la surface.
Dans ces affaires, le tribunal devient une arène. Les familles veulent voir l’accusé, entendre ses explications, parfois juste croiser son regard. Et quand les versions divergent, quand l’accusé minimise ou nie, c’est l’explosion émotionnelle garantie. Sauf que là, elle a débordé hors de la salle d’audience.
J’ai couvert pas mal de procès sensibles dans ma carrière. Je me souviens d’un autre dossier, il y a quelques années, où les parties civiles avaient carrément tenté d’entrer de force dans le box. Mais une bagarre d’une telle ampleur dans la salle des pas perdus ? C’est du jamais-vu en Île-de-France ces dernières années.
Les rivalités entre Sainte-Geneviève et Saint-Michel : une guerre sans fin ?
Pour comprendre, il faut replonger dans la géographie de l’Essonne sud. Sainte-Geneviève-des-Bois et Saint-Michel-sur-Orge, ce n’est pas seulement deux communes voisines. Ce sont deux mondes qui se regardent en chiens de faïence depuis la fin des années 90.
À l’époque déjà, les bagarres entre jeunes des cités des deux villes faisaient régulièrement la une des faits divers. Trafics, guéguerres de territoire, codes d’honneur mal placés… Tout y passe. Et chaque génération reprend le flambeau, comme une tradition maudite.
Le meurtre d’Arthur en 2021 n’était qu’un épisode de plus dans cette longue série. Mais un épisode particulièrement tragique, parce qu’il a coûté la vie à un gamin de 19 ans qui, selon ses proches, n’avait même pas de casier judiciaire.
La justice dépassée par la réalité de la rue ?
Ce qui frappe, c’est le sentiment d’impuissance. Malgré les portiques de sécurité, les fouilles, les agents partout, la violence a réussi à s’infiltrer. Et une fois à l’intérieur, elle a pris toute la place.
Certains diront qu’il faut interdire purement et simplement la présence du public dans ce genre de dossiers. D’autres répondront que ça reviendrait à juger en huis clos des affaires qui concernent toute une communauté. Les deux ont raison, et c’est bien ça le problème.
Personnellement, je pense qu’on touche là à une limite du système. La justice est faite pour trancher, apaiser, réparer. Mais quand les haines sont aussi enracinées, elle devient juste un décor de plus pour le clash.
Et maintenant ?
Le procès reprendra, c’est certain. Probablement avec un dispositif de sécurité digne d’un sommet international. Peut-être dans une autre salle, peut-être avec moins de public autorisé. Mais la question de fond reste entière : comment sortir de ce cycle infernal ?
Éducation, travail social, présence policière renforcée, médiation… On ressort les mêmes recettes depuis vingt ans. Et pendant ce temps, des gamins continuent de mourir pour un regard de travers ou un bout de trottoir.
Ce qui s’est passé à Évry n’est pas qu’un « incident ». C’est un signal d’alarme assourdissant. Et si on continue à le traiter comme une anecdote, on n’a rien compris.
Je ne sais pas vous, mais moi, cette affaire me laisse un goût amer. Parce qu’au-delà du spectacle affligeant, il y a des familles détruites des deux côtés. Une mère qui ne verra plus jamais son fils. Des gamins qui grandissent dans la haine comme seule valeur. Et une justice qui, parfois, ressemble à un ring de boxe.
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